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Féminisme - Pexels - CoWomen

Victoire Cappe, la Liégeoise oubliée qu’on devrait célébrer

Victoire Cappe n’a pas de place, de rue ni même de statue à son nom à Liège et c’est bien dommage. Oubliée de l’Histoire, celle qui est morte à 41 ans seulement a dédié sa vie à l’émancipation des femmes en Wallonie. 

D’elle, on sait finalement trop peu de choses. Victoire Ida Jeanne Cappe, de son nom complet, voit le jour le 18 mars 1886 à Liège. Fille d’un avocat franc-maçon, elle vit une enfance difficile et fait le choix de se faire baptiser à l’âge de quinze ans, après avoir accompli la première partie de sa scolarité dans des écoles non-confessionnelles. C’est son professeur à l’école des Filles de La Croix, l’Abbé Jean Paisse, qui sensibilise l’adolescente aux idées démocrates-chrétiennes d’Antoine Pottier, ce qui la pousse ensuite à s’intéresser aux questions féminines. La graine du militantisme a été plantée en Victoire, et l’envie de pousser les femmes à s’émanciper ne la quittera jamais.

Victoire Cappe, héroïne de fil en aiguille

Alors qu’elle n’a que 21 ans, une enfant pour l’époque, Victoire fonde le Syndicat de l’Aiguille et les Ligues ouvrières féminines chrétiennes afin de tenter d’améliorer les conditions de travail difficiles des travailleuses de l’aiguille liégeoises mais aussi défendre leurs droits. Les femmes qui s’affilient à ce nouveau syndicat bénéficient non seulement de réductions sur l’achat de leur matériel de travail mais aussi d’indemnisations durant la basse-saison ainsi que des consultations juridiques gratuites et une allocation journalière en cas de perte d’emploi. Des avantages d’autant plus admirables que nous sommes alors en 1907 et que les droits des ouvriers sont loin d’être la priorité de l’époque.

Victoire Cappe - DR

Victoire Cappe – DR

Le credo de Victoire? La jeune femme croit dur comme fer au dicton « aide-toi et le ciel t’aidera » et refuse la charité, lui préférant plutôt le principe de solidarité. Sous son impulsion, les Liégeoises sont poussées à l’entraide, qu’elles soient simples couturières ou issues de la bourgeoisie principautaire, et son syndicat vise à émanciper ses membres. Victoire met ainsi en place un Cercle d’études sociales ayant pour objectif de lutter contre la méconnaissance du quotidien des femmes, et crée en parallèle un secrétariat d’apprentissage ainsi que des formations professionnelles.

« La femme belge »

En 1909, c’est la consécration: grâce à l’appui du Cardinal Désiré-Joseph Mercier, elle intègre l’action sociale liée à l’Eglise et n’a de cesse au cours des années qui suivent de se servir de ce tremplin pour faire avancer la cause féminine. Par exemple, en publiant l’ouvrage collectif « La femme belge: éducation et action sociale », mais aussi en mettant sur pied le Secrétariat Général des Unions Professionnelles Féminines de Belgique en 1912. Deux ans plus tard, la Liégeoise est nommée Vice-Présidente de la CSC, et durant la guerre qui éclate la même année, elle est la seule femme à siéger à la Commission du chômage.

Victoire Cappe - DR

Au lendemain de la Première guerre mondiale, on la nomme conseillère du ministre de l’Industrie, du Travail et du Ravitaillement, mais du côté des pouvoirs dirigeants du mouvement social-chrétien, on commence à voir d’un mauvais oeil ce petit bout de femme qui n’en finit pas de prendre de la place. En 1919, on l’exclut du comité directeur de la CSC, tandis qu’au sein de la Fédération nationale des Ligues ouvrières féminines chrétiennes, ses responsabilités lui sont enlevées par la secrétaire-générale. Trahie de tous les côtés, Victoire en vient à douter de ses engagements, et à abandonner son combat féministe en faveur d’une foi qui prend toujours plus de place. Un repli sur elle-même aux conséquences lourdes pour son mental: aux prises avec une dépression profonde, Victoire s’éteint en 1927 à 41 ans seulement. L’occasion pour l’abbé Joseph Cardijn de lui rendre un hommage poignant: « Ceux qui ont vécu les années héroïques des débuts du mouvement social féminin chrétien reconnaîtront sans hésitation que ce mouvement n’aurait pas existé sans cette pionnière de l’apostolat auprès des ouvrières ».

Aujourd’hui, Victoire Cappe repose au cimetière de Robermont. Le 8 mars 2018, lors de la journée internationale des droits des femmes, une rue de Liège avait été rebaptisée symboliquement en son honneur. Un hommage qui lui est dû, et qu’il serait temps de lui rendre.

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.