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Cara Pils

Comment la Cara Pils est devenue culte

Synonyme de guindailles à petit budget pour nombre de fêtards, la Cara Pils connaît un succès populaire intrinsèquement lié à son prix. Mais sa légende ne s’arrête pas là. Tantôt clodo, tantôt bobo, l’icônique Cara Pils pétille de mystères qui lui ont valu d’être hissée par certains au rang de bière culte. Rien de moins.

En Belgique, la bière n’est pas matière à plaisanterie, c’est peu de le dire. Que vous soyez plutôt branché brasseries artisanales ou grands noms de l’industrie, le délicieux nectar houblonné rate rarement sa cible et se savoure à toutes les occasions : de l’afterwork entre collègues aux tables étoilées en passant par la fête dans toute sa diversité. Un breuvage fédérateur qui transcende les classes sociales pour faire systématiquement mousse. Des très respectées trappistes aux IPA les plus branchées, difficile ici de toutes les nommer. Mais s’il en est bien une qui s’est construite une réputation aussi surprenante que détonante, c’est la Cara Pils : la pils premier prix distribuée par le groupe Colruyt, particulièrement appréciée des milieux étudiants, qui en ont fait un symbole de la Bohème au XXIᵉ siècle.

Bière philosophale

La Cara Pils, meilleure bière au monde ? Meilleure que la Jupiler en tout cas, à en croire l’école d’œnologie bruxellois Inter Wine & Dine dont le classement 2019, repris par la RTBF, plaçait la Cara Pils en 5ᵉ position, loin devant certaines grandes références du marché. Un classement certes établi par des non-experts, mais qui a pour lui la légitimité de l’innocence et que confirment ponctuellement les ruptures de stock. Et ce n’est pas au Costa Rica qu’on dira le contraire, où la bière, distribuée par le Belge Nico Mortier, est désormais un blockbuster positionné comme une bière premium rapporte De Standaard.

Synonyme de fêtes bon marché et d’une boisson qui se démarque avant tout sur le plan quantitatif, les éléments atypiques qui contribuent au mythe de la Cara sont aussi nombreux que variés. Après tout, bien rares sont les bières bourlingueuses dans l’âme qui ont soulevé une révolte populaire à la simple évocation de la possibilité d’un changement de nom en « Everyday ». Tentative de décryptage. Mais pourquoi tant de hype ?

« Nous n’avions pas encore pris de décision définitive quant au nom même de la bière. Maintenant que nous savons que de nombreuses personnes entretiennent un lien émotionnel fort avec Cara Pils, c’est plus clair pour nous : Cara Pils reste Cara Pils, promis ! » – Colruyt.

Brassée depuis plus de soixante ans, la Cara Pils a été produite tour à tour par diverses brasseries dont la brasserie Alken-Maes ou encore la Brasserie française de Saint-Omer, dans le Nord-Pas-de-Calais. Parfois considérée comme la troisième main des étudiants en guindailles et dans les milieux les plus populaires, elle coûte toujours moins d’un euro et ne se boit jamais dans un verre. Deux traits éminemment caractériqtiques, comme l’explique Florent Malta, zythologue diplômé et propriétaire du Wild Lab, un craft beer bar & shop du centre de Liège : « une canette de Cara, c’est une bière que l’on retrouve dans tous les magasins du coin pour 50 cents. A contrario de toutes les autres bières, canettes ou bouteilles, elle se craque et se consomme comme ça, sans fioritures ».

Une attitude décontractée qui ne suffit pourtant pas à convaincre le zythologue de la placer sur un piédestal : « Je ne dirais pas que son goût est ce qui a créé son aspect culte. C’est davantage sa disponibilité à bas prix, son association à une atmosphère festive et tout ce qui va avec. ».

Cara Pils

La bière du schlag

Bien qu’essentiellement péjoratif, le terme schlag, assez conceptuel, fait l’éloge de la paresse, d’une certaine nonchalance et des feignasses assumées. Personnifié par le « Dude » des frères Coen dans The Big Lebowski, c’est l’art d’échouer, d’être un peu paumé et tout ce qui va avec, parfois même un certain panache. La Cara Pils, une bière romantique, en résistance et un bras d’honneur à la société de consommation ?

Cara Pils

Chope à la main, on est allés à la rencontre de la rue, pour en prendre la température. Et une chose est sure, la Cara ne laisse personne, mais alors là personne sans voix. Pour Jonathan, amateur de bières, la Cara est bonne quand elle se déguste bien fraîche. « Maintenant, je n’en ai jamais acheté moi-même. Par contre, à chaque fois qu’on m’en a proposé une, je l’ai appréciée. Elle n’est vraiment pas mauvaise.» Un avis que nuance Gilles, pour qui il s’agit clairement d’une bière de jeunesse, qu’on achète spécialement pour les camps. « Si elle séduit, c’est que c’est la seule option. En soi, elle n’est pas délicieuse, mais elle ne sera jamais mauvaise si elle est bien fraîche. »

Pour Alain et Adrien, père et fils, la différence générationnelle offre une perspective bien spécifique. Pour le fils « elle souffre d’une mauvaise réputation, mais elle n’a rien de mauvais si elle est bien fraîche. Il y a quelques années, je me souviens avoir fait une dégustation à l’aveugle avec un des représentants de Bofferding. Il y avait une Jupiler, une Stella, une Maes, une Bofferding et une Cara. À la surprise générale, la Cara était arrivée en troisième place du classement. Sans faire aucune pub, c’est une bière qui reste visible et, hormis son prix, c’est sa force. D’ailleurs, changer son nom serait une erreur. La Cara, c’est culte. » Pour le père qui, lui, n’a jamais goûté la mystérieuse bière bon marché produite par Colruyt, la graine est plantée et laisse place à la curiosité même si « sa réputation ne me parle pas de prime d’abord. »

schlague \ʃlag\ n.m (Péjoratif) (Insulte) Personne sale, vile, ou inadaptée à son époque. Or « un schlague» pour les ados et jeunes adultes de notre époque est une insulte / un terme péjoratif largement répandu. «C’est quelqu’un à la ramasse, perdu dans sa vie, qui fait n’importe quoi » confie à Marianne une jeune habitante de Villejuif, en banlieue parisienne lors d’un bref microtrottoir – wikipedia.fr

Entre la non-prise de tête, un sens festif de l’autodérision et la recherche d’une boisson pas compliquée qui ne séduit pas particulièrement mais trouve toujours preneur, boire de la Cara Pils est le symbole d’une attitude de nonchalance, celle du schlag, tout simplement. Une remarque qui ne s’applique toutefois pas à sa petite sœur, la Cara Pils sans alcool, dont le cœur de cible nous échappe encore.

« Boire sans voir », le vrai secret de la Cara

Tantôt désignée parmi les plus mauvaises bières du monde par des connaisseurs lui ayant attribué la note de 0/100 sur RateBeer.com, tantôt classée au rang des plus grandes, la Cara Pils serait-elle la bière de tous les extrêmes ?

Pour Florent Malta, il faut relativiser et comprendre la nature même d’une pils. « Une fois servies fraîches, les pils de gamme traditionnelle-commerciale vont souvent se ressembler. Comme pour toutes les bières, leurs ingrédients clés sont bien l’eau, le malt, le houblon et les levures, mais des nuances significatives peuvent apparaître du fait que dans les macro-brasseries, on tend à réduire les coûts et donc la qualité pour se diriger vers des matières premières plus ”low-cost” qui vont forcément affecter le résultat final. À savoir, le goût ». Pour ce dernier, il est difficile de discriminer des bières de marco-brasseries à l’aveugle, même pour des experts. Le vrai challenge consisterait selon lui à les tester lors de dégustations à l’aveugle mariant les savoir-faire de géants de l’industrie et de petits artisans :

« Avec la bière, l’origine et le type de houblon jouent tous les deux un rôle essentiel. En fait, le lieu où la bière est brassée n’est pas toujours un élément distinctif. Pour différencier une pils polonaise d’une Pils belge, ça peut être très simple comme ça peut être très technique, si le houblon a la même provenance. En comparant des macro-brasseries avec des micro-brasseries artisanales qui respectent un cahier des charges strict et qualitatif, le test serait super intéressant. Du nez à la première gorgée, la sucrosité des bières commerciales viendrait, sans aucun doute, directement se marquer dans le palais ».

La Cara Pils, du palais au palace ? Non peut-être !

Cet article a originellement été publié dans le numéro #3 du magazine SIROP paru en décembre 2021 (www.siroplemag.be) – Tous les articles de SIROP sont disponibles dans nos archives ; Visuels : D.R., SIROP

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Journaliste indépendante et voyageuse infatigable, Célia déménage plus vite que son ombre à la recherche de nouvelles aventures aux quatre coins du globe. Dingo d'expos, d'art, de concerts et de burrata (#FromageVie), cette curieuse de nature prête également sa plume à Vers L'Avenir et à un penchant (presque) toxique pour les meubles en rotin.