Entretien aviné avec Michel Delrée, 1er sommelier
Premier sommelier au siècle dernier, c’est comme ça que se présente Michel Delrée. Mais on sait que le bon vin, ça vieillit bien. Et puis, dans le métier, avoir un peu de bouteille, c’est même conseillé. Alors forcément, j’en profite pour l’interroger sur ce qu’il pense du marché.
D’emblée, Michel embraie sur la mode du tout au bio. S’il salue et accueille positivement la tendance d’un retour aux procédés naturels dans la culture du vin – « je suis pro vins bios et d’une certaine manière, ils devraient tous l’être » – il regrette l’effet de mode et l’obsession de la certification. De plus, toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne et il n’est pas possible d’être bio partout.
Et Michel de regretter l’équilibre perdu, que l’on trouvait autrefois dans la jachère… « nous sommes dans une société de consommation et tout doit aller plus vite. On n’a plus de cave et on consomme les vins plus rapidement. Ils doivent être prêts beaucoup plus vite. Le prix des vins a également fortement augmenté avec la mondialisation. Avant on pouvait laisser vieillir des bouteilles et s’il fallait en ouvrir trois pour en avoir une excellente ce n’était trop grave. Maintenant si tu dois laisser vieillir des châteaux cheval blanc à 500€ la bouteille et que tu dois en ouvrir trois pour en avoir une bonne ça fait très mal. »
Des évolutions qui ne sont pas sans conséquences sur les habitudes des vignerons et des professionnels du vin. « Lorsque tout le monde ne parlait plus que de Parker avec ses vins bodybuildés et hyper concentrés, les vignerons se sont adaptés en hyper boissant leurs vins avec de mauvais fûts ou des infusions de copeaux. Heureusement, on revient de plus en plus vers des vins plein de fruits avec une belle acidité.«
Les goûts et les couleurs
Il a beau défendre que l’on peut faire du bon vin partout, lorsque je l’interroge, Michel m’avoue rester un grand fan des vieux rieslings allemands et être toujours excité à l’idée de déguster un grand pinot noir. Impossible toutefois de le pousser à se prononcer sur un château en particulier. Michel préfère rester consensuel : « Mon vin préféré est celui que je bois avec mes amis. Le vin c’est un moment, une situation, un repas… même le meilleur vin du monde dégusté dans de mauvaises conditions ne me rejouira pas plus que cela«
Et même si un repas entre amis n’a pas de prix, que l’on se rassure, il est encore tout à fait possible de se faire plaisir sans se ruiner : « A l’heure actuelle, on peut assouvir sa passion avec des budgets raisonnables et se faire plaisir avec des vins entre 10 et 20€ la bouteille. Il y a même d’excellentes choses. Le problème pour les producteurs, c’est que cela constitue un peu un ventre mou, entre les vins à petits prix et les grands vins, qui trouvent à leur manière tous les deux acquéreurs« .
On peut aussi se réjouir, car la qualité des vins à tendance à augmenter, même si, de l’aveu de Michel, il reste du chemin à parcourir : « je ne comprends pas comment, avec les moyens techniques actuels, on réalise encore autant de mauvais vins« . En la matière, certains outils peuvent aider l’amateur, comme l’Oxford Companion to Wine, que Michel ne quitte jamais véritablement. En revanche, il reste sceptique quant à la banalisation de Vivino : « Aujourd’hui, tout le monde l’utilise, mais je ne trouve pas cela conforme à la réalité ».
Choisir son vin, quand on n’y connait (presque) rien
Il n’y a pas besoin d’être un grand spécialiste pour se repérer. L’important, c’est avant tout de prendre du plaisir et de partager avec d’autres ses impressions, ses découvertes et ses coups de coeur. C’est la meilleur manière de faire ses armes. Sans entrer dans trop de spécificités, Michel m’explique que l’on distingue cinq grandes familles d’arômes dans un vin : fruitées, fleuries, épicées, minérales et empyreumatiques, telles que le tabac ou le cuir.
Dans les grandes surfaces, il reste qu’il est parfois bien difficile de se repérer. Le rayon vins est même l’endroit où le consommateur perd le plus de temps dans un supermarché, pour au final se laisser séduire par l’étiquette ou une quelconque médaille. Et c’est sans évoquer la difficulté de réfléchir à son accord vin… en la matière, Michel Delrée dispense régulièrement des conseils sur son blog. J’y ai fait un tour et, en synthèse, voici quelques règles essentielles :
- Règle n°1 : le principe des combinaisons : un vin léger pour un plat léger ; un vin corsé pour un plat charpenté. Pour un plat acidulé, optez pour un vin avec une touche d’acidité. A plat très épicé, vin sucré.
- Règle n°2 : le principe de non-concurrence des arômes : ne pas associer des vins et des plats qui entrent en conflit. Par exemple, si vous servez une sauce au vin, privilégiez un même type de vin dans le verre.
- Règle n°3 : à plat simple, vin simple et à plat élégant vin élégant : il s’agit tout simplement ne pas écraser les saveurs de votre plat. Oubliez donc tout de suite le JP Chenet avec des ris de veau ou le spaghetti bolognaise arrosé de château Margaux.
- Règle n°4 : le principe du terroir : privilégier des associations vin-mets en provenance de la même région.
Théoriquement, ces quelques règles doivent permettre de tenir la route lors d’un repas de famille avec beau-papa. En pratique, il reste difficile de s’en tenir à des principes abstraits. Raison pour laquelle j’ai demandé à Michel Delrée de m’indiquer quelle boisson il choisirait pour chacun des plats ci-dessous. Sans réfléchir et sans mentir :
- Un plateau de sushis ? Un Riesling allemand ou un Grüne Veltiner autrichien
- Une entrecôte de blonde de Galice maturée ? Soit aller chercher le gras avec un vin du Sud du Rhône, par exemple un Vacqueyras, soit souligner l’acidité avec un vin du Nord du Rhône, comme un Saint Joseph
- 6 huîtres de Noirmoutier ? Je resterais dans la région, avec un Muscadet ou partir sur un Sauvignon de Loire
- Un canard au curry rouge ? Un cabernet franc de Loire. Un saumur ou un chinon.
- Un verre entre potes ? Toutest permis
- Des ris de veau ? Comme premier choix, je dirais un bourgogne blanc, mais un bourgogne rouge peut très bien faire l’affaire
- Des pâtes à la truffe ? Un Sangiovese, pour rappeler l’acidité et la terre. Mais cela dépend bien entendu de l’accord à réaliser.
- Une crème brûlée ? Un Rivesalt ambré, dans le Languedoc-Roussillon
- Un fromage de Herve ? Un Gewurtzaminer d’Alsace
- Un tartare de thon rouge et avocat ? Un saké, mais un vrai. Enfin, un bon.
- Un bol de pho ? Un vin rouge de Jerez de la Frontera (Xérès)
- Un couscous ? Un vin de là-bas. Il y en a de très bons, mais un grenache rouge, pour retrouver le petit côté compoté.
- Des asperges ? De l’eau. Ca peut surprendre, mais c’est pourtant le meilleur accord.
- Un homard au safran ? Un vin blanc du Juras
- Un boulet frites ? Une bière
- Un tête-à-tête en amoureux ? Ca dépend de la femme.
- Un barbecue à la maison ? Un vin facile. Un vin de soif, comme un beaujolais.
- Un plateau de dim sums ? Un bourgogne blanc ou un vin rouge de Loire
- Une casserole de moules ? Une bière ou un vin blanc avec de l’acidité comme un riesling
- Un toast au foie gras ? Si c’est à l’apéro, un grenache blanc ou certains vins grecs, qui s’accordent très bien. Autrement, un gerwurtzaminer
De la passion à revendre
Et pour ceux qui souhaiteraient pousser l’expérience un peu plus loin, Michel Delrée propose depuis peu des cours d’œnologie à la carte et pour tous les niveaux à destination de groupes d’un dizaine de personnes (env. 50€/pp.)
Mais assez parlé. Place à la pratique. C’est que j’ai un Saint-Aubin 1er cru à finir avec tout ça. Le domaine s’appelle derrière chez Edouard. Les vignes sont situées à flan de colline derrière l’église du village. En me concentrant un peu, j’entends presque sonner les cloches … In Vino Veritas. Bonne pâques à tous !