Avec son Om, le chef Olivier Massart atteint la note juste
Après plus de 20 ans de l’autre côté de l’eau, à Juprelle, où son Ô de Vie faisait déferler les saveurs inventives sur le palais de clients séduits, le chef Olivier Massart a décidé de changer de partition. À l’approche de la cinquantaine, il ose un double défi: poser ses couteux dans la cuisine de l’ancienne Villa des Bégards*, qui répond désormais au nom d’Om restaurant, et peut-être tenter d’y atteindre une note susceptible de faire vibrer les critiques gastronomiques, qui sait? Même si ce qui compte le plus pour ce passionné, c’est le partage, et « le fait que les gens prennent du plaisir pendant le repas ». Mission réussie ? Pour le déterminer, il fallait évidemment s’y attabler.
C’est donc ce qu’on a fait dès le deuxième service seulement du restaurant, un samedi soir qui plus est, avec une salle remplie entièrement à l’exception d’une table de deux personnes qui n’ont pas eu l’élégance de signaler qu’elles avaient changé d’avis. On passera sur le fait que c’est à cause de gugusses pareils qu’on doit tous désormais se dépêcher de trouver notre carte de crédit au moment de réserver un gueuleton pour se concentrer plutôt sur le positif, car même avant d’avoir goûté la moindre préparation, le plaisir est bien présent.
Dès l’arrivée, on sait en effet qu’on va passer une bonne soirée. Comment pourrait-il en être autrement, en allant dîner dans cette pimpante villa bourgeoise, dont la façade immaculée, éclairée avec goût, donne sur un parking qui aurait presque des allures de mirage pour les gourmets liégeois habitués à devoir lutter pour une place, souvent à perpète-les-bains de l’établissement où ils comptent s’engourmander. Pas de ça ici: on arrive, et on a à peine eu le temps de couper le moteur qu’on est déjà dans un vestibule épuré, accueilli par la souriante et attentive Chloé, qui s’enquiert du trajet, prend notre vestiaire puis nous accompagne en salle, où elle nous accompagnera tout au long du repas. Comme du temps de son précédent propriétaire, le lieu dégage une élégance cossue et sobre, et si Olivier Massart a consciemment choisi une forme d’épure, il a toutefois insisté pour avoir un restaurant nappé, convaincu que le plaisir sensoriel du tissu exalte l’expérience. On ne peut qu’acquiescer, d’autant que les nappes en question, lourdes comme il faut et sans le moindre pli, ont le bon goût de toucher le sol, ou presque, ainsi que toutes les nappes du monde entier devraient le faire. Les restaurateurs qui posent une sorte de serviette glorifiée sur les tables et la considèrent ainsi chiquement couverte, si vous voulez parler à quelqu’un du trauma qui vous a rendus comme ça, on connaît une excellente psychologue. Mais on digresse !
Peut-être que les premières impressions sont trompeuses, mais peut-être aussi que c’est une expression de jaloux et de rageux ? Parce qu’ici, tout, de l’arrivée au cadre en passant par l’attentivité du service et le raffinement des choix posés par le chef et son équipe, tout, donc, nous fait une excellente première impression – et promet pour la suite. Sur la nappe de compet’ susmentionnée, une délicate construction immaculée fait saliver. Posés sur un carré de pierre, deux créations croustillantes qu’on pourrait qualifier de kroepoek attendent d’être croquées en complément d’une des trois bulles (Chant d’Eole Blanc de Blancs, Vrancken Diamant ou Pommery Apanage) proposées en apéritif. « On a également tous les autres apéritifs traditionnels à la carte » précise le sommelier, Geoffrey Duerick, arrivé ici après 5 ans chez Baci, mais flûte, quoi de mieux que le roi des vins effervescents pour commencer un repas dont le menu fait preuve de tant de majesté bienvenue ? Saint-Jacques, caviar, homard, biche… Pour peu, on se dirait presque qu’Olivier Massart a veillé à inclure toutes les protéines animales les plus précieuses à sa carte inaugurale, et nos papilles ainsi titillées l’en remercient.
Des bulles, donc ! Et on trinque à l’arrivée des « créations apéritives ».
Montée en gamme
Amenée dans un panier rempli de grains de maïs, la première d’entre elles est un croustillant de butternut délicatement décoré de tartare de boeuf maturé, et sachant qu’on a mangé un des meilleurs tartares de notre vie à l’Ô de Vie, autant dire qu’on salive. Et qu’on n’est pas déçus : cette introduction à la cuisine du chef ne goûte pas tant le boeuf ou la courge mais plutôt l’été indien, cette drôle de période où un soleil aveuglant ne masque pas tout à fait l’arrivée du froid, et où la moindre feuille d’arbre se transforme soudain en symphonie de couleurs. C’est réconfortant et sexy à la fois, et surtout, on apprécie particulièrement que ce zakouski ne s’émiette pas dans la main à la première bouchée. On l’a dit, on le répète et on l’écrira probablement encore d’ici à la fin de cet article : chez Om restaurant, chaque détail est soigné.
Et la deuxième ronde de mises en bouche en est un parfait exemple, entre « Babybel revisité » dont le glaçage capture à merveille l’essence d’une tomate parfaitement mûre, et fantaisie au homard et au nori qui rappelle l’élégant chips qui accueille les dîneurs avec un bouquet bienvenu d’algue et d’iode. Proposé en 5 (125€ par personne) ou 6 temps (150€) en soirée, le menu Résonance est également disponible en version végétale, qui n’a rien de l’adaptation de dernière minute en cas de diète divergente, mais a bien droit lui aussi à une présence détaillée à la carte, ce qui devrait être la norme en 2025 mais ne l’est pourtant pas encore à Liège, et mérite donc d’être salué. Bien qu’appartenant plutôt au côté viandard de la force, on applaudit également le parti pris du chef de le mettre à un prix légèrement inférieur à la carte (115 ou 140 euros la formule choisie) parce que même si « c’est la main d’oeuvre qui coûte », faire payer pareil pour du homard ou du céleri-rave, c’est quelque peu indigeste.
Autre bon point ? La possibilité de prendre un accord mets-vins, ou un accord sans-alcool, élaboré avec la même attention par le chef et son sommelier. On ne résiste pas au plaisir de commander les deux, et de passer le reste du repas à se réjouir d’avoir des propositions non-alcoolisées à la hauteur des plats, plutôt que d’accompagner tout le menu d’eau ou de soda. L’accord vins est superbe et généreux, et permet notamment de s’initier aux joies du Sauvignac, un cépage relativement récent qui hybride Sauvignon et Riesling, ou encore de (re)découvrir les joies de la liqueur de noix, entre le madère et le nectar de forêt, en accompagnement du plateau de fromages, mais sachez que si vous avez fait voeu de sobriété, ou que vous êtes Bob, vos verres ne seront pas en reste.
Et dans l’assiette ? Dès la première entrée, des pétales de Saint-Jacques de Dieppe crue assemblés artistiquement avec un tempura de corail et une vague de sauce verte, on en prend plein les papilles. Tant niveau textures que saveurs et températures, l’équilibre est parfait. On a mangé un des repas les plus inoubliables de notre vie chez Nagaya, à Düsseldorf, et cette composition raffinée pourrait y être servie sans problème. Le chef aime l’Asie, il a passé énormément de temps en Thaïlande, et il n’hésite pas à convoquer influences et épices du continent dans sa cuisine, pour le plus grand plaisir de gourmets parfois quelque peu lassés par le courant dominant de la gastronomie en Wallonie.
Oui, notre terroir est d’une incroyable richesse, et oui, c’est important de le célébrer dans l’assiette, mais faut-il pour autant le servir en permanence ? Dans un contexte où la haute cuisine wallonne a tendance à resserrer ses frontières, et où même la truite d’Ondenval elle-même en a marre d’apparaître à toutes les bonnes tables, il y a quelque chose de délicieusement rafraîchissant dans l’approche du chef, qui rappelle la sagesse qu’il y a à s’ouvrir pour mieux (re)découvrir.
Et qui ose, aussi, les classiques. À l’annonce de l’arrivée à table d’un « oeuf parfait », on hésite. Incontournable du moindre menu il y a une dizaine d’années de ça, on aurait pu jurer qu’on en avait assez mangé pour toute une vie, mais c’était avant de goûter à l’interprétation qu’Olivier en fait. Ici aussi, le contraste de textures et de saveurs est parfaitement maîtrisé, et on se surprend à saucer l’assiette de pain au levain maison sans la moindre honte.
Harmonie de saveurs
Avec le terre et mer de homard et boeuf séché, ou « lobster roll revisité », arrive dans la sélection sans alcool un « jus santé » fait par le chef, qui a eu l’idée de décliner les ingrédients traditionnels de la bisque (moins les carcasses, on vous rassure) dans une boisson d’un rouge exquis, aux notes de tomate, carotte et céléri. Pour un des deux auteurs de ces lignes, accro au V8 atterrée par le fait de ne plus en trouver nulle part au supermarché, c’est une véritable révélation, et s’il était possible d’acheter quelques barils de cette potion, ce serait avec plaisir. Le homard, quant à lui, séduit, mais nécessite peut-être un léger ajustement de volume, pour que le pain, délicieusement doré, joue un rôle de support au-lieu de voler la vedette aux saveurs plus délicates du roi des décapodes.
Reste qu’il est difficile de se montrer trop critique envers un restaurant qu’on a visité lors de son deuxième (!) service. Avec si peu de recul, ni le chef ni son équipe n’ont eu le temps de faire les ajustements nécessaires. Quelque chose nous dit toutefois que cette onde gustative (plus que les initiales d’Olivier Massart, Om, qui se prononce d’ailleurs « omm » et pas « ohem » est « une vibration accordée à la fréquence du vivant – 432 Hz ») ne sera que plus spectaculaire une fois que quelques détails auront été accordés. Ici, un pain brioché qui y va un peu trop fort, et éclipse de délicates tranches de boeuf et de homard pourtant savoureuses, là, une ambiance lumineuse qui mériterait d’être plus douce, et d’immerger chaque table dans un cocon isolé des autres dîneurs… Mais c’est le tout début.
Et pour quelqu’un qui finissait d’installer les meubles de la salle quelques jours seulement avant notre visite, c’est plus que réussi.
Automne oblige, la carte propose en dernier plat un morceau de biche délicieusement rosé et saucé. Un choix qui ravira les amateurs de gibier, sans pour autant décourager les plus timorés, avec une pièce de viande accessible, à même de plaire au plus grand nombre. On valide et on savoure, occupés que nous sommes à tailler cette belle viande avec notre beau couteau aiguisé pour l’occasion. Vient ensuite l’heure de conclure cette agape. Monsieur opte pour le dessert, Madame pour le chariot de fromages de chez Caseus, d’autant plus irrésistible qu’il s’agit donc bien d’un chariot, roulé à table, et non d’un « plateau » qui n’en a que le nom, triste planche ornée de quelques pauvres morceaux. Parmi la sélection de 12 délices plus ou moins affinés, on retrouve toutes les familles de fromages, du bleu aux croûtes lavées, et ce serait sincèrement impoli de ne pas toutes les goûter. Même si on souffre d’une intolérance au lactose auto-infligée, oui. « Ça va tonitruer ce soir » marmonne, amusé, celui qui a opté pour le dessert et semble visiblement penser, à tort ça va sans dire, que les liens du mariage le protègent d’un procès pour calomnie. La violence des hommes ne connaît décidément aucune limites, pas plus que l’appétit pour le fromage, donc, qui est ici non seulement bien choisi mais aussi bien servi, accompagné d’un chutney de pommes maison absolument exquis.
Le dessert est peut-être une note un peu moins haute (ces fameux ajustements de début de concert) mais les mignardises permettent néanmoins de finir le repas sur une symphonie sucrée sans le moindre accord manqué, du chou qui mériterait de servir d’exemple en école de pâtisserie au chamallow poudré, qui rappelle les guimauves de chez Etna aka la perfection faite gougouille pour ceux qui savent. Au moment de quitter Om, comme tous les dîneurs, on échange quelques mots avec le chef, qui tient à saluer personnellement chaque table, et on ne peut s’empêcher de se dire qu’il est non seulement très doué, mais aussi extrêmement touchant.
Il a du talent, Olivier Massart, de l’imagination et de l’ambition, mais aussi un appétit d’amélioration intact en plusieurs décennies dans le métier. Pour la petite histoire, à l’heure où l’on collaborait régulièrement avec une gazette lidjeüse bien connue, il faisait partie des restaurateurs qui y prenaient régulièrement de la pub. Parce qu’il avait envie de mettre son Ô de Vie en avant, bien sûr, mais aussi, on choisit de le croire, parce qu’il ancre son projet dans sa région, dont il est fier, et que cela passe par une forme de soutien aux médias.
En plus de 10 ans d’existence de Boulettes Magazine, on peut compter sur les doigts d’une main et demi les fois où on a mis notre plateforme médiatique à profit pour obtenir une invitation à gauche ou à droite. Le fait est qu’en apprenant la renaissance de la Villa des Bégards, avec un tel marmiton aux commandes, on n’a pas pu résister, d’autant qu’on connaissait la pétillante personne chargée de ses relations publiques, donc vraiment, l’occasion était trop belle. On a été touchés par l’enthousiasme avec lequel le chef, décidément consommateur de presse, a accepté, et bien qu’on n’ait pas payé notre repas cette fois, en additionnant ce qu’il nous aurait coûté, on se dit que c’est un excellent rapport qualité-prix. À la table d’à-côté, un couple de connaissances, jeunes trentenaires comme nous (la salle était plutôt dans ces eaux-là niveau âge, ce qui en dit long sur l’attrait rafraîchissant de l’adresse) retrouvés par hasard sur place, s’est vu présenter une addition, par contre.
On n’a donc évidemment pas résisté à l’envie de leur demander leur débrief’, en l’occurence: « Tous les plats étaient délicieux, bien présentés et exécutés avec précision. L’harmonie sans alcool est peut-être un peu chère par rapport à la variante alcoolisée (le sommelier nous a confié travailler des propositions plus élaborées encore pour la suite, NDLR) et ce type de cuisine demande un peu de patience ». Succinctement, c’est donc ce qu’on vous a servi dans l’équivalent écrit d’un menu six services : c’est (très) bon et cela fait preuve d’une inventivité et d’une audace qui manquent parfois cruellement dans les cuisines du sud du pays. Il y a quelques fréquences à légèrement ajuster pour la suite, mais même les plus grands compositeurs doivent bidouiller un peu leurs symphonies au début.
Et cette étoile, alors, qui brillait sur le bâtiment il n’y a pas si longtemps encore ? On la souhaite de tout coeur à l’Om restaurant. Parce que le chef la mérite, son équipe aussi, et puis parce que la région mériterait bien de briller un peu plus encore au firmament gastronomique.
Avec son restaurant en résonance, Olivier Massart fait chanter les saveurs et compose une harmonie d’émotions qui fait vibrer les gourmets. Quand il aura réglé le volume de certains plats, quelque chose nous dit que sa mélodie culinaire pourrait atteindre une note qui lui a toujours échappé jusqu’ici. C’est du moins tout ce qu’on lui souhaite.
Om Restaurant
Voie de l’Ardenne 112, 4053 Embourg – 04 246 41 24 – Om Restaurant
Photos : Clickeo