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Wallons connus

Pourquoi la Flandre a des BV mais la Wallonie n’a pas de WC

Alors que la Flandre se passionne pour les BV, acronyme de « bekende Vlamingen », ou Flamands connus en français dans le texte, de l’autre côté de la frontière linguistique, la réciproque n’existe pas vraiment. D’abord, parce que l’acronyme de « Wallons connus » est nettement moins vendeur. Mais pas seulement.

Benoît Poelvoorde. Jacques Brel. Jean-Michel Folon. Justine Henin. René Magritte. Eddy Merckx. Georges Simenon. Stromae. Ils sont huit, dont trois natifs de Bruxelles, un du Brabant flamand et quatre originaires de Wallonie et s’il faut en croire la plateforme Wallonie Belgique Tourisme qui leur a dédié une page, ils ont l’honneur de former un octogone de rareté : celui des « Belges célèbres » . Huit, seulement (NDLR : depuis la parution de cet article dans SIROP, en 2021, ils ne sont désormais plus que six sur le site visitwallonia.be), alors que si l’on consulte la page Wikipédia dédiée aux bekende Vlamingen, celle-ci comporte 52 noms rien que pour la lettre « B », au nombre desquels on trouve d’ailleurs Jacques Brel ? C’est que l’approche des célébrités locales est diamétralement opposée suivant le côté de la frontière linguistique où l’on se trouve, et pas simplement parce que chez les francophones, peu nombreux sont ceux qui voudraient se voir accoler l’acronyme de « Wallon célèbre ». Même si Maureen Louys, qui pourrait pourtant prétendre au titre, choisit, elle, de s’en amuser.

« Dire qu’on est des WC, déjà, ça calme un peu tout le monde », éclate de rire la présentatrice phare de la RTBF, en plein dernier trimestre de grossesse au moment de notre rencontre ; une période heureuse qu’elle vient tout juste d’immortaliser avec un shooting pour Ciné Télé Revue. Une séance exceptionnelle. S’il y a quelques années encore, l’hebdomadaire avait fait des célébrités francophones son fonds de commerce, ses pages de programme télé voisinant avec des entretiens avec l’une ou l’autre figure du petit écran belge, lesquelles se prêtaient même parfois au jeu des photos en vacances, désormais, la ligne du magazine a changé. Un réalignement nécessaire explique Johanna Pires, rédactrice en chef de la publication. Qui souligne, pince-sans-rire, que « chez nous, on n’a pas ou plus de Wallons connus. Les ‘WC’ portent bien leur nom, ils ne font pas rêver ». Ou du moins, plus dans les pages de la presse magazine. « La donne a changé. Là où il n’y a pas si longtemps encore, les lecteurs attendaient Ciné Télé Revue pour apprendre des choses sur leurs animateurs préférés – parce que quand on parle de people en Belgique francophone, on ne va pas se mentir, ce sont surtout des animateurs télé – aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les animateurs fournissent leur propre contenu et ont une ligne directe pour faire vivre leur marque, c’est-à-dire eux-mêmes, auprès de leurs fans ».

Et Johanna Pires de concéder toutefois consacrer encore des pages à « un shooting pour un mariage ou un bébé », comme dans le cas de Maureen Louys, « parce qu’il s’agit d’actualités positives et joyeuses », mais en règle générale, « l’actualité des people belges intéresse beaucoup moins les lecteurs qu’avant parce qu’ils sont déjà abreuvés de leur vie sur les réseaux sociaux. De notre côté, on choisit donc de diffuser ce type d’infos avec parcimonie, parce que nos lecteurs ont tendance à réagir en disant qu’ils en ont marre de ces animatrices qui se mettent toujours en avant ». D’autant qu’ainsi que le concède Maureen Louys, la mise en avant en question est parfois tout sauf nécessaire.

Vendre de la proximité, pas du rêve

Pour sa part, la native d’Embourg est devenue célèbre dès les débuts de sa carrière à la RTBF – « ça a fait 19 ans en septembre » – avec « Tu passes quand tu veux », quotidienne animée avec son ami David Antoine et une « vraie petite révolution pour la chaîne, qui montrait pour la première fois des jeunes dans leur salon avec leur bande de potes ». Une émission qui a « marqué les esprits » – « on m’en parle encore aujourd’hui » – et qui a valu à ses deux présentateurs de faire d’emblée l’objet de reportages.

« La première fois qu’on se voit couché sur papier glacé, on se dit que les choses vont sûrement changer, sourit Maureen, mais après je ne me suis jamais sentie vraiment célèbre non plus, parce qu’il n’y a pas du tout de presse people en Wallonie, contrairement à ce qui se passe en Flandre ou en France, ce qui est une chance. Je crois que c’est parce qu’on vit à peu près la même vie que Monsieur et Madame Tout-le-Monde, et que mine de rien, une paparazzade dans les rayons du supermarché du quartier, ça fait moins rêver que des clichés volés dans une destination chicos comme Portofino ».

Ou autre plage paradisiaque, avec, sur le sable, une célébrité du petit écran qui parade en maillot de bain. « À l’époque, on avait toute une série d’accords et d’échanges avec des voyagistes et des hôtels, qui nous mettaient des billets d’avion et des chambres à disposition contre une page promo dans le magazine ou une mention dans l’article », se souvient Johanna Pires.

Wallons connus

Nous sommes au début des années 2000, des présentatrices telles que Julie Taton ou Sandrine Corman sont alors au faîte de leur gloire, et Ciné Télé Revue organise pour le plus grand plaisir de ses lecteurs (et celui des personnalités sélectionnées) des « carnets de vacances » avec l’une ou l’autre star du petit écran. « On les contactait pour leur proposer un shooting dans un endroit de rêve et, généralement, tout le monde était toujours plus que partant pour avoir quelques jours de vacances gratuites en Thaïlande, en Tunisie ou à Bali ». Tant et si bien que « parfois, certains animateurs nous approchaient directement, et on a même eu des animatrices qui nous faisaient des appels du coude en mode ‘tiens, je repartirais bien en vacances‘… C’est d’ailleurs une des raisons qui font qu’on a arrêté ce type de reportages, parce qu’ils étaient très chronophages à organiser, et on n’était pas une agence de voyages non plus. Surtout que ça fonctionnait de moins en moins bien auprès des lecteurs, qui critiquaient le fait de voir ‘encore une animatrice qui s’est fait payer des vacances’. Ça a fini par se retourner contre nous » confie Johanna Pires. Pour qui, contrairement au public flamand « qui consomme de la télévision flamande et a donc des stars du cru, en Belgique francophone, les vraies stars de la télé sont en France. Le public francophone regarde la télévision française, et ce sont celles et ceux qu’il y voit qui l’impressionnent : les animateurs belges qu’ils peuvent croiser dans leur Delhaize ne vendent pas du rêve, mais bien de la proximité ».

Oser se mettre en avant

Et encore, à part sur leurs propres réseaux sociaux, ils n’ont désormais plus vraiment de canaux où la vendre. « En Flandre, il y a une vraie presse people, ce qui n’existe pas en Belgique francophone », souligne Johanna Pires, pour qui nos voisins néerlandophones sont beaucoup plus proches de la culture médiatique anglo-saxonne. « Les Flamands ont une vraie presse tabloïd et ils traitent leurs célébrités comme des rockstars. Chez nous, on va plutôt avoir tendance à s’interdire de faire du people trashy, et il n’y a pas vraiment d’appétance non plus de la part du public. On le voit bien avec les magazines people français, qui ne cartonnent pas chez nous en librairie » avance encore la rédactrice-en-chef de Ciné Télé Revue. Un sentiment auquel Maureen Louys fait écho : « les Belges francophones ne sont pas friands de presse people, sinon il y aurait des titres en Wallonie et à Bruxelles, c’est aussi simple que ça. On a une presse télé hyper bienveillante, qui partage parfois des scoops, mais sans jamais verser dans le sensationnalisme. Si on n’a pas de paparazzi au sud du pays alors qu’il y a tout un marché des photos volées en France, c’est parce qu’il y a une forme de respect qui s’est installée entre la presse et les personnes médiatisées, mais aussi parce que les Belges sont fondamentalement gentils ». Et de s’empresser d’ajouter que contrairement au personnage de Thierry Lhermitte dans « Le père Noël est une ordure », elle n’utilise pas le qualificatif de manière péjorative, au contraire : « les Belges aiment bien les belles histoires, pas le conflit. Ils ne sont pas comme les Français qui sont plus grande gueule ».

Ni comme leurs compatriotes du nord du pays qui, eux, sont particulièrement gourmands de nouvelles concernant leurs BV. Robine Van Tilburg en sait quelque chose : la journaliste anversoise, responsable du contenu éditorial pour Flair.be, a connu l’époque où l’accent était mis sur les bekende Vlamingen, avec un parti pris sensationnaliste assumé. « Aujourd’hui, on a recentré la ligne éditoriale pour revenir aux valeurs qui comptent pour Flair, le self love par exemple plutôt que les actus people, mais les articles qui mettent en avant des BV continuent à très bien fonctionner auprès de notre lectorat ». En cause selon Robine : « une forme de stratégie marketing beaucoup plus développée que celle des personnalités belges francophones ».

« On dirait que les Flamands osent plus  se mettre en avant, ou peut-être qu’on  est tout simplement plus chauvins et  qu’on va avoir tendance à plus soutenir  et suivre « nos » célébrités que celles  qui viennent d’ailleurs ».

D’autant qu’ainsi que le souligne Bert Bultinck, rédacteur-en-chef de Knack, contrairement au sud du pays, pour lequel le centre de la culture reste Paris, la Flandre, elle, s’intéresse peu ou pas aux médias et personnalités médiatiques originaires des Pays-Bas. « Chez nous, on va toujours avoir tendance à angler son message vers sa propre communauté », explique celui qui y voit « une forme de provincialisme qui peut s’avérer dangereuse, parce qu’elle ne contribue pas à élargir notre vision du monde ». Et de louer l’approche « plus intellectuelle et moins sensationnaliste » de la plupart des médias de masse de Belgique francophone. Car si BV il y a de l’autre côté de la taalgrens, c’est bien grâce aux médias locaux qu’ils existent.

Wallons connus

Un acronyme péjoratif

« Par définition, un BV est quelqu’un qu’on va retrouver tout le temps dans les médias. Un Flamand qui serait célèbre, mais qui aurait une présence médiatique très limitée ne serait pas qualifié de BV. Il y a une forme de construction de personnages basée sur le fait qu’ils passent bien ou non à l’écran » décrypte Bert Bultinck. Et tant pis si « parfois, cela implique de donner la parole à quelqu’un qui a moins d’expertise qu’une autre personne, mieux renseignée, mais moins photogénique ». Un phénomène particulièrement prégnant au tournant du nouveau millénaire où « le boom des suppléments du weekend avait contribué à renforcer la culture BV, qui avait donné naissance à une machine médiatique toujours en demande de nouveaux BV, qu’elle n’hésitait d’ailleurs pas à créer ». De quoi donner une connotation négative à l’acronyme. « Aujourd’hui, c’est presque devenu péjoratif, comme une manière de désigner des gens qui se nourrissent de l’attention et donnent leur avis sur tout, même des sujets qu’ils ne maîtrisent pas » traduit le rédacteur-en-chef de Knack.

Aujourd’hui rédacteur en chef de la Gazet van Antwerpen, Frederik De Swaef est passé par la rédaction de Story à l’époque de la frénésie autour des BV, et se souvient de l’intérêt suscité par ces derniers auprès du lectorat. « Aujourd’hui, l’attention des gens est divisée entre toutes les plateformes de streaming, les réseaux sociaux… Avant, il n’y avait que quelques chaînes de télévision, donc le quotidien de ceux qu’on voyait à l’écran était fascinant. Aujourd’hui, on peut suivre quelqu’un sur Instagram, TikTok, Twitter et il n’y a jamais que 24h dans une journée, donc l’intérêt du public s’est émoussé ». Tout comme celui des Flamands pour le statut de BV en lui-même. « C’est amusant parce que les vrais bekende Vlamingen disent toujours qu’ils n’en sont pas. La première chose qu’un Flamand va avoir tendance à faire une fois qu’il est célèbre, c’est de bien souligner qu’il n’est pas un BV. La célébrité attire, mais pas le fait d’en faire des tonnes, c’est mal vu chez nous. Il y a une forme de fausse modestie qui est très flamande ». Et si quelqu’un comme le compagnon de Robine Van Tilburg, Thibault Christiaensen, chanteur et guitariste du groupe Equal Idiots, mais aussi animateur pour la chaîne de radio culte StuBru lui donne raison – « il est connu, mais il ne supporte pas qu’on dise de lui que c’est un BV, c’est comme les influenceurs qui préfèrent qu’on dise ‘créateurs de contenu’ pour éviter la connotation négative » – , là où Frederik De Swaef voit de la fausse modestie, la journaliste anversoise met pour sa part l’esprit flamand en avant. « Même si les BV sont clairement plus populaires auprès des générations plus âgées que chez les Millenials, il reste une forme de fierté et d’admiration. Je pense que les Flamands aiment bien se dire qu’on a plein de talent et de gens inspirants chez nous ». Et de s’interroger : « vous n’avez vraiment pas ça en Wallonie ? »

Rester humbles

Certainement pas à la même échelle, en tout cas. Difficile en effet d’imaginer quelle personnalité du sud du pays pourrait, à l’image de Goedele Liekens, avoir un magazine papier qui lui soit dédié et arbore chaque mois son nom et son visage en couverture. Ou bien d’envisager un parc d’attractions dédié aux poulains de l’un ou l’autre média local, à l’image de Studio 100, à qui l’on doit notamment Mega Mindy, Fred & Samson ou le Lutin Plop, et qui gère huit parcs d’attractions Plopsa répartis entre la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. La Wallonie n’aurait-elle donc que des « star-etjes » ?

« Ce qui est certain, c’est qu’on n’a pas de star system comme en France, par exemple » répond Maureen Louys, pour qui cela s’explique en partie par une question de niveau de vie. « Les animateurs belges sont loin de gagner autant que leurs équivalents français et on ne risque pas de les surprendre en vacances sur un yacht. On n’a pas des vies qui donnent le tournis, la plupart d’entre nous ont des salaires alignés sur ceux de cadres supérieurs du même âge. À la grande époque de TF1, il y avait des animateurs et des animatrices qui palpaient des sommes incroyables, ce qui n’existe pas ici et qui explique que nos vies fascinent beaucoup moins aussi ». D’autant que même quand les rentrées financières sont conséquentes, « le Belge est beaucoup moins show off. Même si certaines personnes médiatisées ont beaucoup de moyens, elles sont pudiques par rapport à ça et elles ne vont pas avoir envie de l’étaler. C’est une question de délicatesse ». Et d’humilité : « c’est typique de notre côté de la frontière linguistique », assure Johanna Pires.

Wallons connus

« Les Flamands vivent leur célébrité de manière complètement décomplexée, alors qu’une personnalité francophone va toujours avoir tendance à s’excuser. Ça tient sûrement à notre rapport à la France, on a une forme de complexe d’infériorité par rapport aux Français qui sont très condescendants envers les ‘petits Belges’. La France a toujours bien aimé nous mettre en boîte, ce qui entretient la conviction que notre reconnaissance est quelque part un peu usurpée. De manière générale, la célébrité est très mal vécue en Belgique francophone, il suffit de regarder un Stromae, complètement cramé par son succès énorme, ou bien une Angèle qu’on sent limite borderline et accablée par toute cette gloire soudaine. Il y a quelque chose qui tient du complexe, de la certitude que ce n’est pas normal d’être aussi célèbre et donc, pas mérité ». Même si, ainsi que le rappelle la rédactrice en chef de Ciné Télé Revue, le revers de la médaille est plutôt positif : « c’est bien que nos personnalités ne prennent pas la grosse tête, c’est ça qui fait leur singularité et leur approche très saine de la célébrité contribue à leur succès ». Pour vivre heureux, ne vivons pas trop exposés.

Illustrations : (c) Coucou Charles – SIROP 2021

Cet article a originellement été publié dans le numéro #3 du magazine SIROP paru en décembre 2021 (www.siroplemag.be)

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Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.