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Aventures ardentes: J’ai pris le bus 48 à l’heure de pointe.

La ligne 48 du TEC Liège-Verviers : arrêts de bus allant de l’Opéra au CHU, en passant par le Sart-Tilman. Fortement fréquentée par les étudiants de l’Université de Liège.
Officiellement, un trajet dans le 48 vous emmènera jusqu’aux amphithéâtres du campus du Sart-Tilman, et vous ramènera ensuite chez vous sans encombre.
Officieusement, à une heure de pointe, il vous donnera un avant-goût de ce à quoi pourrait ressembler un trajet en bus dans les méandres de l’enfer, compressé(e) bien comme il faut entre Satan et Lucifer.

J’aimerais pouvoir dire que je suis dramatique, j’aimerais pouvoir reconnaître que j’exagère. Mais soyons sérieux un instant : pour un étudiant de l’Ulg, certains trajets dans le 48 se situent à un niveau tout à fait respectable sur l’échelle de la pénibilité quotidienne. Cette semaine, les cours recommencent. Et avec eux, ces longues minutes passées dans les véhicules jaunes de la TEC, collé-serré avec des inconnus partageant comme principale caractéristique le désir commun d’arriver à bon port (et le plus vite possible, s’il vous plaît). 
Parce que ces minutes sont comme autant de grains qui, ensemble, forment le sel de ma vie d’étudiante, j’ai choisi d’en partager un aperçu ici. Montons ensemble, si vous le voulez bien, dans ce bus 48, direction Sart-Tilman, à une heure de (très) forte fréquentation. 
12 :33
Déjà, je suis allée prendre le bus à l’arrêt précédent, histoire d’être sûre d’avoir de la place : pas folle, la guêpe. 
12 :37
Un premier bus, plein comme un oeuf, me passe sous le nez. Complet. Bon, ça fera plus de places dans le suivant et il me reste 23 minutes pour arriver en cours. Peut-être pas folle, mais optimiste, la guêpe.
12 :41
Il faudrait quand même pas que le bus tarde trop à arriver, hein.
12 :45
Oh ! Le voilà.
Oh. Il est déjà plein. Tant pis, va falloir pousser, je suis déjà en retard. Pardon. Désolée. Excusez-moi. Merci. Pardon.
12 :47
C’est fou ce qu’on est serrés là-dedans. Tiens, ça me fait penser à un cours que j’ai eu sur les distances sociales ; comme quoi on aurait une sorte de périmètre de sécurité individuel. Etant donné qu’on m’a déjà écrasé le pied 2 fois et que je sens l’haleine de mon voisin comme si c’était la mienne, je crois pouvoir affirmer que mon périmètre individuel est déjà bien piétiné.
12 :48
Sur une note moins intellectuelle, et à mon plus grand désespoir, tout ça me fait aussi penser à la chanson « Les Sardines ».
Horreur.
12 :49
Ah tiens, y a Machin à quelques mètres devant moi. On se fait un regard entendu, un hochement de tête. Le fait d’être compressés les uns sur les autres nous évite au moins de devoir faire comme si on avait des choses à se raconter le temps du trajet. 
Toujours trouver du positif. Toujours.
12 :50
Bon sang, encore un abruti qui s’appuie sur les portes, du coup elles s’ouvrent, du coup on doit encore attendre de longues secondes supplémentaires pour redémarrer. Hé l’abruti, ça te plait de nous ralentir encore plus ? Pas croyable.
(en vrai, je remercie le ciel de ne pas être l’abrutie en question, et donc d’échapper aux regards noirs de tous les autres passagers à chaque arrêt)
12 :52
Peut-être que si le bus ne fait plus aucun arrêt, et que mon prof est un tout petit peu en retard, c’est encore faisable. Je peux encore arriver comme une fleur en classe. On y croit.
12 :54
AaaAaaaAh qu’est-ce qu’on est serrés, au fond de cette boîte, chantent les sardines, chantent les sardines.
12 :55
Le conducteur : « AVANCEZ VERS L’ARRIÈRE DU VÉHICULE ». Non merci, monsieur, on est bien comme on est, là, agglutinés !
Elle est bien bonne celle-là. Un classique. Indémodable. 
12 :56
Ah.
Arrive ce moment de grâce où le bus s’élance dans la montée de la route du Condroz. Et quand je dis s’élance, je veux dire se traîne avec tellement de peine que le véhicule se fait lamentablement dépasser par les voitures.
Toutes les voitures.
C’est, donc, le moment où je me dis j’irai franchement plus vite à pied, en trottinant peinard à côté du bus.

12 :57
C’est aussi ce foutu moment où dans ma tête j’entends ma mère, mes amis, tout le reste de ma famille et même la famille de mes amis me répéter que, « Tout de même, si seulement tu avais le permis… ».
Déjà, si j’avais le permis, ce qui est sûr c’est que jamais je ne serais conductrice du 48 : je suis persuadée que ça doit pas être joli-joli, au niveau du karma, de passer autant de temps baigné dans toutes ces ondes négatives.
Pas que je croie à ce genre de choses, hein, mais là tout de suite, je croirais en n’importe quoi si ça pouvait me faire arriver plus vite.
12 :59
Ne pas être en retard ? On n’y croit plus du tout. La résignation, est-ce que ce n’est pas une étape importante dans le processus de deuil ? J’enterre l’idée d’arriver un jour à l’heure en cours.
13 :01
C’est fou comme je prends conscience de mon corps dans ce bus bondé. Ce type assis à côté de moi a forcément une parfaite vue en contre-plongée sur l’intérieur de mes narines. Cette fille en face de la barre à laquelle je me tiens est forcément en train d’inspecter mes ongles et de se dire que je suis négligée. Sérieusement, elle est ultra pomponnée. Moi je sue dans mon manteau, je tire la tête, j’ai mal au dos et mal aux jambes ; le spectacle doit pas être glorieux du tout.
13 :02
Je déteste annoncer ça, mais là, franchement, je me dis que si seulement j’avais le permis
13 :03
Si ça se trouve, je respire super fort depuis tantôt. Peut-être même que je souffle bruyamment, que je n’entends rien avec mes écouteurs mais que tout le monde autour de moi l’a remarqué. Je déteste les gens qui respirent super fort. Bon, je vais couper la musique mais garder mes écouteurs, juste histoire de vérifier, l’air de rien, que je ne souffle pas comme un boeuf.
13 :04
Arrrghbhbkgfhjyhfjkymkhjktjydjtmuhblkghljdfkjgjhkljylkfljdrghhhhhhhh.
13 :05
Le point positif, c’est que grâce aux étudiantes à côté de moi, je viens d’apprendre que la thermorégulation était inefficace chez les cochons, et que du coup il fallait faire attention à ce qu’ils ne prennent pas froid. Comme quoi, j’ai bien fait de monter dans ce foutu bus, j’en sortirai moins bête ! 

13:06
Sérieusement, on doit aller à du 15km/h, c’est pas possible autrement. Ce qui me rassure, c’est que vu l’air agacé de mes voisins qui vérifient leur montre, je suis visiblement loin d’être la seule à avoir en vie de me défenestrer.
13:07
Enfin, si je me défenestre maintenant, ça ne risque pas d’être spectaculaire : vu la vitesse à laquelle on avance, si je saute du bus en marche, tout ce que je risque c’est quelques pauvres égratignures. Peut mieux faire.
13 :08
On est tous dans une proximité physique assez affolante et pourtant presque personne ne se parle ni se regarde. Tiens, c’est marrant ça, comme on peut être vraiment proche physiquement des gens, et pourtant si éloignés socialement.
 (il n’y a décidément pas de mauvais moment pour pousser une petite réflexion existentielle entre deux arrêts)
13 :10
La fin est proche. Si c’était mon genre, je verserais bien une larme émue à l’idée de sortir de ce véhicule surchauffé et de m’extraire de l’amas de sacs et de corps humains dans lequel je suffoque.
13 :11
C’est là que je descends, c’est là qu’on descend presque tous à vrai dire. Les portes s’ouvrent et je respire, et c’est tout ce qui importe. Peu importe, donc, ce pic de misanthropie, peu importe l’odeur de transpiration, peu importe que j’aie toujours « Les Sardines » en tête, peu importe de ne pas avoir le permis, peu importe le désespoir et peu importe le retard : je res-pi-re.
… enfin, jusqu’à demain.

* Cette photo est mensongère : espérer trouver deux sièges vides dans le bus 48 à une heure de pointe relève du fantasme le plus absolu.


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