Chez Fugazi, la France et l’Italie font l’amour à vos papilles
Depuis son ouverture à l’angle de la rue Souverain Pont et de la rue Chapelle des Clercs, Fugazi, la nouvelle enseigne lancée par Gabriel Caridi avec Vincent Lauwers en cuisine, ne désemplit pas. Et il n’y a rien d’étonnant à ça, car des préparations à leur présentation en passant par l’ambiance du restaurant, tout est soigné (et sexy) au possible.
Pourtant, on avait bien failli ne jamais y goûter. À trop errer dans le centre-ville de Liège, son âpreté finit par éroder même les esprits les plus réjouis, et c’est surtout d’une profonde lassitude qu’on se nourrissait ces dernières semaines. Fugazi? Très joli, chouette branding, carte sympa, félicitations, bonsoir.
Et puis… Et puis l’emballement principautaire, les retours enthousiastes, les photos qui font saliver bien fort, le délicieux fumet des crustacés qui réduisent quand on passe devant à l’ouverture du restaurant, promettant une évasion gustative et des assiettes plus proches de la mer que de la… Vous voyez quoi. Mais Fugazi donc! Machin y est allé, il a adoré, Machine en revient, elle ne comprend pas pourquoi on n’a pas encore testé, et c’est ainsi qu’un soir de juin où la pluie a exceptionnellement fait place à une douceur presque printanière, on se retrouve attablés en terrasse, prêts à en juger par nous-mêmes.
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Première bonne surprise? La carte, ni trop longue ni trop courte, et consciente, ainsi que le confie Gabriel Caridi, de proposer autant d’options viande que d’alternatives poisson ou végé. Passée la tentation initiale de juste tout commander, notre choix se porte sur le carpaccio de poulpe, histoire de célébrer les bribes d’été dans l’air ce soir-là, le ris de veau, qui nous intrigue, le filet pur Holstein, vu dans trop de post et stories pour pouvoir s’empêcher d’y goûter, et la Milanaise de volaille, chaudement recommandée par le taulier.
Et avec tout ça? Le millefeuille de pommes de terre (non peut-être!) et une portion de salade romaine, avec des pickles en prime parce que le vinaigre c’est la vie, c’est la Glucose Goddess qui l’a dit. Pas toute la carte, mais presque, et une sacrée faim de découvrir comment se traduit dans l’assiette le parti pris osé de Fugazi: mêler l’essence des bouillons parigots à l’interprétation moderne de la cuisine italienne, le tout mâtiné d’influences américaines.
Un concept qui envoie la sauce
Niveau cadre, ça matche: celles et ceux qui ont eu la chance de s’attabler à l’une ou l’autre table branchée de Brooklyn (ou simplement de baver dessus sur les réseaux sociaux) auront la délicieuse impression d’y être transportés dès l’arrivée au resto. Et dans l’assiette, la magie opère aussi.
Premier arrivé à table, le ris de veau envoie direct la sauce. Au propre, comme au figuré, car ce gredin, cuit à la perfection et nappé de poireaux caramélisés, trône au centre d’une assiette noyée d’une réduction ultra umami.
Oubliez tous vos préjugés (légitimes) sur les « sharing plates » que l’Horeca sert désormais en veux-tu en travers: ici, les assiettes à partager ont le prix et la taille d’entrées, même si cela n’empêchera pas votre compagnon de table de se croire fin et de vouloir accaparer toute l’assiette parce que « toi tu as commandé le poulpe, hein, c’est ça ». Les maris, qu’est-ce que c’est adorable de candeur tout de même.
Et delulu as fuck, aussi, parce que cette viande cuite à la perfection, sans blague qu’on la partage, avec, pour rafraîchir la bouche et lui amener un peu d’acidité bienvenue, un carpaccio de poulpe juste sublime, assaisonné à la perfection et serti de grains de grenade aussi jolis qu’utiles pour amener de la mâche et de la texture au plat.
Si ça commence bien? Sans blague. Et miracle de tous les miracles, ça ne fait que commencer.
Festin fripon chez Fugazi
Le palais bien émoustillé par ces premières assiettes, on attend avidement la suite, qui continue sur la même lancée. Le filet pur est, lui aussi, parfaitement cuit, île protéinée au coeur d’une étendue de sauce qui ne demande qu’à être goulument grappillée à coup de bouts de pain voire même au doigt. Mais pas à l’aide du millefeuille de pommes de terre: fondant, canaille et lui aussi, super umami, il exige d’être savouré seul (comprenez, sans rien d’autre en bouche, au cas où vous auriez voulu tenter de rejouer le rapt du ris de veau avorté).
Les saveurs sont assumées, revendiquées, même, avec des fumets travaillés patiemment, des sauces poussées au maximum de leur potentiel, quitte à être un chouïa trop salées pour les palais sensibles, mais qu’on se le dise, ici, on fait dans la canaillerie, la gredinade, la gourmandise applaudie, et puis de toute, les pickles frais et délicats sont là pour nettoyer délicieusement les papilles trop chargées.
Ça fond, ça croustille, ça moelleuse, ça titille, on se régale et on n’a même pas encore goûté à la Milanaise version Fugazi, qui tient plus de la gastronomie italo-américaine et des tables à nappes rouges et blanches 2.0 de New York que de la belle lombarde.
Et c’est tant mieux: posés sur une escalope de poulet panée tellement croustillante que c’en est indécent, chou blanc, mortadelle et pickles de moutarde assurent la complétion du quatuor sel, acidité, gras et chaleur sacralisé par Samin Nosrat.
À chaque bouchée, les lèvres se parent d’une pellicule délicieusement scintillante qu’on arrose de vins fripons servis à la bouteille ou au verre, d’une des bières sélectionnées avec sagesse par Martial, le co-fondateur du Blaes, ou bien de l’un ou l’autre soft à la carte.
La soirée se prolonge, la pénombre tombe, les assiettes sont saucées et pour clore la soirée en beauté, on dévore une portion de salade exquise, qu’on avait prise pour un second rôle mais qui se révèle être une des stars d’un repas décidément plus que réussi. Dire qu’on avait failli passer à côté, quelle tristesse.
Souverain Pont? Ici c’est l’Italie, un peu Paris, beaucoup Brooklyn. C’est Liège, mais principautaire et sexy, loin, très loin de ToxCity, et parfois, ça fait vraiment du bien.
La dernière bouchée avalée, on n’a qu’une envie, se prélasser dans la douce torpeur digestive qui suit tout festin qui se respecte, mais la balade du soir avec notre chien chéri n’attend pas, et alors qu’on approche de la passerelle, derrière nous, une brochette d’Italiennes en Erasmus babillent dans la langue de Dante. Quelques copeaux de pecorino dans la barbe, les lèvres qui brillent de mortadelle et de sauce, ça y est: l’immersion dans la Cité eterna est totale, et putain, qu’est-ce qu’elle est bonne.
Fugazi
Rue Souverain Pont 34, 4000 Liège / Le site internet de Fugazi / Fugazigram