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Une journaliste flamande est venue à Liège et j’ai honte

Il y a peu, Pierre Verjans, politologue à l’Université de Liège, a accepté qu’Han Renard, journaliste au sein de Knack, le pendant flamand du Vif, assiste à son cours. Et en profite pour interroger ses étudiants sur l’impasse dans lequel le pays se trouve plongé depuis les élections de mai dernier. J’ai lu avec intérêt son article, et leurs réponses, et j’ai honte. 

Honte d’être Belge, parce que ce terme, cette nationalité, semblent tellement bafoués à l’heure actuelle; par certains politiques (Bart De Wever ne faisait-il pas récemment les gros titres avec sa proclamation que cela fait dix ans que le pays est séparé?), mais aussi certains étudiants liégeois. Honte d’être Liégeoise, donc, Wallonne aussi. Mais pourquoi tant de haine, bougonnerez-vous derrière votre écran, ce que vous êtes en droit de vous demander, et que je vais vous expliquer, même si vraiment, ce n’est pas moi qui ai commencé.

Pour le comprendre, il faut d’abord savoir l’expérience à laquelle s’est livrée Han Renard lors du cours de Pierre Verjans. Soit solliciter les 250 étudiants présents ce jour-là via Wooclap, une plateforme interactive qui leur permet de répondre anonymement et en direct à des questions sur la formation du gouvernement fédéral. Verdict? Si 47% des personnes présentes dans l’auditoire affirment s’inquiéter de la formation (ou plutôt de l’absence de formation) du gouvernement fédéral, et de ce qu’elle implique pour le pays, un d’eux écrivant notamment que « sans gouvernement fédéral, la scission de la Belgique semble inévitable », ils ne semblent pas pour autant entretenir des sentiments particulièrement chaleureux envers leurs voisins du nord du pays. Ou plutôt, puisque nous sommes à Liège après tout, leurs voisins qui habitent à 20 minutes en voiture du 4000, plus proche d’eux que la plupart des grandes villes wallonnes. Et pourtant.

Une barrière linguistique persistante

Alors que les étudiants dans l’auditoire sont de futurs sociologues, politologues ou juristes, 70% d’entre eux avouent ne jamais consulter les médias flamands, faute de parler la langue. Une situation que déplore Pierre Verjans.

« La plupart des Wallons veulent préserver la Belgique, mais ils ne comprennent même pas la langue de la majorité de ses habitants »

Logique, puisqu’on n’est pas contraints de l’apprendre, première raison pour laquelle j’ai honte. Et pourtant, à l’époque, j’ai fait comme tout le monde: anglais obligatoire en humanités, puis allemand comme seconde langue, tandis que la majorité de mes condisciples choisissaient l’espagnol, nettement plus relax sur les déclinaisons. Apprendre le néerlandais? Le consensus semblait être que ça ne servait à rien à Liège, et il semblerait que rien n’ait changé.

Enfin, pour moi, bien: l’été juste avant ma rhéto, je suis tombée amoureuse d’un Anversois, et j’ai dû apprendre le flamand sur le tas. Et de réaliser, en rencontrant sa famille, qu’ils étaient tous parfaits bilingues en français, pour la simple et bonne raison qu’eux avaient été obligés de l’apprendre dès leur plus jeune âge. Honte, à l’époque, de balbutier que moi pas, et que ça ne m’avait pas semblé utile de l’apprendre en option, honte, aujourd’hui de constater que pour les générations suivantes, c’est pareil, alors qu’entretemps, il y a eu 2007, « Bye Bye Belgium », de nombreuses crises fédérales, et un besoin toujours plus fort de préserver l’unité du pays contre de beaux parleurs qui voudraient faire croire que la Belgique n’a plus de nation que le nom. Le meilleur moyen de les faire taire? Leur répondre, dans leur langue maternelle, qu’ils mentent, et qu’ils peuvent aller prêcher la mauvaise parole ailleurs. Godverdomme.

« Je n’aime pas les flamands »

Outre la barrière de la langue, certains sont tout simplement barrés. On s’y attend de la part de vieux de la vieille, qui trempent leurs tartines de sirop dans leurs cafés au lait et qui prononcent encore régulièrement l’expression « môssi flamins », moins de la part d’étudiants supposés être ouverts d’esprit ou du moins ouverts sur le monde, à commencer par leur propre pays. Et pourtant, quand il s’agit de justifier la méconnaissance du nord du pays et de son paysage médiatique, il n’y a pas que la langue qui est évoquée.

« Je n’aime pas les Flamands, à part KDB »

Une déclaration qui fout pas mal la honte aussi, surtout quand elle est juxtaposée à celle d’un autre étudiant, qui se demande « Pourquoi s’intéresser à des médias qui se moquent constamment de vous? ». Eux se moquent, nous on les « déteste », et entretemps, on n’est pas sortis de l’auberge. Surtout quand on voit que la majorité des étudiants du Professeur Verjans sont acquis à un gouvernement PS- N-VA. La N-VA au pouvoir, echt waar?

On ne djôse nin flamin, d’ailleurs on les déteste, et en prime on voudrait que Bart De Wever nous gouverne, c’est vraiment ça l’image qu’on veut donner de Liège? Pas en mon nom, alstublieft.

Ma Wallonie n’est pas celle des francophones bornés et des rageux, pas plus que ma Flandre n’est celle des flamingants et des haineux. L’eenheid fait la kracht, et plutôt que de maugréer devant les nouvelles venues de Flandre et les dernières frasques de Theo, Bartje et al, on ferait bien de s’en rappeler. Et de rappeler nos élus à l’ordre, aussi, parce que comme leur nom l’indique, nous sommes ceux qui les avons élus, et selon un sondage réalisé à l’automne dernier, 86% des Wallons sont contre la scission du pays.

Un point de vue qu’il est grand temps de faire entendre, en français ET en flamand.
Et puis en plus, tout le monde sait que le meilleur Rode Duivel, ce n’est pas KDB mais bien Thibaut Courtois. Punt aan de lijn. 

Photo de couverture: Unsplash

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.