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Damien Chazelle

Ce que Damien Chazelle nous dit du sacrifice dans « First Man »

Il est un mot plus imposant encore que citadelle et mortadelle, c’est Chazelle ! Le cinéaste, de film en film, fait de mieux en mieux et de plus en plus grand. D’ailleurs les jeux de mots fusent : First Man est une fusée vers les Oscar, il va décrocher la lune. 

Whiplash, La La Land et maintenant First Man. Les trois films du réalisateur sont très différents mais composent sur le même thème : l’ambition et ce qu’elle implique de sacrifice. Si l’on devait désigner à ce stade (l’homme n’a que 33 ans) une « recette Chazelle », il s’agirait de prendre des personnages ordinaires réalisant des choses plus ou moins extraordinaires à coup d’abnégation, de travail et de discipline. First Man est un biopic grandiose et mélancolique sur ce type dont le petit pas pour l’homme a été un grand bond pour l’Humanité (à noter que James R. Hansen, biographe et ami de Neil Armstrong, est coproducteur du film.) 
Le film avance sur deux fronts, l’un suit de près – très près des visages et des boulons – les missions de la NASA jusqu’à son alunissage.  L’autre se déroule dans la cuisine de Neil Armstrong, dépeint comme un citoyen lambda, avec sa femme et ses enfants dont l’une est décédée suite à un cancer. Huit ans s’écoulent entre cette mort et juillet 1969. C’est cette période que couvre le film, période durant laquelle Neil Armstrong est guidé par le spectre de sa fille, guidé hors du monde, jusque dans l’espace. L’astronaute semble, dans ses silences et réserves, considérer la lune comme un lieu miraculeux qui pourrait apaiser sa détresse. Le cocon familial est pour lui bien plus loin que l’astre en question par lequel il doit passer pour retomber les pieds sur terre. 
L’un des plus beaux moments du film en dit long aussi sur son entièreté, il s’agit d’une reprise du poème Whitey on the Moon de Gil Scott-Heron. Percutant, ce moment appuie ce que le film raconte déjà : la conquête de l’espace était l’un des enjeux les plus préoccupants du 20ème siècle mais aussi l’un des plus dangereux et malsains. C’était une période agitée de guerre et, soudain, des millions de dollars étaient consacré à envoyer deux mecs sur la lune, laissant sur le carreau des gens dans le besoin. Le film rappelle les pertes qu’il a fallu endurer pour vivre ce rêve. C’est pour cette raison sans doute que Damien Chazelle ne conclut pas le film sur un héro acclamé par la foule mais bien sur un homme seul, en quarantaine. 
Enfin, et sans cette fois faire de mauvais jeu de mot, First Man est un film lunaire, dans le sens « clair » et « incroyable ». Car il y a dans la mise en scène de Chazelle, une intention « claire et nette ». Le propos est simple, porté sur les émotions du quotidien autant que sur le spectaculaire. Par une sorte de réserve dans le grandiose, ce cinéma là permet des moments puissants. Voyageant dans les viscères des petites, toutes petites, navettes spatiales, il parvient à transmettre la beauté froide de la technique et celle intouchable de la lune.