« 20 ans et en chimio », récit du combat de trois jeunes femmes contre le cancer
Quand le diagnostic de « cancer » est posé, c’est toujours injuste, inattendu, trop tôt, quel que soit l’âge de la personne qui le reçoit. Mais si celle-ci vient à peine d’entrer dans l’âge adulte, tous ces qualificatifs ne sont que plus cruellement ressentis. Diagnostiquées au sortir de l’adolescence, 3 jeunes lectrices de Boulettes Magazine ont accepté de raconter leur combat.
Entre peurs, espoir, incertitude, traitements qui font autant de mal qu’ils font du bien et difficulté d’être confrontées à des questions de vie ou de mort à l’heure ou leurs pairs ont des vies bien plus légères, leurs témoignages sont aussi précieux que poignants.
Zoé, 22 ans, a reçu son diagnostic en plein confinement
Florence, 31 ans, a découvert son cancer après que sa cousine soit tombée malade
Valentine, 31 ans, a été atteinte d’un cancer du sein il y a 9 ans
« J’ai réalisé que quelque chose n’allait pas en janvier 2015. J’avais 22 ans, je vivais toujours chez mes parents, et alors que je m’apprêtais à m’endormir, j’ai ressenti le besoin d’ôter mon haut de pyjama parce que j’avais trop chaud, ce qui ne m’arrive jamais habituellement. C’est en frôlant mon sein au moment de retirer mon t-shirt que j’ai senti un truc bizarre dans ma poitrine. J’ai commencé à palper un sein puis l’autre pour voir si il y avait une différence, et du côté gauche, je pouvais « tenir en main » une grosse boule, quasi de la taille d’une boule de billard. Je n’ai pas voulu aller réveiller mes parents qui dormaient déjà mais c’était clair que quelque chose clochait, et dans ma tête, ne connaissant pas les autres possibilités, ça ne pouvait être qu’un cancer. J’ai senti que ça allait être compliqué et j’ai commencé à pleurer.
Ce jour-là, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’en ai parlé le lendemain à ma mère, qui m’a tout de suite conseillé d’aller voir ma gynécologue, et la consultation m’a rassurée. La doctoresse m’a immédiatement confirmé que ce n’était pas anormal d’avoir des boules comme celle-là avant les périodes de règles, et que souvent, ça s’en allait après les menstruations. Elle m’a dit aussi de revenir si après cette période je sentais toujours la boule. Elle m’a dit que vu mon jeune âge et l’absence d’antécédent dans ma famille, il n’y avait aucune chance que ce soit un cancer mais plutôt un fibroadénome, qui n’est pas dangereux et avec lequel on peut vivre sans problème. J’étais donc confiante et apaisée. A l’époque, j’avais des vacances prévues au ski et je ne voulais pas être réglée pour aller sur les pistes, donc j’avais continué de prendre ma pilule puisque selon ma gyné, je ne risquais rien. J’ai donc attendu 2 cycles avant de retrouver ma période de menstruation et de m’apercevoir que la boule était toujours bien là. Je retourne donc chez ma gynécologue, toujours sereine sur le peu de probabilité que ce soit un cancer, mais elle me conseille tout de même d’aller faire une mammographie et une échographie. Et je me souviens encore de ses mots « s’ils voient que c’est nécessaire, ils feront aussi une biopsie ». Je suppose que ce n’est pas un spoiler de vous dire que biopsie il y a eu. J’ai dû attendre d’avoir ma mammographie, puis tout s’est accéléré. Ma grand-mère m’avait accompagnée au rendez-vous, qui a eu lieu un vendredi fin de journée, et le lundi, j’étais de retour à l’hôpital pour une IRM d’urgence. Le jeudi, l’hôpital m’appelait pour me demander de m’y rendre au plus vite. Il y a eu moins d’une semaine entre les deux, mais ça m’a semblé interminable.
Même si mes parents ne seront peut-être pas d’accord avec moi, parce qu’ils pensent que ma gynécologue n’a pas été assez vigilante, je pense qu’elle a suivi le protocole habituel pour quelque de mon âge, sans antécédents familiaux. Une fois que le diagnostic est tombé, par contre, j’ai été carrément « couvée » par le service oncologie du CHC St Joseph, des médecins aux infirmières coordinatrices en passant par les membres de l’équipe « recherches cliniques ». Ils ont été incroyables, peut-être parce qu’à l’époque, j’étais la plus jeune patiente du service. J’ai reçu mes résultats par téléphone, et dans ce cas-là, ils n’emploient pas le terme « cancer » mais ils m’ont dit « cellules cancéreuses » et dans ma tête, un peu naïvement comme toujours, j’ai cru que ces deux termes ne signifiaient pas la même chose, va savoir pourquoi.
J’étais tellement jeune et naïve, que j’ai toujours cru que j’allais m’en sortir. J’étais très bien entourée par une équipe médicale de feu, tout le monde était rassurant : on allait, ensemble, faire ce qu’il fallait. Je pense que dans ma tête je me suis dit « j’ai encore trop de temps devant moi et trop de trucs à vivre », ça DOIT aller, pas le choix. Mais bon, la mort est présente, cachée, et on lui fait quand même coucou de loin. Etant jeune, j’ai eu 6 mois de chimiothérapie hardcore, puis une ablation totale du sein gauche et la reconstruction lors d’une seule et même opération. On m’a aussi retiré un ganglion sous l’aisselle. Et ensuite, un mois de radiothérapie. Les pires moments c’est facile :
- L’attente du diagnostique (très long, on ne pense qu’au pire).
- Quand on m’a annoncé que le cancer était trop agressif, et que c’était trop risqué donc impossible de prélever des ovocytes. J’avais un cancer hormono-dépendant de stade 3 sur 4.
- Quand ma gynécologue a reçu les résultats et qu’elle m’a téléphoné pour m’informer sur tout ce que j’allais subir. Elle m’a dit « Vous êtes bien assise, vous êtes accompagnée ? » et puis elle m’a tout balancé, « Vous allez devoir arrêter vos études, avoir de la chimio, perdre vos cheveux, être mise en ménopause forcée (à 22 ans !!!), etc … ». C’était long cette conversation, et très trash, mais en même temps, c’est la seule qui a été 100% honnête et transparente. Je me suis dit « je ne mourrai pas sans diplôme ».
- La perte de mes cheveux, qui a rendu le tout visible aux yeux des autres.
- Le moment juste avant l’opération où tu sais que tu t’endors avec deux beaux seins, mais tu ne sais pas dans quel état ni avec quoi tu vas te réveiller. Je me suis félicitée d’avoir opté pour la reconstruction immédiate, même si pas vraiment recommandé quand il y a des rayons derrière. Psychologiquement, pour moi, c’était indispensable.
Mon entourage, mes études, mon âge, les médecins et tout ce qu’il me restait encore à accomplir m’ont donné la force de me battre. J’ai toujours été une bonne vivante, positive, dynamique. J’aime la fête, j’aime mes amis, j’avais envie d’encore, de plus. Mon entourage et mon copain de l’époque ont été incroyables. Même si on n’était ensemble que depuis 6 mois au moment du diagnostic, mon copain est resté, il ne me voyait pas comme une « malade », j’étais normale à ses yeux. Il continuait de me faire vivre, de m’emmener faire plein d’activités et ça, ajouté au soutien de ma famille et de mes meilleures amies, ça n’avait pas de prix. Puis j’aime bien suivre les règles donc j’écoutais juste les médecins c’était facile. Et je pense qu’en étant plus jeune, on a encore plus de forces pour se battre contre la maladie.
J’ai très mal vécu les transformations physiques. Plus que le fait d’avoir un cancer, parce qu’à 22 ans, on cherche son identité, on devient femme, on veut plaire. C’est le pire… Grossir de 10 kg en l’espace de 2 ans, perdre ses cheveux, on devient méconnaissable. Avec l’ablation, on est meurtries, on n’accepte plus son corps. On ne se sent plus féminine. Je ne voulais pas de soutien psychologique à l’époque, je le regrette à l’heure actuelle. Cette partie « visible » restera la plus grande souffrance.
Le diagnostic de rémission a été un énorme soulagement. J’ai attendu ça avec tellement d’impatience. 5 ans ça signifie « avoir autant de chance que quelqu’un de normal de tomber malade ». Je me souviens avoir été déçue de l’annonce du médecin. J’attendais des termes forts « rémission complète » voire guérison. Mais ils ne prennent pas de risque et donc n’emploient pas ses termes là. Avec le recul, le plus gros impact a été psychologique. Je me suis réveillée après ces 5 années (peut-être 7 ou 8 même), comme si je me rebranchais après avoir été déconnectée de la réalité. J’étais spectatrice de ma vie mais pas actrice. Quand je suis tombée malade, je me suis juré de profiter de chaque moment, et de ne pas refuser les opportunités qui s’offraient à moi et me faisaient plaisir, JAMAIS. Donc aujourd’hui, je profite de ma vie, j’apprends à devenir meilleure, à me respecter et respecter mes choix. Je ne pense pas vraiment à une quelconque rechute, car je n’ai pas envie de la provoquer. Comme je dis toujours, « on ne règle pas un problème qui n’existe pas. » Maintenant, je dois faire mon bilan une fois par an, et je suis plus à fleur de peau quelques jours avant de me rendre à l’hôpital. Je pense que c’est surtout parce que ça fait resurgir de mauvais souvenirs, plutôt que par peur d’une rechute. La seule chose qui me fait peur à ce stade, c’est de ne pas pouvoir tomber enceinte à cause de ce cancer et du fait que le prélèvement d’ovocytes était impossible pour moi. Un sentiment contrebalancé par la peur que si je suis enceinte un jour, le tout se réveille et me fasse rechuter. Mais bon, au fond de moi je me dis que j’ai donné, j’ai eu ma dose et que je pourrais peut-être être épargnée non? J’espère, en tout cas.
Mon conseil? Choisissez de vous entourer de personnes en qui vous avez confiance, et si vous doutez, demandez un autre avis. Écoutez votre corps, faites ce qui vous plaît et n’ayez pas peur. Restez actifs, restez connectés, continuez de rire. Prenez du temps pour vous et surtout prenez soin de votre corps, on n’en a qu’un pour toute la vie. Battez-vous, battons-nous, vous n’êtes pas seuls! ».
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