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Résolution élections Liège 2024 DR Boulettes Magazine

La résolution à prendre pour changer le futur de Liège

Chaque année, quand décembre fait place à janvier et à un nouveau chiffre sur le calendrier, votre magazine liégeois préféré partage une compilation humoristique des résolutions impossibles à tenir pour les Principautaires. Et si cette liste nous amuse toujours autant, la perspective des prochaines élections est, elle, tout sauf drôle. C’est qu’il suffit de regarder la situation dans les pays limitrophes ou de jeter un oeil aux prédictions électorales pour passer l’envie de rire. La bonne nouvelle ? Non seulement ce scénario catastrophe n’est pas une fatalité, mais en prime, il appartient à chacun et chacune d’entre nous de l’éviter, une (bonne) résolution à la fois. 

C’est bien connu, on ne parle pas de politique à table. Une question de bienséance, mais aussi de paix dans les ménages : rien de tel pour gâcher l’ambiance que d’apprendre qu’on partage un repas avec quelqu’un pour qui la démocratie est une notion toute relative. Problème ? À trop éviter le sujet, on a abandonné le débat au profit du soliloque, les réseaux sociaux s’étant transformés en mégaphone pour des individus qui y déversent toutes sortes d’idées – et une propagande dangereusement attirante. C’est ainsi que quand surgit entre le fromage et le dessert une allusion à la situation politique actuelle ou aux prochaines élections, elle a souvent de quoi faire avaler de travers.

« Je ne voterai pas moi, ça ne sert à rien », « Si c’est le Vlaams Belang qui l’emporte, il doit gouverner sinon ce n’est pas démocratique » ou autre « Foutu pour foutu, je vais voter pour -insérer ici l’un ou l’autre parti d’extrême droite ou gauche- au moins, ça fera un peu bouger les choses » : les bouches pleines de phrases à l’emporte-pièce sont légion.

Et là où, il n’y a pas si longtemps, ne pas voter était vu comme quelque chose de répréhensible, désormais, pour certains, c’est un acte militant. Tout comme la décision de donner sa voix à des partis dont la genèse est de taire celles de la majorité au profit d’une minorité aux idéaux tout sauf démocratiques.

Déferlante de haine xénophobe à Dublin ou à Lyon, extrême droite aux Pays-Bas, néo-facisme en Italie, populisme à tous les étages… les mauvaises nouvelles ne sont plus l’exception mais la norme, banalisant des comportements qu’on n’aurait pas même imaginé il y a 20 ans de ça, quand la jeunesse s’insurgeait de la percée du Front national avec Fils de France en fond sonore. Aujourd’hui, elle défile cagoulée dans les rues pour demander la fin de la migration, avec un mode opératoire qui semble tout droit inspiré des mangemorts de Harry Potter. Autant de glissements qui témoignent du fait que la marée brune n’est malheureusement plus une aberration conjoncturelle, mais une réalité structurelle. Pays riches ou moins bien lotis, au nord ou au sud, anglo-saxon, germains ou latins, les petits ruisseaux nauséabonds sont devenus des torrents de haine.

Comment en est-on arrivés là ? La réponse est longue, complexe et difficile à articuler.

La faute aux réseaux sociaux, disent les médias, eux-mêmes pointés du doigt par une partie des sphères académique et politique, lesquelles sont décriées par les penseurs, eux-mêmes accusés de propager des idées dangereuses sur les réseaux sociaux. Le fait est qu’il est illusoire de se concentrer sur les responsabilités des uns et des autres, alors que de manière plus pressante, chacun·e d’entre nous est responsable du futur de Liège. Qui dit année électorale dit en effet opportunité d’influencer de manière directe le futur de la ville. En allant voter, cela va sans dire, mais aussi et surtout en prenant une bonne résolution de la plus haute importance à notre époque: s’informer.

Interférences sociales

Ce qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne correspond pas plus à « surfer sur un torrent d’informations déferlant sur chaque écran » qu’entendre n’est la même chose qu’écouter. À l’ère des réseaux sociaux et de l’info en continu, on reçoit en permanence une quantité d’information d’autant plus difficile à assimiler qu’elle se fond en une masse indiscernable. Dans la même minute, le fil d’actualité de votre réseau de choix peut vous exposer à des informations (vérifiées ou non) sur la situation dans un pays en conflit, une pétition pour (ou contre) la présence du Père Fouettard à la Saint-Nicolas, une vidéo de bébés animaux trop mignons et une photo ultra pixelisée publiée par votre Mamy Micheline.

Et pourtant, 31,3%, des Belges de 16 à 64 ans utilisent les réseaux sociaux comme sources d’infos (source : Xavier Degraux, étude Réseaux sociaux en Belgique – 2023).

Les grands gagnants de cette cacophonie cognitive? Les partis populistes, qui font le pari de messages simples et percutants, diffusés au public le plus large possible.

C’est un peu comme si, dans le brouhaha d’une foule, ils étaient les seuls dotés d’un mégaphone, histoire de s’assurer de la portée de leurs idées. C’est pourquoi, sur Youtube, les publicités d’un parti d’extrême-gauche s’invitent entre deux clips ou vidéos, tandis que sur les réseaux sociaux, un parti de droite (aux liaisons dangereuses avec l’extrême-droite) est le plus gros dépensier du pays en matières de posts sponsorisés. Et c’est ainsi qu’à force de matraquage et de répétition de slogans pensés pour avoir le plus d’impact possible, des personnes jusqu’ici plutôt modérées se retrouvent à dire qu’en octobre prochain, elles donneront leur voix à un parti dont les idéaux vont à l’encontre de ceux de notre démocratie.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Et qui peut les blâmer ? Pandémie, crise de l’énergie, hausse du coût de la vie… La Belgique n’a pas été épargnée ces dernières années, et Liège n’est pas en reste, au contraire. Entre les travaux tramatiques qui ont transformé une bonne partie de la ville en parcours d’obstacles, l’augmentation des prix de l’immobilier, les inondations, la précarité des finances publiques, une mendicité « devenue quasi ingérable » selon un média de référence et une toxicomanie qui semble toujours plus présente dans l’espace public, les problèmes ne manquent pas.

Là aussi, c’est une aubaine pour les populistes. Sauf qu’ainsi que le veut l’adage (et l’expérience), si c’est trop beau pour être vrai, c’est probablement que ça ne l’est pas. Et si une solution semble trop simple, c’est un problème.

S’il suffisait de claquer des doigts pour régler de manière humaine et digne la problématique de l’insécurité en centre-ville, non seulement ça se saurait, mais en plus, cela aurait déjà été fait. Pareil pour les questions économiques : s’il y avait quelque part des millions d’euros secrets qui ne demandaient qu’à renflouer les caisses de la ville, et les vôtres tant qu’on y est, ils auraient déjà été mis à profit.

Il est tentant et simple de blâmer les politiciens, mais même les plus cyniques, qui dénoncent carriérisme et poursuite de l’intérêt personnel, doivent admettre que les hommes et les femmes qu’on élit au pouvoir ont tout intérêt à le garder. Et que pour ça, le plus simple, c’st encore de faire leur travail, en cherchant à résoudre les problèmes existants, éviter que de nouveaux écueils ne se présentent, et veiller à ce que la population soit contente. Ce qui n’empêche pas de serrer des mains, couper des rubans et chercher la lumière des projecteurs. C’est dans l’intérêt de leurs électeurs, et donc, le leur. Donc si, comme c’est le cas à plusieurs niveaux dans le 4000, les attentes ne sont pas atteintes, c’est que ça coince quelque part.

Et à moins d’élire des créatures magiques au gouvernement communal (on l’avoue, on voterait d’office pour Minerva McGonagall) croire que « secouer le bazar » et donner plus de pouvoir à des partis aux solutions aussi simplistes qu’irréalistes va arranger les choses relève du domaine de l’imaginaire.

Knowledge is power

Bon, mais si les élus actuels sont décevants et que leurs alternatives le sont plus encore, quoi alors ? Circulez, y’a rien à voter ? Si on part du principe que Liège est notre maison métaphorique à tous, disons que cette approche équivaut à avoir une fuite dans le toit, mais ne pas faire appel à un corps de métier parce que « ce sont tous des ripoux » (sic).

Non seulement cela ne résout en rien le problème, mais en prime, ça l’empire sur le long terme, et la fissure risque de s’élargir jusqu’à ce que le toit finisse par s’écrouler. Sur nos têtes à tou·te·s, dans le cas de la toiture métaphorique, certes déjà quelque peu cabossée, qui surplombe la ville. À moins, et on y revient, de prendre la résolution de s’informer.

Car s’il s’agit de veiller à ne pas jeter le bon grain avec l’ivraie, reste que dénoncer l’approche réductrice du « tous pourris » ne revient pas à dire que tous les politiques méritent un nouveau mandat en 2024. Certains ont fait leurs preuves, d’autres ont fait leur temps, mais la seule manière de le savoir vraiment, c’est en s’extrayant du brouhaha qui les entoure et en prenant le temps de regarder les temps forts (et faibles) de leur mandat.

Pareil pour les partis: plutôt que de succomber à des promesses, on se plonge dans les programmes. Oui, ça demande plus de temps, et dans le cas de certains partis passés experts dans l’art des tournures de phrase illisibles, c’est même franchement pénible, mais sachant qu’il s’agit-là de ce qu’ils veulent mettre en place pour les cinq années à venir, mieux vaut savoir à quelle sauce on sera mangés avant de se jeter dans la gueule du loup.

Peut-être que vous ne croyez plus dans le pouvoir de nos politiques à changer les choses, mais il y a certainement d’autres choses dans lesquelles vous croyez. Des valeurs qui vous tiennent à coeur, et qui sont vraisemblablement aussi au coeur des préoccupations de l’un ou l’autre parti. Le bulletin que vous remplirez en octobre prochain n’appartient qu’à vous: c’est votre choix, et ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça un « isoloir ». Mais avoir la possibilité de voter est une chance qu’il ne faut pas sacrifier, pas plus que celle d’avoir accès librement à toutes les données nécessaires pour faire un choix informé. Promis, ça change la vi(ll)e.

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.