Boulettes Magazine

Le magazine gourmand de découvertes
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Rentrée déclasse.

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Dans la Team Boulettes, on a cette chance incroyable de faire ce qu’on aime, qu’il s’agisse d’écrire, de créer ou de communiquer. Ou bien, dans le cas des bébés de la bande ( il n’y a pas d’âge pour être Boulette ), d’étudier pour espérer, un jour, vivre aussi de nos passions.

Alors forcément, cette rentrée, on l’a abordée avec sérénité.
Bien sûr, on aurait bien prolongé de quelques semaines encore les vacances d’été, mais on recommence l’année en ayant la certitude confortable que même si ce ne sera pas facile tous les jours, on va bien s’amuser. Une chance folle, mais dont tout le monde ne bénéficie pas.
Parce que non, en 2015, malgré les bons diplômes & la motivation, ce n’est pas toujours une évidence de pouvoir exercer le métier auquel on s’est préparé.
Et puis parfois, comme dans le cas de Thomas, on y arrive mais on se rend compte finalement, on ne s’y retrouve pas.
Son texte sur sa rentrée déclasse nous avait interpellées, et il a accepté qu’on le partage avec vous. Manifeste d’un idéaliste torturé.

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Je m’appelle Thomas, j’ai 34 ans. J’ai fait des «études d’histoire et d’instituteur.
Dans ma vie professionnelle, j’ai alterné monde de l’enseignement et monde des associations. Education toujours, tantôt dans les écoles, tantôt en dehors.
A chaque fois, une même envie : contribuer à changer le monde, en mieux… tant qu’à faire !
A chaque fois, des raisons fréquentes de s’enthousiasmer et nombreuses de se décourager

Aujourd’hui, 6 août 2015 je retourne au travail (de « tripalium » en latin, un instrument de torture fort sympathique), après un peu plus de deux ans d’abstinence dense et épanouissante, au point d’y prendre goût.
Mais, heureusement la ‘torture’ est aujourd’hui une valeur et dans un monde de libertés à tout va quoi de mieux pour devenir libre (en allemand cela sonne bien…).
Je suis engagé pour six moix à mi-temps à MATM (Mouvement d’Actions à Travers le Monde).
Mon dernier emploi, au Monde des Possibles (ça ne s’invente pas), a subitement pris fin un vendredi après-midi de fin de printemps, apprenant mon licenciement par un succinct sms (on n’arrête pas le progrès).
Oui, le ‘short message system’, pourquoi faire long quand on peut faire court, me signalant que ne devais pas revenir lundi… viré en bonne et due forme


Depuis, honte à moi, je n’ai pas toujours cherché un boulot.
En plus, comble du scandale, il m’est arrivé de recevoir de l’argent (issu, entre autres, de la générosité contrainte de la population « torturée » de mon pays).
J’ai, tout de même, postulé à plusieurs reprises avec, à la clef une série d’examens écrits et d’entretiens oraux dans diverses associations. Le dernier en date au CNCD (Coordination Nationale de la Coopération au Développement). 


Si je prends la plume en ce jour, ce que je souhaitais déjà faire il y a vingt-quatre mois, c’est que certaines réflexions nées de ces expériences me paraissent valoir la peine d’être partagées, que la situation actuelle m’inquiète et que les raisons invoquées pour mon dernier non-engagement m’ont donné l’indignation nécessaire pour me lancer.



A BAS LA HIÉRARCHIE 
C’est le titre pour le moins éloquent d’une chanson de Stupeflip qui me plait bien.
Pourtant, NON, je ne considère pas forcément que toute forme de hiérarchie est systématiquement néfaste. Mais, OUI, j’estime que toute forme de hiérarchie mérite d’être remise en question. Et, OUI, je crois que l’horizontalité dans les rapports humains a quelque chose de plus digne et beau que la verticalité.
Une verticalité qui, dans notre monde actuel, fait des dégâts à bien des niveaux, donne lieu à moult injustices et génère une dose non négligeable de mal-être ! 



Si je n’ai jamais réussi à me sentir heureux dans mon costume du « plus beau métier du monde » c’est, notamment, car j’avais l’impression de passer beaucoup de temps (et d’énergie) à obliger de futurs adultes à m’obéir, à leur imposer de faire des choses qui ne leur plaisaient pas (et dont ils ne comprenaient pas forcément le sens) sans avoir la possibilité de les remettre en question ! 

Si j’écris maintenant ce n’est pas pour me plaindre de mon triste sort mais bien pour évoquer un mal qui touche un grand nombre d’institutions qui existent, à priori, avec l’intention de rendre notre monde un peu meilleur.
A de nombreuses reprises, ces derniers temps, après un entretien oral que j’avais trouvé encourageant, j’ai appris que je n’étais pas ‘l’heureux élu’.
Jusque-là rien d’étonnant : ce n’est pas les personnes de qualité qui manquent…
Mais, ce qui m’interpelle c’est l’honnêteté avec laquelle, lorsque j’ai pris la peine de demander la raison, on m’a expliqué que « je me posais un peu trop de questions« , que « j’avais une vision trop politique des choses« , que « mon esprit critique faisait peur » ou encore, tout récemment, que « mes questionnements sur la hiérarchie posaient problème« . 


Il y a quelque chose d’ironique et tragique dans cette réalité.
L’entretien d’embauche, maillon final d’une chaîne de mise en compétition des candidats maquillée d’objectivité, revêt une violence symbolique que même des structures associatives semblent incapables de contrer. 


Il vous faut, avant tout, faire profil bas, soit spontanément, soit en faisant semblant.
Ce qu’il y a d’étonnant c’est que l’employeur semble souhaiter cela quitte à avoir face à lui quelqu’un qui ne lui dit pas ce qu’il pense. Il vous faut, dès avant l’engagement, vous soumettre, au moins en apparence (mais le mal est fait) à une hiérarchie. Il ne s’agit pas seulement d’accepter qu’il y aura qu’il y aura « quelqu’un au-dessus de vous » (ça vous l’saviez déjà) mais bien de camoufler toute velléité de désobéissance, de refouler toute expression d’une envie d’égalité, tout doute quant à l’intérêt de donner du pouvoir à certains sur d’autres. 


Au festival Esperanzah, une personne travaillant dans une des nobles associations évoquées me disait : « Tu sais Thomas, cohérence des idées ou trouver un travail, il faut choisir ! « .
Ca a le mérite d’être clair.
 Et dire que mon train arrive à destination, que je me suis levé à 5h45, que c’est mon 1er jour de travail.

Mes amis semblaient un peu surpris de ne pas me voir plus emballé apprenant la ‘grande nouvelle’ de mon engagement.
Je sais, c’est bizarre mais j’ai toujours eu une fâcheuse tendance à être plus attiré par la cohérence que par la ‘torture’.
Et si les chômeurs étaient, en réalité, les plus grands idéalistes parmi nous ?

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