Pourquoi interdire la distribution de hot-dogs aux SDF place Saint-Lambert était nécessaire
Alors que la population digère à peine les excès de la Noël, Liège est au coeur d’une polémique indigeste: interdiction pour les pompiers de distribuer des hot-dogs aux SDF le soir du 31 décembre. Injustice, cruauté, ou nécessité? L’avis d’habitants du centre amoureux de leur ville expliqué.
Les pompiers mobilisés pour les SDF
Ainsi que l’a expliqué Christian Defourny, pompier à Liège, à nos confrères de la RTBF, tout est parti d’une excellente attention. De garde le soir du 31 décembre, les hommes du feu avaient introduit une demande d’autorisation pour introduire une action caritative alléchante: distribution générale de hot-dogs aux SDF rassemblés place Saint-Lambert ce soir-là. Une initiative solidaire, visant également à tisser d’autres liens entre les pompiers liégeois et les plus démunis.
« Toute l’année, on travaille pour eux. Des collègues sont sur ambulance, on est là 24h/24. Donc, on vit la misère avec eux. Et, ce qu’on aurait voulu, c’est vivre autre chose que de les voir dans le malheur, les voir blessés, etc. Ici, on aurait passé un bon petit moment ensemble et discuté comme vous et moi des choses de la vie »
Sauf que la demande d’action se solde par un refus, incompréhensible et injuste selon Christian Defourny: « On a l’impression qu’on nous dit : ‘Ecoutez, oui, vous vous en occupez toute l’année, mais pour un truc comme ça, c’est bon quoi, laissez tomber’. Cela nous a vraiment choqués« . Et ils ne sont pas les seuls: l’affaire enfle, atteint la Flandre, où le Nieuwsblad s’en empare, et sur la page Facebook officielle de Willy Demeyer, les commentaires rageux pleuvent.
C’est vrai que c’est dégueulasse quand même. Interdire une distribution gratuite de nourriture! Aux plus démunis!! Le soir du 31 décembre qui plus est!!! Les faits se seraient déroulés une semaine plus tôt, on aurait sans peine évoqué le spectre d’Ebenezer Scrooge. Sauf qu’en fait, forcément, c’est plus compliqué.
Que dit le règlement communal?
Il est très précis, et il ne date pas d’hier: comment oublier le tollé suscité en 2016 par la verbalisation de quatre membres du collectif Les Lucioles qui distribuaient de la nourriture aux démunis place Saint-Jacques sans autorisation préalable? Seulement voilà, le règlement communal interdit de distribuer de la nourriture sur la voie publique sans autorisation préalable, et si d’aucuns ne manquent pas d’y voir une volonté de « cacher la misère », du côté du cabinet de Willy Demeyer, on assure que la raison en est tout autre:
« La Ville de Liège n’interdit pas la distribution de nourriture aux plus démunis mais souhaite que cela se fasse dans de bonnes conditions pour les personnes fragilisées »
Une question de respect, afin de ne pas les stigmatiser en les traitant, littéralement, comme des pigeons, contraints de guetter les passants susceptibles de leur distribuer quelques miettes. Qu’il s’agisse de L’Abri de jour, les Restos du Cœur, Accueil Botanique ou encore de l’Opération Thermos, de nombreuses associations agréées patrouillent le territoire de la ville pour distribuer de la nourriture dans de bonnes conditions aux plus démunis.
Et contrairement à ce que l’ampleur de la polémique pourrait laisser penser, les pompiers ne se sont d’ailleurs pas heurtés à un refus obstiné mais bien à une proposition de solution alternative qui a été refusée, ainsi que le souligne Caroline Saal (Ecolo), pourtant « farouchement contre toute politique visant à cacher les personnes SDF et mendiantes et à les priver de leurs droits sous prétexte qu’ils gênent, qu’ils font peur, etc » ainsi qu’elle le souligne.
« Il est demandé aux pompiers de ne pas le faire sur la voie publique MAIS en association avec les services publics ou associations existant et organisant des repas pour les démunis (…) Je ne comprends pas la réaction des pompiers à acter le refus sur la voie publique et à ne pas collaborer avec les restaurants sociaux comme Thermos. Aider les personnes démunies, ce n’est pas juste leur donner un hot dog »
Un point de vue que l’on partage, et on vous explique pourquoi.
La solidarité, oui, mais dans le respect des personnes (et des règles)
Ceux qui nous lisent régulièrement savent à quel point l’inégalité sociale et l’injustice nous sont insupportables. Tout comme l’incivisme, d’ailleurs, car défendre un meilleur traitement des Liégeois (tous les Liégeois, qu’ils soient à la rue ou pas) et un respect plus grand de la ville n’est pas antinomique, la preuve avec d’autres villes européennes où solidarité et respect se marient de manière harmonieuse dans l’espace public. Si les règlements communaux existent, ce n’est pas pour « cacher les pauvres » mais bien pour tenter d’apporter cette harmonie qui lui manque parfois cruellement à Liège, une ville ardente, bouillonnante, caractérielle, mais en pleine évolution aussi, et qui doit se donner les moyens d’y arriver. Si le règlement relatif à la distribution de nourriture en particulier a été rédigé, ce n’est pas contre, mais bien pour les personnes les plus démunies, ainsi que le rappelle encore Caroline Saal avec une justesse qu’on lui envie.
« C’est aussi se rappeler à quoi ressemble leur journée, toujours dans la rue, et leur permettre de manger dans de bonnes conditions : un endroit chauffé et sec, un lieu où s’asseoir, où déposer son sac, où on peut prendre le temps, avoir un peu de confort, aller aux toilettes et se laver les mains… La place Saint-Lambert ne répond pas à ces besoins, qui sont aussi fondamentaux que d’accéder à de la nourriture »
Willy Demeyer rappelle quant à lui qu’un » contact est proposé aux pompiers désireux d’organiser une distribution de hot-dogs mardi 31 pour les mettre en relation avec ces services et ainsi organiser leur événement dans de meilleures conditions de dignité humaine ». Parce que faire preuve de solidarité, c’est avant tout ne pas oublier cette notion primordiale de dignité. Entre une distribution, certes généreuse, qui verrait les SDF liégeois agglutinés place Saint-Lambert pour manger leur hot-dog debout et dans le froid, et une version alternative où leur repas leur serait distribué à l’intérieur, au chaud, au sec et surtout à l’abri des regards qui ne manqueront pas de dévisager curieusement cet attroupement de mendiants, une des alternatives semble nettement préférable. Et tant pis si pour l’opinion publique, friande de jugements hâtifs et de gros titres alimentant la polémique, elle est difficile à avaler.
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Photo de couverture: Unsplash / Tina Aracama