Le roi des ombres – Gros plan sur Stéphane Deleersnijder, photographe lumineux
Ce jeudi, c’est l’inauguration de l’expo de Stéphane Deleersnijder au Hangar.
Une expo joliment intitulée « Quelques histoires d’ombres et de lumières » – métaphore exquise s’il en est des moments agités que nous traversons en ce moment.
Reste que ses ombres à lui ne sont pas métaphoriques: elles habitent ses photographies pour leur donner une profondeur troublante. Rencontre avec un artiste lumineux.
« Comme beaucoup de monde, il y a quelques années, avec l’arrivée d’appareils photo intégrés dans les smartphones, j’ai commencé à m’amuser à faire des photos avec mon téléphone portable. Et puis, comme ça me plaisait assez bien, j’ai eu envie de pratiquer la photo avec du bon matériel, c’est-à-dire avec un véritable appareil photo.
Je me suis donc offert mon premier réflex numérique il y a plus ou moins deux ans. J’ai tout de suite eu envie de faire des photos de rue et je m’amusais aussi à photographier mes amis lors de sorties ou d’événements culturels. Depuis, je me concentre évidemment beaucoup plus sur l’essentiel mais en tout cas, c’est comme ça que j’ai commencé…
Jusque maintenant, je suis complètement autodidacte. Mais, comme j’ai envie de me perfectionner dans des domaines plus pointus et plus difficiles à apprendre tout seul, depuis septembre, j’ai repris une formation pour me spécialiser ».
» Ce que j’aime avant toute chose, c’est d’être dans le ressenti pur quand je me balade dans la rue avec mon appareil : je ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. C’est donc essentiellement du feeling et un peu de technique photo.
Mais j’inscris bien entendu ma démarche dans une certaine réflexion personnelle. En tant qu’êtres humains, je pense que nous avons avant tout besoin de nous nourrir d’histoires, de récits et de fictions. Dans mes photos, j’essaye donc à chaque fois de raconter le début d’une histoire.
Et le type de photographie qui permet le mieux de fixer ce genre de choses, c’est la photographie de rue !
En capturant un instant où interviennent quasi systématiquement des éléments dus au hasard, le photographe se fait le narrateur d’une fiction dont le commencement est figé par le cadre mais avec des personnages qui se trouvent mis en situation d’avoir des interactions potentielles dans un certain décor.
Et mon rôle s’arrête là. Après, c’est à l’observateur (au spectateur) d’imaginer l’avant, le pendant mais aussi et surtout la suite de l’histoire… si du moins cette histoire lui parle et a des raisons d’exister pour lui.
Alors, pour essayer de décrire mon univers, je dois aussi dire que j’ai fait, il y a plusieurs années déjà, une licence en philosophie à l’ULg. Je pense que ces études et la manière dont elles permettent de questionner notre réalité quotidienne m’ont certainement influencé.
Le point de départ de la démarche philosophique, c’est l’étonnement par rapport aux choses. Et, en grec ancien, « étonnement », c’est synonyme d’« émerveillement ».
Or pour s’émerveiller, notre vision nous est bien utile ! Le regard que je développe dans mes photos est donc en partie influencé par l’attitude intellectuelle que mes études m’ont appris à adopter.
Mais je suis surtout un lecteur et pas seulement de philosophie… Je lis beaucoup de romans et de poésie et je crois que ça a des répercussions sur ma façon de voir les choses.
D’ailleurs, mon autre vie de photographe (ce n’est évidemment pas un hasard !), c’est de collaborer avec les Parlantes qui proposent, au coeur de la Cité Ardente, des lectures et des mises en voix de textes variés (littérature, poésie, chanson française…).
( J’en profite pour remercier Vanessa Herzet, la directrice des Parlantes, qui, depuis le début de mon activité de photographe, a été pour moi un soutien intellectuel et artistique très important et constant.)
Pour qu’une photo soit réussie, elle doit être correctement exposée, bien cadrée, prise à la bonne vitesse d’obturation et avec une ouverture du diaphragme adaptée à ce qu’on veut faire.
Mais attention : si la technique est essentielle, elle n’est qu’un outil. A l’aide de cette technique que le photographe se doit de maîtriser, il faut réussir à exprimer quelque chose dans une photo…
Et c’est là que l’artiste va pouvoir faire preuve de créativité.
Cette créativité peut se concrétiser de différentes manières bien entendu !
En ce qui me concerne, je m’efforce de raisonner en termes de contraintes. En effet, en art, c’est dans la contrainte qu’émergent souvent les projets les plus intéressants.
La première contrainte que je m’impose dans le cadre de mes photos de rue, c’est de travailler toujours avec le même objectif, à savoir une focale fixe de 50 mm qui correspond grosso modo au champ de vision naturel de l’oeil humain.
Ce choix technique est par conséquent aussi un choix esthétique puisque mon idée est de me rapprocher le plus possible du point de vue de l’homme.
C’est une forme de réalisme finalement…
La deuxième contrainte, c’est le choix du noir et blanc. Ce que je vais dire est un peu bateau mais nos vies, d’une certaine manière, sont faites de nuances de noir et de blanc et nous passons alternativement de l’un à l’autre.
Mais attention : la photo noir et blanc n’est pas une photo binaire !
Ça ne concerne pas toutes les formes de photos mais, dans mon travail, je suis certain que la couleur aurait tendance à distraire de l’essentiel.
Le thème de l’exposition, c’est : « Quelques histoires d’ombres et de lumières ».
La photographie, c’est une forme d’écriture.
D’ailleurs, je rappelle que l’étymologie du mot, c’est « photo » (la lumière) et « graphie » (l’écriture).
Ce que j’ai eu envie de faire dans mes prises de vue, c’est d’utiliser l’écriture photographique pour raconter le début d’une histoire comme on peut en trouver dans les premières pages d’un roman ou d’une nouvelle.
L’idée ou le pitch de l’exposition, c’est que nous oscillons tous entre ombres et lumières, lucidité et aveuglement, blessures et cicatrisations…
L’exposition sera composée d’un peu plus de trente photos qui tentent toutes à leur manière d’illustrer l’idée non seulement que nous avons besoin d’histoires au sens large du terme mais aussi que dans la vie, nous évoluons comme des funambules qui peuvent à la fois se laisser aller aux plus sombres effrois, tout comme tomber dans un trop plein de lumière ou de vérité.
C’est en somme l’idée que rien n’est tout blanc, ni tout noir…
Dans mes photos, j’essaye donc de faire briller ce qui est sombre et, dans le même mouvement, d’assombrir ce qui brille trop intensément.
// Pour découvrir le résultat, rendez-vous au Hangar du 26 novembre au 12 décembre.
L’expo est accessible le mercredi, vendredi et samedi de 15 à 18h.
Et en bonus pour les Boulettes, Stéphane a accepté de nous dévoiler sa photo préférée!
» J’ai pris cette photo en juin 2015 à Paris.
J’ai eu environ deux ou trois secondes pour réagir devant des éléments qui étaient en train de se mettre en place.
J’avais remarqué que je me trouvais effectivement derrière une jolie femme qui marchait d’un pas
assez vif. C’est la première chose qui a attiré mon attention.
Ensuite, je me suis aperçu qu’elle allait s’engager sur un passage pour piéton précédé d’une inscription « Je suis » peinte au sol.
Et là, j’ai réalisé que je ne pouvais rater ça sous aucun prétexte !
Pas le temps d’affiner les réglages de l’appareil, j’ai déclenché et ça a donné ceci…
Alors, sans vouloir brider l’imagination du public, personnellement, je trouve que cette image est chargée de significations.
Elle parle d’abord de Paris (et de son désormais historique et dramatique mois de janvier 2015) ; elle évoque également l’ambivalence existentielle qu’il peut y avoir entre le fait d’« être » quelqu’un ou de simplement « suivre » aveuglément le troupeau (cf. la structure pour les malvoyants au sol) puisque ce sont les deux verbes auxquels renvoient ce je suis ; et la femme qu’on « suit » parce qu’on l’aime… »