
La bataille sanglante qui a donné leur nom aux Chiroux et aux Grignoux
Incontournables à Liège, les Chiroux et les Grignoux y sont indissociables de l’univers culturel, littéraire pour l’un, cinématographique pour l’autre. Une association qui surprendrait probablement les premiers à avoir porté ces surnoms s’ils pouvaient les voir aujourd’hui.
C’est que les Chiroux et les Grignoux ne sont pas seulement des noms inventés au hasard parce qu’ils avaient une sonorité rigolote, et qu’en plus, ils se ressemblaient suffisamment pour qu’on puisse parfois les confondre (hi hi hi). Non, si la bibliothèque et les cinémas s’appellent ainsi, c’est en référence à un conflit social qui mit la ville à feu et à sang au 17e siècle. Un scénario ô combien plus passionnant, mais relativement méconnu du grand public. Qu’à cela ne tienne, on vous rejoue le film.
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L’hirondelle ne fait pas le printemps
Nous sommes alors en l’an de grâce 1613, et Ferdinand von Bayern, prince-évêque de Liège depuis qu’il a succédé à son oncle Ernest en 1612, n’est pas exactement un dirigeant populaire. « Prince » plutôt qu’évêque, c’est un mondain qui anticipe l’avènement de la jet-set en parcourant les cours d’Europe, toutes plutôt que la sienne: selon les historiens, il ne passe que six mois dans la Principauté durant les 23 premières années de son règne, ce qui ne l’empêche pas d’y restaurer le Régiment de Heinsberg en 1613. Soit une modification du système électoral augmentant le pouvoir du prince-évêque en ôtant l’élection des bourgmestres et des jurés aux 32 métiers. À leur place, 22 commissaires inamovibles – six nommés par l’évêque, seize laissés au choix des trente-deux paroisses de la Cité – sont chargés de désigner chaque année à la veille de la Saint-Jacques un représentant dans chacun des trente-deux métiers.
Déjà lors de son instauration initiale au XVe siècle, ce Régiment avait été fortement contesté, mais que Ferdinand von Bayern ait l’audace de le remettre au goût du jour alors même que son oncle l’avait remplacé par le Règlement de 1603 va mettre le feu aux poudres dans la Cité ardente.
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Dans son livre « Histoire de Liège », publié à Bruxelles en 1843, Etienne Constantin de Gerlache résume la situation ainsi: « Deux partis divisaient alors la ville de Liége : les Chiroux et les Grignoux. Les Chiroux étaient pour l’évêque, et les Grignoux lui étaient opposés; comme Ferdinand faisait cause commune avec les Allemands, les Grignoux se déclarèrent pour la France. Les bourgeois et les gens aisés étaient pour la plupart Chiroux, parce qu’ils désiraient le maintien de la paix ; mais le petit peuple, toujours mécontent de son sort, était Grignoux; et comme il l’emportait par le nombre et l’audace, et que dans ces temps d’anarchie on était tout par le peuple, il va sans dire que tous les ambitieux étaient Grignoux ». Quant aux origines de ces dénominations, elles sont aussi inattendues qu’amusantes.
« Quelques jeunes gens de bonnes familles, qui revenaient de Paris, en avaient adopté les modes : ils portaient des bas blancs avec des chausses qui leur tombaient fort bas sur les mollets. Dans ce costume, quelqu’un trouva qu’ils ressemblaient assez à une espèce d’hirondelles qui ont des plumes jusqu’au bout des pattes et que les Liégeois appellent chiroux. Un jour que ces élégants s’étaient rassemblés dans l’église de St-Lambert, des gens du peuple, les voyant ainsi accoutrés, se mirent à crier chiroux! et ceux-ci leur répondirent, grignoux! c’est-à-dire, grognards, mécontents ! »
Tout qui ayant déjà tenté d’introduire un snack de contrebande à la séance de 19.45 sachant que ce surnom leur va toujours comme un gant (oh, ça va, c’est pour rire…). Surtout que blague à part, au-delà de ces histoires d’hirondelles et de bas, la situation s’envenime très rapidement entre les deux camps.
Les Chiroux, les Grignoux et la guerre civile sans fin
En 1630, le peuple -les Grignoux, donc, si vous nous suivez- nomme deux Bourgmestres, Sébastien La Ruelle et Guillaume de Beeckman. Problème: non seulement Ferdinand Von Bayern refuse de les reconnaître, mais en prime, Guillaume de Beeckman meurt dans des circonstances étranges qui laissent penser à un empoisonnement. Dans la foulée, pour montrer que les limites de sa patience ont décidément été dépassées, l’héritier d’Ernest von Bayern fait incendier 8000 fermes, histoire de montrer aux Grignoux qu’il serait temps que leur colère refroidisse. Las, il n’en est rien, et en 1646, les Grignoux profitent des élections pour mettre à sac le palais épiscopal et tuer plus de 200 personnes, un épisode sombrement entré dans l’Histoire sous le nom de « Sainte-Grignoux ». La guerre civile entre les deux factions fait alors rage en alternance depuis plus de trente ans, mais il faudra encore malheureusement passer par le bain de sang de 1649 (lorsque Ferdinand mit Liège au ban de l’Empire et envahit avec les Impériaux, forçant les Grignoux à capituler) ainsi qu’une nouvelle guerre civile suite à la démolition de la Citadelle pour qu’enfin, un semblant de paix se profile entre les deux factions.
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Dans « La Mal Saint-Jacques ou les Chiroux et les Grignoux » paru en 1835 dans le premier tome de la Revue Belge, M.L. Polain précise encore que « les Grignoux cherchaient à maintenir le principe de la neutralité ; ils y étaient secrètement encouragés par un agent français qui résidait à Liége, le sieur Mouzon de Ficquelmont, dont la mission était de susciter des embarras aux princes ecclésiastiques du corps germanique, peut-être même , de détacher le pays de Liége du cercle de Westphalie. Les deux factions en vinrent souvent aux mains, et plus d’une fois, à l’époque des rénovations magistrales, des rixes violentes ensanglantèrent nos rues ».
Quatre siècles plus tard, la seule forme de violence qu’on peut imputer à l’un ou à l’autre est celle qui se retrouve dans les histoires racontées sur leurs écrans ou dans leurs pages, et c’est très bien ainsi.
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