Qui sont les Liégeois qui ont voté pour la N-VA
Grands gagnants d’élections qui ont vu le royaume passer l’arme à droite, le Vlaams Belang et la N-VA ne gagnent pas en popularité que de l’autre côté de la frontière linguistique. Au sud du pays aussi, la droite nationaliste flamande séduit, alors même que son incursion en territoire wallon peut sembler antinomique. Lors du scrutin de ce dimanche, le parti de Bart de Wever, dont le nom est, pour rappel, l’acronyme de Nieuw-Vlaamse Alliantie, a ainsi décroché 40.000 voix en Wallonie, dont près de 11.000 à Liège. Mais qui sont-ils donc? Décryptage d’une tendance pour le moins détonante.
Aux élections de mai 2019, ils étaient 18.077 à avoir voté pour le Vlaams Belang en Wallonie. En juin 2024, ils sont plus du double, soit 40.000 en tout. Un chiffre qui peut sembler dérisoire au vu des plus de 3,6 millions d’habitants que compte la région, mais qui est pourtant tout sauf anodin, tant au regard de la campagne menée par le parti lors des dernières fédérales – mention spéciale au spot publicitaire dépeignant un Flamand peinant à pédaler avec un Wallon oisif et bedonnant à l’arrière de son vélo – qu’en lumière de son intention première. Car aussi bien le Vlaams Belang que la N-VA, qui séduit elle aussi au sud du pays, ne sont pas seulement (très) à droite de l’échiquier politique, mais assument aussi des velléités séparatistes revendiquées. La droite nationaliste flamande qui gagne du terrain chez les wallons, une aberration ?
On voit ce qu’on croit
Pas forcément, nuance le Professeur Pascal Delwit, spécialiste de la politique belge et chargé de l’enseigner aux étudiants de l’ULB. D’abord, parce qu’ainsi qu’il le rappelle, il peut y avoir de nombreuses dissonances cognitives dans le vote. « Dans l’espace électoral, quand on n’a pas envie d’admettre quelque chose, on peut simplement choisir de passer outre », adoptant ce faisant une approche « similaire à celle que l’on observe également chez les adeptes des théories complotistes. C’est impossible de montrer quelque chose de manière rationnelle à quelqu’un qui ne veut pas le voir » souligne Pascal Delwit. Pour qui, en Belgique, le vote obligatoire couplé à un sentiment de méfiance croissant envers la chose politique contribuent à ancrer dans une partie de la population l’idée que « voter ne sert à rien, la situation empire de toute façon, donc autant assumer le vote d’exacerbation pour ‘ faire éclater les choses’ ». Et de comparer cet état d’esprit à celui de ses grands-parents qui, bien qu’ayant dû subir les affres de la Seconde Guerre Mondiale, affirmaient épisodiquement « qu’une bonne guerre ferait du bien ».
Il y aurait donc dans nos rangs pas moins de 40.000 Wallons désireux de déclarer la guerre aux partis traditionnels en soutenant la droite nationaliste flamande ? Pas si simple, tempère Pascal Delwit : « le comportement électoral n’est jamais qu’une question de priorités. On peut être tiraillé entre deux positions d’un parti, une qui nous plaît et une autre qu’on n’aime pas, mais se dire que c’est celle qui nous séduit qui prime ». D’autant qu’il « y a un effet de biais cognitif qui joue. Si on regarde ce qui se passe à Bruxelles, par exemple, où des électeurs ont pu voter pour le Vlaams Blok alors même que le parti préconisait une suppression de la région de Bruxelles-capitale et un rattachement à la Flandre, on constate que leurs dépliants ne disaient pas la même chose en français qu’en néerlandais. Les partis opèrent une différenciation communicationnelle ». Même si le fil rouge de leur message reste le même, et parle à une partie de l’électorat wallon qui se reconnaît dans les thématiques prioritaires des partis nationalistes flamands, Vlaams Belang et N-VA en tête.
La loi de l’offre et de la demande
Ainsi que résume Benjamin Biard, chargé de recherches au CRISP, le Centre de recherche et d’information sociopolitiques, tout pourrait se résumer à une simple question d’offre et de demande. « L’offre politique n’est pas la même en Wallonie qu’en Flandre, et ce alors même que plusieurs études ont démontré que depuis des années déjà, les attentes des citoyens des deux régions ne sont pas forcément différentes dans les deux régions, particulièrement en ce qui concerne les questions sécuritaires et migratoires, deux thématiques phare de l’extrême-droite ». Concrètement, les Wallons ne seraient donc pas plus libéraux en matière migratoire que les Flamands, ni forcément moins autoritaires sur le plan sécuritaire, c’est plutôt qu’ils peuvent plus difficilement l’exprimer. Au MR par exemple, pourtant positionné à droite à l’échelle de la Belgique, l’aile conservatrice est nettement plus tempérée. La droite nationaliste flamande viendrait elle donc simplement occuper la place laissée vacante par la dissolution du Front national en Belgique francophone ?
Oui et non, nuance Benjamin Biard. « Le FN était un parti très particulier en Wallonie, qui n’a jamais réussi qu’à décrocher quelques sièges ici ou là sans parvenir à s’imposer dans le paysage électoral. Aujourd’hui, d’autres formations d’extrême-droite existent en Belgique francophone, Nation ou Agir par exemple, mais elles restent tout à fait marginales, notamment grâce au cordon sanitaire qui empêche leurs représentants de bénéficier de temps d’antenne. De l’autre côté de la frontière linguistique, où il n’y a pas de cordon sanitaire médiatique, le Vlaams Belang et Tom Van Grieken ont une visibilité beaucoup plus importante, ce qui a permis à ce dernier de dédiaboliser en partie son parti ». Une dynamique dans laquelle le chercheur voit clairement « une inspiration de la technique Marine Le Pen ». Une personnalité politique que ses idéaux très à droite n’empêchent pas non plus de partir favorite aux prochaines élections françaises, dans un pays où, selon les dernières données (INSEE, 2020), 10,2% de la population est pourtant d’origine immigrée.
« Dans un contexte de méfiance, il peut y avoir une attirance pour des personnalités qui incarnent l’autorité, qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, Donald Trump ou Bart De Wever et Theo Francken » explique Pascal Delwit qui, parlant de ce dernier « avec un Belge d’origine maghrébine, auquel je disais que Francken était très dur envers les populations d’origine étrangère », s’est vu répondre que « oui, mais au moins grâce à lui il y a de l’ordre ». Preuve s’il en est que « dans un contexte décliniste, une partie de la population a besoin d’être rassurée et l’extrême-droite peut être vue comme garante d’une situation moins insécurisante ». Safety first, d’accord, mais comment la droite nationaliste flamande, pourtant pas avare de sorties extrêmement critiques sur la Wallonie et ceux qui l’habitent, en est-elle venue à s’aventurer de l’autre côté de la frontière linguistique – et surtout, qu’espère-t-elle y accomplir ?
Par amour du game, par appât du gain
À ce sujet, tant Pascal Delwit que Benjamin Biard sont unanimes : il s’agissait bien de viser une incursion payante, au propre plutôt qu’au figuré. Pour rappel, en Belgique, le financement public des partis politiques est régi par la loi du 4 juillet 1989, qui prévoit une dotation publique calculée sur base des résultats aux élections fédérales des différents partis. Autrement dit, plus qu’un camouflet pour le monde politique wallon, les plus de 18.000 voix grappillées en 2019 par le Vlaams Belang dans la région représentent des espèces sonnantes et trébuchantes pour le parti.
« C’est très symbolique, il y a une volonté de venir ‘récupérer l’argent des subsides’ » assure Benjamin Biard. Tandis qu’à la question de savoir ce que cherche la droite nationaliste flamande en Wallonie, Pascal Delwit répond « de l’argent » sans hésiter. « Le Vlaams Belang sait bien qu’il est tout à fait improbable qu’il atteigne le seuil des 5% dans une province comme celle de Liège ou de Hainaut, mais il sait qu’en se présentant, il va tout de même engranger des voix, or chaque voix supplémentaire augmente sa dotation ».
L’appât du gain, ni plus ni moins ? En l’absence de réaction des principaux intéressés, l’interprétation des deux politologues francophones fera loi. Relancé à plusieurs reprises sur une période de six semaines, Jonas Naeyaert, le porte-parole du Vlaams Belang, s’est d’abord montré disposé à répondre à nos questions, voire même, à nous mettre en contact avec certaines des personnalités qui se sont présentées sur les listes en Wallonie. S’en est suivi un jeu du chat et de la souris ou entre le « délai de réaction » des candidats en question et le « départ à l’étranger » de Mijnheer Naeyaert, il aura parfois fallu plus de dix jours avant que nos e-mails ne reçoivent une réponse, jusqu’à ce que notre dernier courriel, qui posait directement la question des raisons derrière la percée du parti en Wallonie, ne reste tout simplement lettre morte. Par chance, si le parti de Tom Van Grieken a fait voeu de silence, tout comme les candidats qui se sont présentés sur ses listes en Wallonie, du côté de la N-VA, on est plus disert. Pas au sein du parti en lui même, qui n’aura même pas daigné faire suite à un seul courriel, mais bien ceux chez qui ses idéaux trouvent un écho en Wallonie.
La N-VA sous pression en Wallonie et à Liège?
Au bout du fil, la voix est chaleureuse et souriante, jusqu’à ce que le motif de notre appel soit spécifié. « Je vous le demande tout de suite : vous écrivez pour un magazine de gauche ou de droite ? » nous coupe Valérie Appeltants, ancienne membre du Parti populaire passée sous les feux des projecteurs à l’hiver 2019, lorsqu’elle a tenté d’organiser la venue de Théo Francken à Verviers. Après quelques jours de réflexion, elle accepte finalement de répondre à nos questions, à condition que l’entretien se fasse par e-mails interposés : « Mes propos ont trop souvent été déformés par la presse francophone » dénonce celle dont la page Facebook, qui rassemble 99 abonnés, la montre en compagnie de Théo Francken, mais aussi d’Eric Zemmour, et dont le parcours exemplifie les explications avancées par Pascal Delwit et Benjamin Biard quant à l’engouement d’une partie de la Wallonie pour la droite nationaliste flamande. « Je ne m’étais jamais intéressée à la politique avant de devenir indépendante » commence la quinquagénaire, agent de gardiennage et maître-chien depuis 2015 après avoir tenu son propre établissement durant sept ans. Une expérience qui l’a propulsée sur l’échiquier : « lors des élections de 2014, l’un des propriétaires du bâtiment où se trouvait ma taverne, a exigé de placarder les vitres de mon établissement d’affiches électorales pour le Parti socialiste » affirme celle qui, selon les profils Facebook, alterne entre « Valérie » et « Valéria ».
Un coup de gueule sur les réseaux pour « dénoncer la pression politique au sein de (son) établissement » plus tard, Valérie est approchée par le Parti populaire, où elle accepte de s’engager comme représentante de section, avant de démissionner rapidement de son mandat, toujours pour cause d’une « pression » devenue invivable. À l’automne 2018, Théo Francken, alors secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, sort « Continent Sans Frontière », un livre décrit par son éditeur, les Editions Jourdan, comme une « démonstration irréfutable de l’implication de l’immigration de masse » dans une série de phénomènes allant de « l’euroscepticisme au Brexit en passant par les attentats et la peur culturelle de l’Islam ». Vaste programme qui séduit un proche de Valérie, présent à une conférence organisée à Bruxelles pour la sortie du livre. « Il me l’a offert et je me suis empressée de le lire : qui mieux que Théo Francken pour parler de la migration ? Les médias traditionnels ont pour habitude de salir son image sur ce sujet qu’il connaît pourtant parfaitement » affirme Valérie, conquise, qui réalise rapidement, lorsqu’elle veut à son tour offrir l’ouvrage à son entourage, qu’il est difficile de le trouver dans les librairies wallonnes. C’est alors qu’elle décide de contacter Théo Francken pour lui proposer une conférence dans la région, invitation « qu’il a acceptée directement », et que la machine médiatique s’emballe.
Un radeau de fortune qui méduse
Très vite, trop devient te veel : gros titres du racolage à la dénonciation en passant par la consternation, pétitions demandant l’annulation de l’événement, organisation de contres-événements sur place, implication de politiques régionaux, à commencer par Muriel Targnion, alors bourgmestre socialiste de Verviers, où devait se tenir la conférence, et dont la participation à une manifestation contre la venue de l’élu N-VA lui vaudra une plainte pour « coalition de fonctionnaires, association de malfaiteurs, corruption, injures publiques et prise d’intérêts » de la part des organisateurs de la conférence, parmi lesquels Valérie. Qui, deux ans après les faits, ne décolère pas : « une Bourgmestre face à sa propre police locale, sachant que tout Bourgmestre est garant de la sécurité publique sur le territoire de sa commune, c’est interpellant vous ne trouvez pas ? » interroge celle qui se refuse à en dire plus sur l’incident, « l’affaire étant toujours entre les mains de la Justice ».
En ce qui concerne ses propres affinités politiques, par contre, Valérie ne se fait pas prier. « J’attache une très grande importance aux normes et aux valeurs ainsi qu’aux droits et aux devoirs, mais je ne fais plus confiance aux partis traditionnels pour les défendre. Leurs intérêts personnels ont toujours la priorité sur le bien-être des citoyens, et j’ai du mal à accepter qu’en Wallonie, la seule opposition à ces partis soit une formation d’extrême-gauche. Ce n’est pas bon pour notre pays » regrette Valérie. Qui aimerait voir l’avènement « d’un parti qui permettrait de faire du social sans les travers du communautarisme à l’excès, du clientélisme des élites et surtout de la politique gangrenée par la corruption depuis tellement d’années en Wallonie, un phénomène qui ne fait que creuser encore un peu plus l’écart avec la Flandre ». Et qui, faute de trouver une offre qui réponde à sa demande, et convaincue « comme tant d’autres Wallons de la nécessité d’avoir un parti de droite crédible dans la région, où pour le moment, la gauche est trop présente et la droite trop absente, donc on s’accroche à la droite flamande, mais ce n’est pas la solution ». Voire même, cela pourrait amener d’autres problèmes dans la région.
Pari payant
En tête des sondages au nord du pays, le Vlaams Belang a abordé les élections de juin 2024 les prochaines élections avec confiance, voire même, une certaine forme d’arrogance : alors que longtemps, Bart De Wever a martelé qu’une alliance N-VA-Vlaams Belang au fédéral n’était pas réaliste, Tom Van Grieken n’a pas hésité à le comparer à « un empereur romain en train de perdre le contact avec ses sujets » au micro de VTM Nieuws, s’attendant à ce que l’aile la plus à droite de la Nieuw-Vlaamse Alliantie « passe des mots aux actes » et réclame une alliance des deux partis.
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Quant à une percée électorale de la droite nationaliste du côté francophone de la Belgique : fantasme ou (presque) réalité ? Si on voit cette présence accrue sur les listes de 2019 comme un pari financier, celui-ci s’est avéré plus que rentable : alors que Tom Van Grieken avait affirmé lors du dépôt des dernières listes électorales que pas un euro ne serait dépensé pour faire campagne en Wallonie, mis bout à bout, les 18.077 votes qui y ont été décrochés auraient rapporté environ 45.000€ de dotation supplémentaire au parti. Lequel, s’il se décidait à transformer l’essai en y investissant du temps et de l’argent, pourrait revendiquer une présence électorale digne de ce nom en Wallonie.
« Dans l’absolu, c’est envisageable, concède Pascal Delwit. Si on regarde la thématique centrale du parti, qui est ethnocentrique et essentialiste, cela ne préoccupe pas moins la population wallonne que les Flamands. En cas de crispation autour de la question ethnique, le port du voile par exemple, et si le parti était prêt à investir un peu d’argent pour faire campagne, une percée électorale de la droite nationaliste flamande en Wallonie serait de l’ordre du possible ». Du « Chant des Wallons » au chant du cygne pour la démocratie wallonne ? Pas si vite, rassure le politologue de l’ULB : « il faut rester prudent quand on parle d’engouement pour le Vlaams Belang en Wallonie, parce que même si le parti y dépose des listes, il n’obtient que des scores mineurs, et il est impossible de dire s’il s’agit de votes de Wallons de souche, ou bien de Bruxellois qui ont déménagé, ou même de Flamands qui habitent la Wallonie ». Rappel s’il en est que paradoxalement, dans les urnes, le melting pot communautaire peut parfois s’avérer être le meilleur allié du communautarisme. Le genre de « blague belge » qui fait rire jaune, sans mauvais jeu de mots.
Vent du nord
Et si l’on peut légitimement s’interroger sur les sirènes flamingantes qui séduisent en Wallonie, force est de constater que les nationalistes flamands ne sont ni les seuls ni même les premiers à avoir tenté d’envoûter le sud du pays de leur mélopée. Wallonie, terre fertile pour la conquête idéologique ?
C’est assurément ce qu’ont dû se dire, il y a deux générations, les Hedebouw, De Rammelaere et consorts, partis évangéliser la Wallonie sur fond de lutte des classes, là où le Parti communiste de Belgique, en perte de vitesse, laissait champ libre à d’autres utopies. Aujourd’hui crédité d’intentions de vote qui en font le 2e parti au sud du pays, le Parti du Travail de Belgique – Partij van de Arbeid van België (PTB – PVDA) s’y est durablement installé en tant que force politique avec laquelle il faut compter. Franc-parler, bonhommie et toujours le poing levé, Raoul Hedebouw incarne une certaine idée de la Wallonie : celle des bougons, des têtus et des bon-vivants, bercés de valeurs ouvrières et grands amateurs de fêtes populaires. Une version moderne de Tchantchès ? Peut-être… à la différence que si l’on prête à la célèbre marionnette des origines siciliennes, le porteparole du parti, lui, nous vient bien du Nord, comme de nombreux cadres du PTB d’ailleurs.
Bourgeois Buiten
Hier encore confiné aux marges du système politique belge, le PTB bénéficie, depuis la crise économique et financière de 2008 et celle, politique, de 2010, d’un élan de sympathie particulièrement significatif en Wallonie. C’est d’ailleurs à ce moment qu’électoralement parlant, le parti devient proportionnellement plus important en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. Une inflexion concomitante à un changement stratégique de fond : à partir de 2008, le parti décide d’abandonner sa posture sectaire historique en faveur d’un populisme anti-establishment plus ouvert – du moins, quand il s’adresse au grand public.
Mais son histoire, plus longue, remonte pourtant aux années 1960, lorsque la formation politique, alors appelée AMADA – Alle macht aan de arbeiders (Tout le pouvoir aux travailleurs, NDLR) – voit le jour dans l’émulation politique flamande qui entoure la scission de l’Université catholique de Louvain. Né à la gauche du mouvement étudiant flamand, AMADA se structure rapidement et change son fusil d’épaule : ce ne sont pas tant les Wallons qu’il faut chasser que les bourgeois. Fondé et dirigé d’une main de fer par Ludo Martens, le jeune PTB-PVDA, d’inspiration maoïste, s’établit en réaction à la politique du PCB, le Parti communiste de Belgique, qu’il juge trop proche de Moscou et qu’il accuse de « révisionnisme ». Pour faire simple, il lui reproche d’être trop modéré et trop proche de la social-démocratie, elle-même trop complaisante vis-à-vis de l’économie de marché, là où lui se veut plus authentique et prône une révolution prolétarienne pure et dure.
Va, mon fils. Dis leur.
Empreints de révolution culturelle made in China et de la volonté de changer de base, les militants maoïstes du jeune PTB-PVDA sont invités à aller au contact des travailleurs, dans les mines et dans les usines. Pour ce faire, ils sont encouragés à abandonner leurs études et à intégrer le prolétariat, voire à s’établir à ses côtés, comme en Wallonie où le PTB n’a pas d’emprise. C’est sur ces injonctions que viendront par exemple s’installer Hubert Hedebouw – le père de Raoul – ou Paul De Rammelaere. Une tendance qui s’est progressivement estompée, la Wallonie n’étant plus tant une terre de conquête qu’une Terra Nostra pour le parti. Sans que la flamme évangéliste soit éteinte pour autant, comme en témoigne l’installation plus récente de l’anversoise Sofie Merckx, fille de Kris Merckx, à Charleroi, où elle est aujourd’hui conseillère communale. Avec parfois, un peu d’opportunisme dans les valises ? Si l’implantation significative du parti dans la partie francophone du pays va de pair avec un renforcement des Wallons et Bruxellois en son sein, force est de constater que les cadres historiques, et par extension, leur progéniture, restent nombreux à exercer des responsabilités au PTB.
Comme l’explique Pascal Delwit, professeur de Science politique à l’Université libre de Bruxelles et fin connaisseur du parti : « le pouvoir réel est plutôt au nord du pays. Si l’on peut dire que le vote se fait surtout en Wallonie et à Bruxelles, le coeur reste en Flandre ». Un bel exemple de solidarité transrégionale pour un parti national – le seul du pays – aux prétentions internationales ? Le politologue n’est toutefois pas certain que cela aille dans les deux sens : « pour le PTB, certaines choses sont possibles dans la partie francophone du pays, comme mettre un candidat flamand sur les listes à Liège ou faire élire un sénateur coopté néerlandophone sur un siège francophone. La réciproque serait en revanche très difficile à imaginer dans l’espace flamand, même au PTB ». À chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens.
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