Boulettes Magazine

Le magazine gourmand de découvertes
TOP
bière

Liège, terre de bière

Si ce n’est son emblématique (et terriblement commune) Jupiler, Liège a longtemps fait office de parent pauvre dans le paysage brassicole belge. Loin de la hype des brasseurs flamands et de la créativité des micro-brasseries bruxelloises, le Liégeois s’est accroché sa pils comme à un radeau à la dérive. Mais c’est sans compter sur la relève d’une jeune génération, formée auprès des plus grands. Rencontre avec Nicolas Imbreckx, consultant brassicole et enseignant à la HEPL.

Boisson de soif par excellence, la bière est aujourd’hui devenue bien plus qu’un rafraichissement. Pour une génération de connaisseurs en devenir, elle fait figure d’incontournable, que ce soit sur la table ou dans la cave. Exit, le bordeaux. Entre amis ou au restaurant, l’IPA fait loi et l’Orval se mature comme un château Margot. Plus fortes, plus modernes et réputées plus savoureuses, les bières dites « spéciales » ont le vent en poupe, poussées par une multitude de microbrasseries ingénieuses qui flirtent avec les codes de la start-up nation. Plus question de se limiter à produire une blonde, une brune et une ambrée. La tendance aujourd’hui est à la diversification.

Une révolution du houblon longtemps restée en gestation dans la cité ardente. Les plus de vingt ans s’en souviennent, il fut un temps pas si lointain où le Vaudrée était la seule taverne de la ville qui pouvait se prévaloir d’une carte digne de ce nom. Désormais officiellement autoproclamée « Cité de la Bière », Liège a définitivement viré sa cuti, pour le bon plaisir des zythologues et des moussophiles.

Liège, Cité de la bière

En l’espace d’une décennie, Liège a réussi à rattraper son retard, et n’a plus à rougir devant le dynamisme brassicole de la capitale (oufti, non peut-être?). Aux traditionnels bars et cafés, qui ont su évoluer avec leur temps, de nouvelles adresses se sont hissées au rang d’incontournables, que ce soit chez les Liégeois comme les visiteurs de passage. Hier pionniers, la Brasserie C ou le Beer Lover’s café sont aujourd’hui des institutions, auxquelles s’en sont ajoutées d’autres : Brasse & Vous, le Blaes Bar ou encore le Wild Lab, pour ne citer que quelques adresses.

Lire aussi : Le Wild Lab Bar va secouer le paysage brassicole liégeois

Et quitte à rattraper le temps perdu, autant le faire avec panaché. Aux côtés du pékèt, la bière a su réinvestir le folklore local. En 2020 la cinquième édition du Beer Lover’s Marathon aurait normalement dû avoir lieu : une course de 42 km en 32 bières, qui se courre baskets aux pieds et verre à la main. Un événement aussi sportif que ludique qui s’inscrit dans une démarche de revalorisation des brasseries locales, présentes également lors du festival des microbrasseurs liégeois : « Liège, cité de la bière ». Des rendez-vous bon enfant qui font, entre autres, la joie de nos voisins d’outre-Quiévrain, qui ne manquent jamais l’occasion de sauter dans un Thalys pour boire une mousse avec des Belges (une fois !).

Sur les pavés de la cité, il se murmure même que, dans les caves de la future Grand poste, les Brasseries de Liège devraient prochainement produire plus d’un million de litres in situ. De quoi épancher la soif des nombreuses start-ups qui y prendront bientôt leurs quartiers.

A New Hop

Mis à part le légendaire sens de la fête liégeois, si ce joli brassin semble prendre à Liège, c’est sans doute aussi et surtout parce qu’il est soutenu par des maîtres brasseurs d’expérience, qui distillent leur savoir auprès de la jeune génération. C’est le cas de Nicolas Imbreckx, consultant zythologue et professeur à la HEPL. Agronome de formation et pionnier dans l’âme, il a fait ses premières armes à la brasserie de Rochefort, à une époque où faire de la bière relevait avant tout du secret d’initié. Depuis dix ans, il enseigne le métier au département des sciences agronomiques de la HEPL et à la section micro-brasserie de l’IFAPME. Dix années de travail durant lesquelles il a pu donner le goût de la bière à plus d’un, dont François Dethier et Renaud Pirotte, les fondateurs de la Brasserie C, tous les deux alumni de la HEPL. De la Brasserie C à Brasse & Vous en passant par la brasserie des Coteaux, La Botteresse ou encore la Val-Dieu, Nicolas a vu nombreux de ses élèves devenir maître. Un recul qui lui donne un regard éclairé sur la profession :

Les brasseries, qu’elles soient liégeoises ou wallonnes, essaient de plus en plus de travailler localement, ce qui est à l’origine de tout un circuit de production. En marge des microbrasseries, on a vu pas mal de houblonnières voir le jour. Idem pour la production de malt. C’est une tendance à la mode et qui rencontre du succès auprès des consommateurs, qui y sont sensibles, même si ça implique parfois une petite perte en qualité.

Lire aussi : le bachelier en agronomie de la HEPL… en phase avec son temps!

Une bière brassée avec savoir…

Enseignant, Nicolas n’est pas pour autant un donneur de leçons. Et comme il n’existe pas qu’une manière de faire de la bière, il se refuse à transmettre des recettes. Transmettre son expérience consiste selon lui à expliquer comment éviter de se planter :

« c’est facile de faire de la bière, mais c’est plus difficile d’en faire de la bonne. Quel que soit le produit final que l’on essaie d’obtenir, ce sont  les mêmes notions qui reviennent. C’est le respect de ces notions tout au long du process qui va permettre de faire une bonne bière ».

Un savoir qu’il distille avec plaisir, que ce soit sous sa casquette d’enseignant comme de consultant. Alors quand il a été contacté par les éditions de la Province de Liège pour faire de son syllabus de cours un ouvrage publié à destination du grand public, il n’a pas hésité. C’est ainsi qu’a vu le jour l’ouvrage « Technologie brassicole », aujourd’hui dans sa deuxième édition. Un ouvrage technique, mais clair, qui reprend les bases et devrait permettre à ceux qui possèdent déjà des notions de les approfondir.

Lire aussi : la fiche du livre « Technologie Brassicole (2e ed.) », sur le site des Editions de la Province de Liège.

A main, à bouche, à cul

Et la bière liégeoise, qu’en pense le maître brasseur ? Pour lui, une bonne bière, c’est quelque chose de subjectif : « c’est un peu comme le vin. Soit on aime, soit on n’aime pas ». En toute objectivité, il concède toutefois qu’économiquement parlant, une bonne bière est avant tout une bière qui se vend. Inutile donc de tirer à boulets rouges sur la Jupiler, dont il chante par ailleurs les louanges : « La Jupiler reste probablement une des meilleures pils en Europe, voire dans le monde. Elle véhicule une image souvent négative, mais elle n’en est pas moins une excellente bière ». Sur une île déserte, s’il ne pouvait toutefois n’en prendre qu’une et une seule avec lui, ce serait une Rochefort 8 de huit mois, légèrement madérisée.

On a beau prêcher l’innovation, c’est qu’on n’oublie pas si facilement ses racines (et ses classiques). In Houblon Veritas.

Lire aussi :

Explorateur du quotidien, Clem vit sa ville entre de multiples jungles, qu'il parcourt bras dessus, bras dessous aux côtés de Kath. Reporter pour Boulettes, Le Vif et Saveurs, il profite de la vie comme on croque un fortune cookie, intensément, tout en se remémorant ce proverbe : “life is like a roll of toilet paper. The closer it gets to the end, the faster it goes”