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Rencontre avec Vive la Fête, le plus liégeois des groupes flamands

Paroles poétiques et mélodies electro-pop ont fait le succès de Vive La Fête, groupe éminemment bien nommé qui enchante le public avec ses concerts survoltés. Des shows où on se déhanche au rythme effréné des gesticulations d’Els Pynoo, chanteuse du groupe qu’elle forme avec son mari, Danny Mommens. Une histoire d’amour qui dure depuis plus de vingt ans, à la vie comme à la scène. Rencontre avec le plus wallon, ou du moins, le plus francophile des groupes flamands.

Il y a quelque chose du Velvet Underground et Nico dans le spectacle de cette grande blonde sublime qui chante devant des musiciens tout de noir vêtus, même si sur scène, cette héroïne est plutôt extatique et électrifie la salle de son énergie. Nico et Lou Reed, Blondie et Chris Stein : la poupée peroxydée et le rocker ténébreux sont une ritournelle bien connue de la pop culture, mais Els Pynoo est tout sauf une jolie muse. En cet après-midi ensoleillé de fin septembre, elle nous attend avec sa moitié (et l’autre de Vive La Fête) Danny Mommens en terrasse du Pand A, un bar à la décoration éclectique et à la bande-son 33 tours de sa ville natale, Courtrai.

La timidité cachée derrière une paire d’aviateurs noires, Danny laisse les honneurs à Els, et c’est avec un intérêt sincère qu’elle s’enquiert de notre trajet et de la genèse du magazine pour le compte duquel nous sommes venus les interviewer. Chaleureuse et souriante, elle part dans un de ses nombreux éclats de rire qui rythment l’entretien dès la première question : qui donc écrit leurs paroles, conjuguées dans un français accenté, certes, mais d’une poésie folle, avec juste ce qu’il faut de ce fameux surréalisme à la belge pour être irrésistible.

« Ah ! Merci ! Tu entends ça Danny, je mérite une gommette, ils croyaient qu’on faisait appel à un traducteur » s’exclame-t-elle.

Avant d’expliquer rédiger les paroles elle-même, « très lentement, parce que je ne parle pas français tous les jours. Je lis des livres et j’écoute des chansons en français pour avoir des idées, mais traduire ce qu’il y a dans ma tête prend beaucoup de temps, trop parfois. Danny écrit sa musique très vite, ça m’angoisse parce que je dois trouver des paroles, mais il faut qu’elles aillent bien avec les mélodies, donc ce n’est pas toujours facile ».

La recette du succès

D’autant que c’est souvent en cuisine que les premières notes lui parviennent : « son studio est chez nous, je l’entends travailler sur ses instruments pendant que je prépare le repas, et je me laisse porter, je me demande ce que la mélodie m’évoque et je réfléchis à des paroles ». Un délicieux clin d’œil aux débuts de leur histoire : contrairement à la légende qui les imagine comme une cover belge du duo mythique mannequin-rocker, quand ils se sont rencontrés il y a 23 ans de cela, Els était sous-chef et alternait entre restaurants et cuisines de théâtres.

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Au hasard d’une soirée d’anniversaire où sa sœur avait réuni une dizaine d’amis, elle rencontre Danny, alors bassiste et claviériste pour Deus et c’est le coup de foudre, le vrai, comme dans les films. Le lendemain, ils emménagent ensemble, et deux semaines plus tard, alors que Danny s’apprête à partir près d’un mois en tournée aux États-Unis, il décide d’emmener la voix d’Els avec lui. On est alors à des années-lumière des smartphones et le couple décide d’enregistrer quelque chose ensemble. « Ça sonnait bien, alors on a eu envie de continuer », se souvient le natif de Genk, qui sourit quand Els rappelle qu’ils sont loin du cliché.

« Je n’étais pas mannequin avant que Karl Lagerfeld ne nous invite à jouer lors d’un défilé Chanel. » – Els Pynoo.

« Il m’a demandé d’ouvrir le show avant qu’on commence notre set, donc tout le monde a cru que j’étais mannequin et on m’a demandé de poser dans plein de magazines de mode alors que je n’avais jamais fait ça avant » se souvient la chanteuse aux jambes télescopiques. Un mythe était né.

Vive la fête (et la mode)

C’est que la Flandre est un terrain fertile pour la célébrité, même si Els l’assure, pas question pour eux de se la jouer Bekende Vlamingen. « C’est probablement ce qu’on dit de nous, mais c’est une étiquette qui ne nous correspond pas du tout, d’ailleurs on refuse systématiquement les interviews dans la presse people flamande, ça ne nous intéresse pas de jouer un rôle ». Allons bon, ils refusent de jouer le jeu ? Leur rôle sera décidé pour eux, ils ont joué pour Chanel, Els défile, ils seront un « mode groep », un groupe de défilés, et puis punt aan de lijn.

« Karl Lagerfeld adorait notre musique, Jeremy Scott aussi, on est populaires dans le milieu de la mode. Anthony Vaccarello est très fan, il a rencontré son amoureux il y a douze ans lors d’un de nos concerts au Belgica, à Bruxelles, et il nous a demandé de venir poser à New York pour une campagne Yves Saint Laurent » se souvient Els

Aui raconte l’afterparty, « très chouette », la gentillesse du créateur, puis confie dans un éclat de rire que les photos n’ont jamais été utilisées : « on nous a préféré Kate Moss ».

Groupe à la mode, groupe de mode, peut-être, mais pas question pour les accolades de leur monter à la tête. D’autant que le plat pays qui est le leur fait tout pour les garder humbles. Si Vive la Fête se produit devant des dizaines de milliers de personnes à l’autre bout du monde, en Belgique, ils n’ont jamais encore été invités sur la main stage d’un festival.

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En 2008, le groupe décide d’en jouer et de sortir ce Disque d’Or qui se fait attendre, « mais c’était il y a longtemps, maintenant on n’y pense plus » assure le couple, qui est tout aussi perplexe que ses fans belges quant au pourquoi de ce succès de foule à l’étranger, alors qu’en Belgique, le groupe reste si pas confidentiel, du moins une niche. « On joue sur des scènes énormes en Russie ou au Brésil, mais pas en Belgique, il y a eu une époque où on trouvait ça grave et triste, mais c’est une question de mentalité » avance Els.

« Au Brésil, les gens ne comprennent pas un mot de français, mais ils chantent à tue-tête quand même »

Ils crient « c’est le moneeeeey » en croyant qu’on parle d’argent dans « Noir Désir », ils dansent… En Belgique, le public est plus calme, on ne va jamais être invités à jouer devant 60.000 personnes ici. Peut-être parce que le Belge a tendance à préférer ce qui vient de l’étranger ? On ne saura jamais pourquoi on n’a pas plus de succès dans notre propre pays, mais ça ne nous empêche pas de dormir ». D’autant que le groupe a des fans de choix pour le soutenir, et pas seulement dans le milieu de la mode.

Les Marionnettes

En tête, le chanteur Christophe, avec lequel Els Pynoo a mêlé sa voix inimitable, rauque et acidulée, pour une reprise des « Marionnettes ». « J’ai grandi en écoutant de la variété française, donc c’était incroyable pour moi de chanter « Les Marionnettes » avec lui » confie Els, encore très émue par la mort du chanteur au printemps 2020.

« Il venait souvent à nos concerts à l’AB, il était très fan de ce qu’on faisait. Je n’ai jamais compris comment il avait commencé à nous écouter, mais c’était super chouette, quand on jouait à l’AB on allait ensemble à l’Archiduc après, c’était quelqu’un de super gentil » – Danny Mommens.

Els précisant que tout comme elle, « La Vérité » était aussi sa chanson préférée. « Parfois il nous envoyait un SMS depuis son bateau pour nous dire qu’il était en train de l’écouter. On était très proches de lui, on entend même mon rire sur une de ses chansons. Quand il nous a proposé d’enregistrer « Les Marionnettes » avec lui, on n’a pas hésité. Je lui ai fabriqué une marionnette à son image. On lui a amenée à Paris et il était très content. C’était fou pour moi d’avoir chanté avec lui. J’ai grandi en écoutant les chanteurs de l’époque… Il est mort juste avant de voir le clip qu’on a tourné pour notre reprise des « Marionnettes », c’est triste ».

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Une reprise rassemblée sur la 1e partie de leur EP « Feux d’Artifice », sorti juste avant le confinement pour le plus grand plaisir des fans du groupe qui n’en attendaient pas tant. « On devait jouer un grand show au Roma, à Anvers, le 11 mars, et quand on nous a dit que c’était annulé on a passé quelques jours en état de choc. C’était un tout nouveau spectacle avec un écran vidéo, des jeux de lumière et des costumes créés spécialement pour l’occasion… Il a fallu qu’on atterrisse, mais maintenant on reste calme, ça ne sert à rien d’être frustrés. Ça ira mieux un jour » assure le groupe, même si « les périodes de confinement ont été très frustrantes. On nous a proposé un concert, mais les gens devaient garder leurs distances et avaient interdiction de danser, pour moi ce n’est pas intéressant ». La fête, la fête, la fête : « quelle horreur de tout donner sur scène pour un public immobile » frissonne Els, qui joint sa voix au chorus dénonçant le manque de soutien du gouvernement aux artistes belges.

« Chaque jour je me dis que ça ne peut pas continuer, il va y avoir un nombre incroyable d’artistes qui vont être forcés de changer de métier, on ne peut pas perdre toute cette créativité ». Pour l’heure, la leur est bien au chaud dans leur ferme des Vlaamse Ardennen, qu’ils partagent avec trois chevaux, un âne, des cygnes, un chien, des chats et des oiseaux, « une vraie arche de Noé où ils peuvent tous se promener à leur aise, ils vivent au paradis ».

Un refuge, tant pour les animaux que pour les humains : « pendant la pandémie, on a choisi de s’adapter à la situation plutôt que de lutter. Financièrement, en restant chez nous on n’a pas dépensé grand-chose alors on tient le coup. On a adopté un rythme plus lent, on a décidé de savourer le calme en attendant que ça aille mieux, il n’y a rien d’autre à faire. C’est agréable aussi de se laisser vivre » concède Els, qui en a profité pour s’adonner à tous ces hobbies auxquels elle n’a d’ordinaire pas de temps à consacrer, la création de vêtements par exemple, mais qui confie avoir désormais drôlement envie que ça redémarre. Avec un concert en Wallonie pour fêter ça ?

Jours de Fête

« Le public wallon est très enthousiaste, on a joué plusieurs fois à Namur et à Liège, les gens sont très chaleureux, ils n’ont pas peur de montrer qu’ils s’amusent. Ils chantent à tue-tête, ils dansent… En Flandre, même si le public est enthousiaste, il va avoir tendance à rester debout sans bouger » explique le couple, qui confie adorer jouer à l’AB, à Bruxelles, « une salle magique », mais ne rien tant aimer que de jouer à l’étranger, en Amérique du Sud par exemple, pour « découvrir plein de choses ».

23 ans plus tard, leur enthousiasme à la scène comme à la ville est intact et fait honneur à ce nom de groupe poético-nostalgique choisi en hommage au film de Jacques Tati.

« J’étais dingue de « Jour de Fête », je trouve toujours que c’est le plus beau film du monde, s’enthousiasme Els, mais je voulais que ça dure pour toujours, pas que pour un jour, donc j’ai choisi le nom Vive La Fête ».

Et quelle fête ! « Notre couple dure depuis aussi longtemps que Vive La Fête, c’est génial pour nous de travailler ensemble, même si au début c’était plus facile. Plus on sort des albums, plus c’est difficile de proposer quelque chose de nouveau, d’autant que notre musique est un reflet de notre relation. On écrit sur nos émotions, notre couple nourrit nos chansons. Si on n’était pas ensemble, Vive La Fête n’existerait pas ». Et ça, pour le coup, ce ne serait pas festif du tout.

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L’interview touche à sa fin, mais l’été indien invite à prolonger le moment, par un shooting émaillé d’éclats de rire, d’abord (« Mais enfin Danny, je ne vais pas me mettre à genoux sur le parking pour que tu poses ton synthé »), puis par une discussion à bâtons rompus sur l’avenir du pays, de la culture, ainsi que sur le premier numéro du magazine et son nom, SIROP, un stroop dont la popularité transcende la frontière linguistique, contrairement à celle du stron d’poye.

« J’adore le sirop, j’en étale avec du fromage de chèvre sur mes tartines, mais je n’aurais jamais pensé à le mélanger à un fromage aussi puant que le Herve » sourit Els.

Un dernier éclat de rire et puis s’en vont, avec une promesse, « Lang Leve het Feest ».

Crédit photo : (c) Maxence Dedry – SIROP 2020

Cet article a originellement été publié dans le numéro #1 du magazine SIROP paru en décembre 2020 (www.siroplemag.be)

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Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.