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Non, les enseignants ne glandent pas - Unsplash

Enseignants en confinement: « non, on ne glande pas »

Le confinement, de longues vacances pour les enseignants? Au contraire. Aurelia est professeure en promotion sociale, elle enseigne la maîtrise de la langue française à des adultes et à des étudiants de bachelier en réorientation, ainsi que la langue espagnole également à un public adulte. Les langues, ça la connait, et quand il s’agit de démonter les préjugés sur les enseignants confinés, elle n’a pas la sienne dans sa poche. 

J’ai été frappée d’observer, et ce dans plusieurs journaux ou webzines, dont celui-ci d’ailleurs, que lorsqu’il s’agissait de l’enseignement, la parole était le plus souvent donnée aux étudiants ou aux directeurs d’établissements.

« Je ne pense pas avoir vu beaucoup d’enseignants prendre la parole, du moins pas pour partager leur quotidien pendant ce confinement : or, cela aurait permis d’aller à l’encontre des traditionnels stéréotypes sur la profession ».

Des stéréotypes souvent véhiculés par des personnes qui n’y connaissent rien au métier, selon lesquels cette période de confinement est une période de « congé » pour les enseignants.

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Enseignants en confinement - Unsplash - Mark S.

Les enseignants aussi sont perdus

J’ai donc décidé de partager mon quotidien d’enseignante confinée, afin que certains néophytes puissent admettre que, comme beaucoup de gens en ce moment, les enseignants sont perdus.

« Ils font du mieux qu’ils peuvent pour transmettre leur matière et pour rassurer leurs étudiants, alors qu’ils ne sont eux-mêmes pas vraiment rassurés ».

J’ai résumé mes activités en une semaine : la chronologie est fictive (certains événements ont pris plus de temps pour se mettre en place par exemple), mais le travail fourni n’est pas du tout exagéré (et est souvent en-dessous de la réalité).

Vendredi 13 mars.

La nouvelle tombe : les cours sont suspendus dès lundi, et ce jusqu’au 3 avril. Je fonce sur ma boîte mail : lire attentivement les directives de mes directions (je travaille dans 3 établissements), prévenir mes étudiants, leur expliquer comment on va s’organiser (alors que tout est encore flou), mettre à jour les modalités de remise des travaux de fin d’année, le tout en essayant d’être rassurante et sereine.

Lundi 16 mars.

Réunion virtuelle en matinée avec la coordinatrice d’une des formations que je dispense (celle aux étudiants en réorientation), et pour laquelle je suis en charge de deux cours. On passe une heure avec elle et ma collègue à mettre tout en place pour le cours d’orthographe qui doit se dérouler l’après-midi : comment communiquer avec les étudiants ? comment dispenser le cours ? comment prendre les présences ? etc. Finalement, on décide de fonctionner par mail, et d’envoyer le cours en format Word avec des productions à corriger. De plus, afin de pouvoir répondre aux questions des étudiants « en direct », on crée un chat via la plateforme de l’UNamur. Ca se passe plutôt bien, on est contentes.

Enseignants en confinement - Unsplash - Christin Hume

Mardi 17 mars.

Nouveaux mails des directions, nouvelles circulaires de la FWB à lire, nouveau cours à préparer pour la formation en réorientation, cours qui se donne cette fois en matinée. On a heureusement pris de l’avance avec ma collègue en travaillant pendant l’heure de cours des étudiants la veille : on envoie notre cours, et on prépare déjà celui de la semaine suivante via WEBEX.

« Rapidement, un problème apparaît : en décidant de fonctionner par envois de mails, on se rend compte que nos boîtes mail sont rapidement saturées. On décide de réfléchir à un autre système, qu’on finira par trouver en fin de semaine ».

J’ai parlé de mails des directions : une de mes directions nous demande de garder une trace de tout ce qu’on envoie aux élèves. Ce document sera à transmettre tout d’abord hebdomadairement à la direction, et ensuite aux inspecteurs : il justifiera notre salaire.

Mercredi 18 mars.

C’est l’occasion pour moi de mettre en pratique ce à quoi j’avais pensé le week-end : m’enregistrer en train de donner cours, et envoyer l’enregistrement aux étudiants à qui je dispense un cours de maîtrise de la langue française. J’avais tout d’abord pensé à me filmer, puis à m’enregistrer sur un PowerPoint : l’UNamur avait mis à disposition des membres du personnel un kit pédagogique dans lequel étaient expliquées les différentes manières de dispenser un cours à distance.

Cependant, je me suis souvenue que certains étudiants n’avaient pas Windows et d’autres n’avaient pas Word : c’est ce qui m’a amenée à utiliser la fonctionnalité « enregistrement » de Windows, qui est compatible avec tous les programmes. Comme conseillé dans le kit pédagogique, j’ai réalisé un script (le déroulé de ma leçon), je l’ai lu une première fois afin de vérifier que tout était clair, puis je me suis enregistrée, en veillant à être la plus explicite possible (toujours dans l’optique de ne pas être inondée de mails porteurs de questions dont les réponses se trouvent souvent dans le cours). J’ai envoyé, en retard cette fois-là, le cours à mes étudiants.

Enseignants en confinement - Unsplash - Christin Hume

Dans le flou par rapport aux étudiants

Jeudi 19 mars.

Je suis dans le flou par rapport à mes étudiants d’espagnol. En effet, comme c’est du secondaire inférieur (et une option non certifiante), il est moins urgent de leur transmettre les cours. De plus, notre directrice nous a dit qu’on pourrait, si on revenait à l’école, reprendre les cours là où ils en étaient et les terminer plus tard. Je me questionne quand même sur ce que je vais leur envoyer (car il faut envoyer quelque chose) : en effet, j’ai deux groupes à ma charge, un faible et un fort.

Je décide d’envoyer des révisions sur tout ce qu’on a vu depuis janvier : ça va me prendre du temps, je n’enverrai la matière que la semaine avant Pâques, sous forme d’un dossier d’une petite trentaine de pages.

Vendredi 20 mars.

Je dois créer un dernier cours pour mes étudiants à qui j’enseigne le cours de maîtrise de la langue française ; j’ai maintenant une contrainte : je dois faire en sorte qu’il soit compatible avec l’enseignement à distance. Je décide donc d’utiliser des pictogrammes dans mon cours, afin de marquer les parties pour lesquelles un enregistrement est prévu, les parties où il y a un exercice à faire avec un correctif transmis, et les parties représentant des exercices qu’ils devront me rendre (ces remises de travaux font acte de présence). Avant de leur envoyer le cours, je crée un document de consignes dans lequel j’explique le fonctionnement avec les pictogrammes et je réalise un calendrier de remise d’exercices.

« Globalement, je m’en sors mais tout me prend beaucoup de temps : je me lève entre 8h et 9h, et je termine mon travail à 17h ; je suis parfois obligée de travailler les week-ends pour que tout soit prêt pour lundi ».

Lire aussi: 5 astuces pour les étudiants en confinement

Des enseignants surchargés

Je dois jongler entre des moments de recherche d’éléments pour faire mon cours, des moments où je dois concevoir le cours (avec la contrainte de l’enseignement à distance et du manque d’outils technologiques chez les étudiants et moi-même parfois), des moments de corrections (j’en ai tous les jours, pour tous les cours) et des moments pour répondre aux divers mails que je reçois – sans oublier une ou deux petites réunions sur la semaine via SKYPE ou WEBEX.

« En plus de cela, j’ai une maison à faire tourner : je ne peux pas laisser mon compagnon (qui télétravaille aussi) tout faire pour moi ».

Je conclurai ce petit billet par ceci : je suis normalement engagée pour prester environ 19 heures (un temps plein équivaut à 20 heures), et avec le confinement j’en preste le double (voire plus).

« Donc oui, je suis révoltée lorsque j’entends les étudiants se plaindre des enseignants qui n’envoient pas de cours, ou qui ne s’en sortent pas bien avec la technologie ».

On a dû s’adapter en très peu de temps pour faire en sorte que tout continue de fonctionner le plus normalement pour vous. Heureusement, je reçois beaucoup de messages d’étudiants qui me remercient d’être présente pour eux : ces messages-là sont de ceux dont on parle peu dans les médias, car on a tendance à davantage publier ceux qui prennent la plume pour se manifester leur mécontentement.

Ce que j’espère, c’est qu’après le confinement, on réfléchira à la notion d’ « enseignement virtuel » et à des moyens pour que tous les élèves puissent y avoir accès, et ce dans un souci d’égalité des chances.

Texte: Aurelia Esteban

Photos d’illustration: Unsplash

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