
À Naxhelet, Pollen rend ses lettres de noblesse au restaurant d’hôtel
Et si une des meilleures tables de la province se cachait entre un golf et un jardin maraîcher, en plein coeur de terres vallonées qui rappellent à quel point la Wallonie est belle ? Joyau du Domaine de Naxhelet, Pollen incarne la quintessence de ce que devrait être un restaurant d’hôtel; soit un véritable voyage sensoriel qu’on termine, repu et ravi, dans le confort d’un lit qu’on n’a pas dû faire soi-même.
Pourtant, de vous à nous, plus l’heure de notre réservation approchait, plus on était préoccupés. C’est que cela faisait des semaines qu’on se réjouissait de ce dîner, qu’on anticipait le plaisir de goûter à nouveau aux assiettes inventives préparées par François Durand et son équipe, mais aussi, d’être délicieusement surpris par les choix toujours aussi audacieux qu’élégants d’Alexandre Bemelmans, sommelier et maître d’hôtel de cette table éco-responsable.
Bref : on avait passé tant de temps à se dire que ça allait être dingue qu’à l’approche de notre festin, on avait fini par se convaincre qu’avec des attentes aussi élevées, on ne pouvait qu’être un peu désappointés.
Loin de nous l’idée de vous divulgâcher le contenu de cet article, mais ainsi que son titre et son chapeau vous l’ont probablement déjà laissé deviner, loin d’être déçus, on a été encore plus séduits que ce à quoi on s’attendait.
Lors de notre première visite au restaurant, il y a un peu moins d’un an, on avait déjà trouvé ça très bon. Cette deuxième visite a confirmé tout le talent de l’équipe, et nous a rendus très fiers de la Wallonie en prime.
Pourquoi? On vous raconte tout, mais disons que l’opération séduction a commencé dès notre arrivée chez Pollen.
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Le charme est dans les détails
N’en déplaise aux femmes d’un certain âge de mon entourage, que cela offense de manière disproportionnée, j’adore utiliser mon « nom de femme mariée », et plus encore qu’on l’utilise pour (parler de) moi. Autant dire que la découverte sur notre table d’un menu adressé à « Madame, Monsieur Jadot » et accompagné d’un petit message rédigé à la main par le chef, François Durand, était la meilleure manière de me mettre en joie.
Mais surtout, au-delà de mon amour pour mon mari et son patronyme, un excellent préambule à un repas où chaque détail compte. C’est qu’ayant réalisé au réveil qu’on avait sottement oublié notre menu sur la table au moment de la quitter, on a demandé à l’équipe du petit-déjeuner s’il leur en restait par chance un exemplaire, et on nous en a gentiment donné un, pas personnalisé certes, mais annoté manuellement par le chef tout de même.
Est-ce qu’il ne s’agit que d’un détail?
Peut-être, mais tout le monde sait que c’est justement là que le diable se cache, or chez Pollen, rien n’est laissé au hasard, et dès son menu dédicacé, chaque convive est accueilli comme le VIP qu’il mérite d’être quand il choisit de s’offrir une expérience gastronomique.
Laquelle commence très fort avec un assortiment de mises en bouche aussi bonnes que belles.
« Attention au moindre détail », on vous dit, mais aussi et surtout, à imaginer une cuisine qui soit à la fois gourmande, raffinée et responsable. Pour ce faire, parti pris pour les ingrédients en circuit (ultra) court et belle mise en avant du jardin maraîcher du cru, dont les herbes ornent une tartelette salée printanière à souhait et rehaussent de délicats soufflés de parmesan qu’on aurait pu gober par dizaines.
Le pain est lui aussi produit sur place, et peut d’ailleurs être acheté chez Champain, la boulangépicerie qui accueille les visiteurs à l’entrée du Domaine de Naxhelet. Malheureusement, le beurre noisette aussi sublime qu’addictif servi en accompagnement n’est, lui, pas (encore?) mis en vente, mais peut-être n’est-ce pas plus mal pour votre dignité.
Quand on aime, on ne compte pas, mais disons qu’on en a mangé plus d’une portion au cours du repas. Et qu’on ne regrette rien – à part peut-être de ne plus en avoir.
Festin divin(s)
En préambule à notre visite, on se réjouissait de retrouver Alexandre Bemelmans, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’a pas été déçus, loin de là.
La passion de ce dandy érudit pour le vin n’a d’égale que celle qu’il voue à l’art de prendre soin des hôtes de Pollen, et c’est avec enthousiasme qu’on le suit dans un voyage loin des régions viticoles rebattues, à la découverte d’un blanc des Açores aux saveurs exaltées par l’Atlantique ou bien d’un vin autrichien qui donne envie de chanter les louanges du gras.

Le chef et le sommelier de Pollen, photographiés par Maurine Toussaint (SDP)
En amoureux de la maison, on a particulièrement apprécié de commencer ce périple par un verre de Riesling de chez Sybille Kuntz, une vigneronne allemande à la production d’une élégance folle, qu’on retrouve encore bien trop peu dans les cartes de vins du royaume et qui avait ici parfaitement sa place.
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Surtout en accompagnement de la première entrée, une bisque aérée dans laquelle nageaient des légumes de saison en macédoine et un homard dont le souvenir de la chair, cuite au barbecue et au fumet subtilement fumé, nous fera encore longtemps saliver.
Belle audace
Avec ses six services (plus mises en bouche, trou normand pré-dessert et mignardises sucrées) le menu Terres du Val a de quoi impressionner, mais tout, des saveurs aux portions en passant par le rythme du service, est parfaitement équilibré.
La preuve: alors que ma tendre moitié fait partie de ces hérétiques qui « n’aiment pas les champignons », et redoutait donc l’arrivée à table du « mitonné de champignons bruns, châtaignes, pruneaux, sarriette, consommé tourbé » pensé par François Durand, c’est finalement le plat qui lui aura le plus plu de tout le repas.
C’est que le chef a le don de sublimer les produits, et de jouer de manière audacieuse avec les textures, comme lorsqu’il met en forme avec espièglerie les « arêtes croustillantes » qui accompagnent sa sole délicatement rehaussée de caviar, ou qu’il adopte une approche joyeusement régressive (« On dirait un onion ring gastronomique ! » s’est extasié la moitié susmentionnée) de sa « carbonnade truffée ».
Fausse note?
Proposé à 98 euros, le menu Terres du Val est un savoureux OVNI, du genre qui pousse à se demander comment, dans un contexte où tout coûte toujours plus cher, l’équipe parvient à proposer une telle qualité à un prix d’autant plus raisonnable qu’il est nettement en dessous des tarifs pratiqués dans des tables du même niveau.
Est-ce parce que François Durand n’a pas encore décroché l’étoile que Pollen reste aussi relativement accessible ?
Et d’ailleurs, tant qu’on en parle, pourquoi donc le Gault&Millau ne lui a-t-il accordé qu’un 13/20 qui semble d’autant plus sévère quand on pense aux autres établissements de la région qui ont la même note, mais certainement pas la même audace ?

Une épure de bon ton dans la salle du restaurant – Photo Maurine Toussaint (SDP)
Si on devait avancer (de manière très présomptueuse et absolument non-sollicitée) un élément de réponse, il serait peut-être à trouver du côté des deux « plats signature » du chef, déjà présents à la carte lors de notre visite précédente, et, oserait-on l’affirmer, pas vraiment du même niveau que les autres assiettes dans lesquelles on a eu la chance de butiner chez Pollen.
Est-ce que la fricadelle végétale, clin d’oeil du chef normand à sa Belgique adoptive, est ludique ? Bien sûr.
Mais certains plats ne sont pas faits pour être réinventés, et il en va de même pour ses « moules-frites » dont le concept fait sourire, certes, mais qui ne sont en réalité pas plus accompagnées de « frites » qu’un croque est un jambon-beurre. Et ça, dans le royaume, ça ne pardonne pas.
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Quand il met son imagination au service de la conception de plats qui n’appartiennent qu’à lui, François Durand surprend et ravit, et bien que son interprétation de ces deux classiques de la cuisine belge soit ludique, elle manque peut-être du raffinement qui définit le reste de la carte.
Adresse à suivre
Voilà pour l’opinion outrecuidante envers un chef dont le guide jaune loue au demeurant « la cuisine passionnante, à suivre de près », tandis que son célèbre concurrent à la couverture bordeaux, lui, applaudit cette « adresse qui célèbre les saveurs de saison ».
De notre côté, on profite de cet article pour louer la qualité du service, souriant, prévenant et extrêmement attentif. Cela devrait être la norme, c’est malheureusement loin de l’être, mais quand un de nous deux s’est levé durant le repas pour un passage aux toilettes, il a croisé deux assiettes en direction de notre table, aussitôt renvoyées pour être servies une fois tous les convives assis et ainsi savourées à la température parfaite.
Autre bon point: l’attention (on y revient) accordée aux végétariens, avec une déclinaison entièrement veggie friendly du menu en quatre services, dont on apprécie également que la version sans protéines animales soit proposée à un prix légèrement moins élevé (75 vs 68 euros) que sa version viandarde.
Ces dernières années, toujours plus d’établissements proposent en effet leurs alternatives végétales au même tarif que les options viande ou poisson, « parce que ce qui coûte c’est la main d’oeuvre », mais le fait est qu’on ne paie pas la même chose pour des blettes que pour de la lotte, et c’est tout à l’honneur de Pollen de le différencier dans l’addition aussi.
La cerise sur un gâteau déjà décidément bien garni ? La présence d’un joyau en voie de disparition: le chariot à fromages, très généreusement garni et servi qui plus est, et absolument irrésistible pour celles et ceux qui, comme moi, pourraient presque vendre leur âme pour un bel affinage.
Là où le dessert joue la carte de la délicatesse, histoire de ne pas surcharger le palais après un tel festin, les mignardises qui clôturent le repas, elles, peuvent se permettre une gourmandise plus régressive (et sucrée) vu leurs portions réduites, et font aux papilles le même effet qu’un feu d’artifice en fin de soirée.
Est-ce parce qu’on a mis à profit la nature verdoyante qui entoure le restaurant pour suivre le repas d’une petite balade digestive ?
Incroyable mais vrai, en tout cas, et c’est tout à l’honneur du chef et de son équipe : bien qu’étant a) une femme et b) une trentenaire, c’est-à-dire une pauvre créature affligée d’une digestion capricieuse et d’une relation amour-haine avec le lactose et le gluten (miskine), le lendemain au réveil, aucune lourdeur d’estomac à signaler.
Pour peu, on se serait bien attablés à nouveau chez Pollen le soir même, mais ainsi que notre expérience l’a démontré, il y a dans l’attente une forme d’exaltation exquise, et c’est avec joie qu’on réservera à nouveau une table dans quelques mois. En terrasse, tiens, pour en prendre plein les yeux en prime.
Même si on n’attendra pas jusque là pour tenter de reproduire leur incroyable beurre noisette…
Pollen
1, rue Naxhelet, 4520 Wanze / Le menu NB: la formule 6 services n’est proposée qu’en soirée.
Ouvert du mercredi soir au samedi, de 12h à 14h et de 19h à 21h00.
Réservations via +32 (0)85 82 64 08 ou reception@naxhelet.be