Après Neuvice et Souverain Pont, place à la renaissance de la rue du Pont
Plus authentique que Neuvice et plus confidentielle que Souverain Pont, la rue du Pont a longtemps vécu à l’ombre de ses illustres voisines, avant d’enfin se lancer vers un succès parallèle. Sous les pavés, une plage de changements en tous genres, entre ceux qui se battent pour que la rue regagne ses lettres de noblesse et les réfractaires qui freinent le processus. Visite guidée à deux pas de la place du Marché.
Visiter aujourd’hui la rue du Pont en compagnie d’un des entrepreneurs qui se démènent pour lui rendre une seconde jeunesse s’apparente un peu à l’expérience de croiser son ex au bras de quelqu’un d’autre: on avait beau ne plus lui prêter un regard, convaincu de son manque total d’intérêt, le regard d’un tiers suffit soudain pour la trouver soudain éminemment désirable. Sauf que la renaissance de la rue du Pont n’a rien d’un mirage, et il n’y a qu’à se balader sur ses pavés pour s’en convaincre. Pas plus d’une cinquantaine de pas ne séparent les deux extrémités de la rue, donnant respectivement sur la place du Marché et la rue de la Cité, mais entre les deux, la rue avance à pas de géant.
Une avancée aux allures de retour en arrière. C’est qu’il n’y a pas si longtemps encore, à la fin des années 90, la rue jouissait d’une activité bouillonnante, entre un restaurant espagnol et son voisin portugais au joli succès, pas moins de trois boucheries halal, une boutique de linge de maison, un bouquiniste et un légumier. Une rue commerçante authentique, qui attirait à l’époque bien plus de monde que la rue Neuvice, pas encore reliftée, et faisant alors parfois encore office de toilette à ciel ouvert pour les marginaux errants dans le quartier.
Sauf qu’il n’y a pas que ses façades à colombages, dont certaines datent du 16e siècle, qui donnent son cachet à la rue du Pont, ses méandres aussi, sont d’époque, et se soldent par des trottoirs inégaux, particulièrement étroits à certains endroits. Pas idéal, autrement dit, pour s’adonner au lèche-vitrines. Aussi, quand le restaurant espagnol a fermé ses portes en 2005 pour cause de départ à la retraite, rapidement suivi par le restaurant portugais et une des boucheries, personne n’a repris les commerces. Sans passage, difficile en effet d’espérer vendre ses produits…
La rue du Pont aurait pu sombrer, les commerces vides et les façades délabrées comme autant de plaies béantes, mais c’était sans compter sur le formidable élan de sa voisine en Neuvice. Qui, face à l’engouement retrouvé des commerçants, s’est vite avérée être trop petite pour les accueillir, et certains ont alors fait le pari de s’installer dans sa parallèle.
Un pari payant: sans réservation, impossible aujourd’hui d’espérer obtenir une table au Paris-Brest, qui a abandonné son antre défraîchie à l’ombre du Palais de Justice pour s’installer au numéro 16 de la rue du Pont, dans un espace qui n’est pas sans rappeler le charme des brasseries parisiennes. Au numéro d’à-côté, on retrouve le joyeux bric à brac de la droguerie moderne Sapiens Sapiens, tandis qu’en face, le très branché Greenburger et l’enivrant Watch Smell Taste & Having Fun voisinent Itachi, un restaurant à la croisée de la Chine et de l’Italie, de l’art et de la cuisine, délicieux concept poétique unique à Liège.
De rue commerçante à rue de bouche? Oui, mais pas que, car la rue du Pont est aussi un délice pour les amateurs de culture, qui n’ont ici que l’embarras du choix entre l’espace d’art contemporain Les Brasseurs et les initiatives développées par Marine Candova, à qui la rue doit non seulement la galerie Cdlt, spécialiste dans la mise en avant des jeunes artistes branchés, mais aussi les ateliers Pink Ponk juste en face et leur sol rose bonbon éminemment Instagrammable.
Grâce à la programmation éclectique de ces adresses, des artistes habitués aux fastes de la capitale viennent exposer leurs oeuvres ici devant un public conquis, preuve s’il en est que Liège a décidément l’art de se réinventer. Même si certains sont réfractaires.
Alors que la rue semble être en passe de devenir le prochain hub incontournable du centre-ville, entre maisons de bouche éminemment gourmandes, boutiques branchées et espaces culturels, certains propriétaires verraient bien évoluer le quartier autrement. Difficile de ne pas remarquer les quelques anciens rez-de-chaussée commerciaux transformés en garage ou ayant vocation de devenir des appartements, certains n’hésitant pas à aller en justice pour obtenir ces changements, quitte à « tuer la vitalité de la rue » ainsi que le déplorent les commerçants.
Qui dit potentiel à la hausse dit forcément également spéculation immobilière, et le magasin de grains en a fait les frais, acheté pour être aussitôt revendu avec 100.000 euros de profit, une jolie somme qui n’a malheureusement pas été réinvestie rue du Pont.
Qu’à cela tienne, le meilleur semble être à venir, l’association des commerçants de Neuvice ayant décidé d’englober la rue du Pont, manoeuvre aussi nécessaire qu’habile puisqu’une seule rue ne peut attirer qu’un nombre contenu de curieux, tandis que si l’on parle de tout un quartier, qui s’étendrait ici des Halles jusqu’à la rue Léopold, le potentiel est décuplé. Pour jeter le pont entre les rues, le Paris-Brest a ouvert récemment une cave à bières à quelques mètres du restaurant, rue de la Boucherie, et la fête de la musique s’étendra cette année, résonnant simultanément en Neuvice et rue du Pont. Avec l’espoir que la renaissance de cette dernière se joue sans trop de fausses notes. Bientôt, le numéro 27 accueillera un espace pop-up dédié à l’artisanat local, tandis que, travaux du tram oblige, la rue sera piétonne pendant plus d’un an, lui offrant de ce fait le même potentiel de flânerie que ses voisines. C’est officiel, le changement de la rue est en marche, et d’un bon pas qui plus est.
Texte + Photos / Kath