
Lavoisier ou l’art délicat d’humaniser la mort
On ne choisit pas sa mort, mais on peut s’y préparer. Un sujet aussi universel qu’impopulaire que nombreux préfèrent éviter, quitte à devoir improviser une fois l’inévitable arrivé. Frappé par la mort d’un proche, submergé par le chagrin et désemparé par les impondérables tracasseries administratives qui l’accompagnent, le réflexe est alors de se raccrocher à des canevas standardisés, où la personnalité du défunt ne s’incarne qu’à la marge, dans des petits mots entrecoupés de sanglots ou dans le choix d’une chanson pour accompagner la crémation. Une désincarnation de la mort que remettent en question Betsy et Charlotte avec les funérailles Lavoisier, un service de pompes funèbres pas comme les autres qui entend humaniser la mort.
Quand le message de Besty et de Charlotte est tombé dans notre boite mail, notre attention a tout de suite été attirée par le projet Lavoisier. Par sa finalité autant que par son style, léger, poétique, artistique, mais aussi par le pédigrée de ses porteuses de projet. D’un côté, Betsy Zbiegiel, diplômée de l’Ecole National Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, bachelier en psycho à l’ULB et diplômée Entrepreneur de pompes funèbres de l’IFAPME, un secteur où elle a travaillé huit ans avant de se lancer à son compte. De l’autre, Charlotte Detreppe, originaire de Liège diplômée de l’ULB en anthropologie et passée dans une vie antérieure par les arcanes du pouvoir, pour le meilleur ou pour le pire. Des parcours singuliers qui marquent l’essence même du projet.
Des funérailles justes et humaines, ça consiste en quoi ?
Notre volonté est d’offrir un accompagnement au plus juste pour amener à une cérémonie qui fait du bien aux proches et correspond aux volontés du défunt. Plutôt que de travailler avec une formule toute faite où on change juste quelques éléments biographiques, on cherche des propositions ouvertes et hors des sentiers battus, par exemple au travers de lieux de commémoration atypiques. En général, les gens se tournent vers des funérariums par facilité. Ça rassure et parfois, ça convient tout à fait. On respecte cela. Mais parfois, un jardin, une salle atypique ou encore le domicile sont des lieux qui peuvent faire sens. C’est le genre de pistes que nous explorons.
Vous parlez aussi d’accompagnement éthique…
C’est essentiel. Notre démarche est empreinte d’écoute et d’empathie et s’inscrit dans la droite ligne des théories du Care de Carole Gilligan ou de l’éthique du Care telle que théorisée par Vinciane Despret. De manière schématique, on peut dire que ce qui compte le plus pour nous, c’est le facteur relationnel qui unit les vivants et les défunts. Quand une personne décède, la relation entretenue avec les vivants ne disparait pas, elle se transforme. C’est une dynamique fondamentale au cœur de notre projet, qui y trouve d’ailleurs son nom : Lavoisier, comme le chimiste français Antoine Lavoisier à qui l’on doit la formule « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Ça et une attention soutenue pour l’impact écologique de la mort, en privilégiant notamment des fournisseurs qui produisent localement.
Quand une personne décède, la relation entretenue avec les vivants ne disparait pas, elle se transforme.
Comment passe-t-on des Arts Déco à Paris et d’anthropologie à l’ULB à entrepreneuses de pompes funèbre ?
Betsy : Durant mon cursus, j’ai nourrit une véritable curiosité pour les rites funéraires, leurs représentations artistiques et théoriques, et leur importance dans le processus de deuil. J’ai ensuite essayé d’en vivre, ce qui m’a amenée à suivre une formation d’entrepreneur de pompes funèbres, un secteur où j’ai ensuite travaillé huit années avant de cofonder Lavoisier.
Charlotte : Pour ma part, ça s’est fait instinctivement. La période COVID durant laquelle il n’était pas possible d’offrir des funérailles habituelles et de pouvoir vivre son deuil correctement m’a fait beaucoup réfléchir. Ça a réveillé chez moi un intérêt pour la mort qui a rejoint une série de réflexions théoriques et d’observations qui remontent à mes stages d’observation en anthropologie.
Concrètement, quels services proposez-vous ?
Outre notre démarche d’accompagnement, nous proposons une gamme complète de services, comme on peut la retrouver chez un entrepreneur en pompes funèbres traditionnel. On s’occupe de l’administratif, du rituel, des soins, du transport du corps, etc. En la matière, la créativité est inévitablement balisée par ce qui est légalement possible. Des pratiques comme l’humusation (enterrer le corps à même la terre) ou l’aquamation (dissolution du corps dans une eau alcaline), qui réduisent l’empreinte écologique, ne sont par exemple pas possible en Belgique, même s’il y a de la militance en ce sens.
En quoi consiste une cérémonie réussie ?
Nous sommes une jeune structure et nous faisons le choix de nous déplacer pour aller à la rencontrer des familles là où elles sont le plus à l’aise, chez les personnes ou dans un univers familier. Nous travaillons à deux, donc un lien s’établit très rapidement. Le deuil à domicile est quelque chose de beau, car ça se fait là où la personne vivait et c’est un environnement qui s’y prête souvent bien. De manière générale, à chaque fois qu’on a opéré, ça a été très émouvant. Il faut par contre être attentif à l’injonction de l’exceptionnel. La mort n’est pas un concours, il n’est pas forcément nécessaire de sortir de l’ordinaire.
Économiquement parlant, vous parvenez à vous y retrouver ?
On se lance, mais on estime qu’avec le temps, on pourra en vivre, justement parce que nous sommes une petite structure, mais on ne veut pas s’inscrire dans des canons habituels de rentabilité, parce que nous ne considérons pas la mort comme une marchandise, ni les endeuillés comme des consommateurs. À terme, notre vocation est d’évoluer vers un modèle coopératif ouvert à tout qui se sent animé par l’objet de la coopérative.
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Funérailles Lavoisier
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