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Films militants 2019

Ces 5 films militants ont fait 2019

Des quatre coins du monde, cinq films militants – Us, Parasite, Bacurau, Joker et Les Misérables – favorisent l’éclosion d’un sentiment collectif qui pourraît se résumer par cette réplique du Joker : « dehors, ça part en vrille ».

Il arrive que le cinéma manifeste en quelques films d’une même année, de manière intense mais plus ou moins hasardée, un courant, un fil rouge. En 2019, cinq films en particulier traitent d’une envie commune d’exister à travers la contestation. Des États-Unis à la Corée en passant par le Brésil et la France, les films de Jordan Peele, Todd Philipps, Bong Joon-ho, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles et Ladj Ly, chœur puissant aux accents différents, racontent une époque bouleversée par les inégalités. En 2019, dehors, c’est le chaos ordinaire. Dans Parasite, les toilettes des quartiers pauvres débordent ; dans le Joker de Todd Philipps, les rats ont envahi la ville; dans Bacurau, c’est tout un village qui est effacé de la carte ; dans Les Misérables, les flics frappent les enfants ; tandis que dans Us, les bourreaux sont les clones de leurs victimes. Dans tous ces cas, les opprimés ne sont pas faibles et se révoltent.

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Le film de genre pour se révolter

Au-delà de leur statut de cinéastes, c’est en tant que citoyens que ces cinq réalisateurs abordent les restes impérissables d’idéaux éthiques de ce monde. Et pour le faire, ils choisissent le film de genre. Bacurau est un film gore qui flirte avec le western et la science-fiction, Parasite un thriller psychologique jubilatoire, quand Us est un film d’épouvante (jouant habilement avec humour et horreur), que le Joker se fait passer pour un film de super-héros et que Les Misérables se prend pour un documentaire. Conscients de leur gravité, ces cinq films ne se limitent pas à l’exercice de style ou à la bombe esthétique, ils militent. Le film de genre est ici la métaphore d’un cauchemar réel dont il faut se réveiller.

Dire « nous », exister

Films militants 2019

Avec vigueur et ludisme, Us et Parasite illustrent des sociétés qui relèguent les pauvres au sous-sol. Ces ‘microbes’, ces ‘autres’, bien vite sortent de leur trou et bousculent l’ordre de bas étage pour la plus grande réjouissance des spectateurs. Jordan Peele, par un tour de passe-passe divertissant, tend un miroir à son pays. Le titre Us désigne à la fois le pays « U.S.A. » et le « nous » en anglais. Il appelle à la collectivité comme le font ses personnages rebelles. De leur cave où ils étaient déportés, ils s’évadent et forment au grand jour une chaîne humaine (qui s’inspire de l’opération Hands Across America de 1986 où des millions de personnes s’étaient tenues par la main, de New York à San Francisco, pour manifester contre la pauvreté). Ensembles, ils existent. Us est l’exemple le plus parlant de la « peur de l’autre » prégnante à notre époque, où l’extrême droite nous fait croire que de mystérieux envahisseurs viennent pour nous tuer ou nous voler nos emplois. Mais Jordan Peele nous dit que le monstre est peut-être bien « nous ». Après Get Out (Oscar du Meilleur scénario original en 2018) le cinéaste ne se focalise plus sur les questions raciales. En réalisant un home invasion movie, ce sont les notions de propriété et la lutte des classes qu’il analyse.

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Dans le Joker, les laissés-pour-compte se rassemblent autour du clown comme symbole. Pour ces derniers, la révolte passera par la violence trash et se muera en démence. Eux aussi veulent exister, « j’ai passé ma vie à me demander si j’existais. Mais j’existe… et les gens commencent à le remarquer », dit le Joker.

Car, encore plus que de confort, c’est de reconnaissance sociale dont ils ont besoin. Et quand ils ont tout perdu, il ne leur reste que la folie pour se faire entendre.

Dans Les Misérables la collectivité a autant d’importance quand les jeunes de la cité se composent en cohorte vengeresse de la violence policière. Dans le film de Kleber Mendonça Filho, les villageois de Bacurau sont une communauté solidaire et diversifiée, où la culture (symbolisée par le musée du village) est fédératrice et nourrit la résistance politique. Il est en effet impossible de ne pas voir ce film comme une œuvre de résistance, clairement militante, contre les politiques de Trump et Bolsonaro.

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Dans ces cinq films, il s’agit de dire « nous » contre les anxiété de ce siècle : la peur de l’autre bien sûr mais aussi la violence et l’injustice des autorités, l’anéantissement de notre planète et les inégalités sociales. Le plus bel exemple est alors ce village de Bacurau, envahi par des américains sanguinaires et dont les habitants, dans leur pluralité, font exister un seul groupe pour défendre l’essentiel, à savoir leur dignité, ladignité, et la conservation de leur terre, la terre.

Du divertissement à la réflexion

Le plus drôle dans cette affaire c’est ce Joker sans humour, car le film provient du cœur même d’un système capitaliste qu’il dénonce. Sans être un film de super-héros, il va puiser dans les marges de cette industrie qui le produit pour faire de la violence une matière de réflexion et non plus un prétexte de divertissement.

Le point de vue du réalisateur s’éloigne du grand spectacle hollywoodien en se rapprochant de son personnage, de l’humain, plutôt que de se perde dans un espace surdimensionné. Ici, pas question de conquérir l’espace, il s’agit d’explorer la conscience. Et bien que l’histoire comme les lieux où elle se trame soient complètement fictifs, la violence du film touche intimement le spectateur.

Les films que nous citons sont des drames psychologiques totalement imaginaires. À l’exception de Les Misérables qui s’inspire de faits réels. Ce film de ruines rejoint les autres dans l’idée de récit de destruction.  D’ailleurs si elles se ressemblent, ces 5 œuvres sont aussi complémentaires lorsqu’il s’agit de dresser le panorama des opprimés de ce monde. Ainsi, le Joker suscite le ridicule ou, au mieux, la pitié ; les villageois de Bacurau forcent l’admiration ; les personnages de Us provoquent la peur ; quant à la famille de Parasite elle est attachante ; et puis, Les Misérables, on préfère les ignorer, sinon ce serait trop compliqué.

Pour la plupart, ils ont un signe distinctif : le rire du Joker ; l’odeur du père de famille dans Parasite ; la voix dissonante de la mère dans Us ; le visage tuméfié du jeune Issa dans Les Misérables. Il s’agit de les reconnaitre pour mieux les éviter. La belle palette de nuances ! Le parasite est identifié. Le cinéma a identifié l’identification. À nous de continuer la réflexion en identifiant, à notre tour, le rôle que nous voulons jouer dans cette contestation. Quel germe sommes-nous pour la société ? Car s’il s’agit de cinéma donc il s’agit de réalité.