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Arrestation place Saint-Lambert - Montage Boulettes Magazine

« Furie » ou violence policière: que s’est-il passé ce matin place Saint-Lambert?

Ce matin, l’arrestation d’une femme place Saint-Lambert a suscité l’emballement. Médiatique, mais aussi populaire: plaquée au sol par deux policiers, elle est accusée d’outrage à agent et de rébellion, et affirme pour sa part avoir été victime de violence policière. Que s’est-il passé pour en arriver là? 

Si l’on en croit nos confrères de la DH elle se serait « attaquée sans raison à des policiers », raison pour laquelle ces derniers auraient plaqué la « furie » au sol. On passera sur l’usage de ce qualificatif, regrettable en temps normal mais particulièrement mal venu un huit mars, « La Meuse » soulignant pour sa part que la femme aurait « mordu et frappé » l’agent, une accusation que Tania (prénom d’emprunt) ne conteste pas.

Quand on l’a au téléphone, c’est la voix enrouée qu’elle s’exprime, entre deux quintes de toux, « parce que la bombe (bombe flash utilisée lors de l’arrestation, ndlr) m’a irrité la gorge ». Elle sort à peine du commissariat et s’apprête à se rendre aux Urgences passer des radios, livrant son témoignage tandis que sa soeur la conduit à l’hôpital. La petite quarantaine, aide-soignante et maman de trois enfants, Tania est sous le choc de ce qui vient de lui arriver et raconte.

« Je descendais du bus pour aller sur mon lieu de travail quand j’ai vu une femme au sol entourée de deux officiers de police. En tant que soignante, j’ai immédiatement tenu à me diriger vers elle, pour lui dire de rester assise, qu’on entendait l’ambulance arriver et qu’elle allait être prise en charge » explique Tania.

« Quand je me suis approchée d’elle, un des deux policiers m’a touchée. Je lui ai demandé pourquoi, et je lui ai dit qu’il venait de toucher la patiente avec ces mêmes gants et que je ne voulais pas qu’il me touche, avant de faire demi-tour et de continuer mon chemin »

Chemin interrompu par le policier en question qui lui demande de décliner son identité. « J’ai d’abord refusé, parce qu’il était 8h30, que je voyais mon premier patient à 9h et que je ne comprenais pas pourquoi je devais lui montrer ma carte. Il a dit que c’était obligé, parce qu’il était un agent de la loi, et comme je ne voulais pas faire de scène, je la lui ai donnée. J’ai ensuite voulu prendre mon téléphone dans mon sac pour prévenir ma patronne que je serais en retard, j’ai prévenu l’agent que j’allais le faire, et quand je me suis retournée pour le prendre, il m’a dit de reculer avant de sortir sa matraque ».

Commotion place Saint-Lambert

D’après Tania, l’agent de police aurait alors « commencé à s’exciter » et demander qu’elle se mette au sol, ce qu’elle a refusé.

« J’ai dit que je ne voulais pas, que je voulais juste récupérer ma carte d’identité et aller travailler. Il a commencé à me frapper avec sa matraque, et quand j’ai demandé pourquoi, il a dit que c’est parce que je ne le respectais pas. Il a sorti sa bombe lacrymo (une bombe flash, ndlr) et je me suis retrouvée à terre. Je ne comprenais rien, ils étaient à deux en train de me menotter »

La morsure rapportée par les médias? « J’ai voulu me défendre, le policier m’a mis la main sur la bouche alors je l’ai mordu » explique Tania.

« Il était en train de m’étouffer. J’ai trois enfants à la maison, j’ai vu ma vie défiler, je ne voulais pas mourir »

Un sentiment qui rappelle l’émotion collective suscité par l’assassinat de George Floyd au printemps dernier, et qui a rapidement attiré l’attention des témoins, qui ont été nombreux à filmer la scène. Des vidéos dont Tania espère que ses enfants ne les verront pas.

« Je suis détruite. Quelle image vont avoir mes enfants de moi en voyant leur maman à terre? »

Si les images sont difficiles à regarder, particulièrement en lumière du témoignage de Tania, du côté de la police de Liège, on conteste les accusations de violence policière.

Un événement, deux versions

« Deux de nos policiers étaient en intervention pour venir en aide à une femme tombée par terre à hauteur de la gare des bus place Saint-Lambert. Ils lui avaient porté secours, attendaient l’ambulance avec elle et voulaient l’aider à se relever quand a surgi une dame venue de nulle part qui a foncé sur eux et commencé à les invectiver en faisant de grands gestes » explique Jadranka Lozina, porte-parole de la police. Qui, comme Tania, raconte qu’elle est « partie, suite à quoi le policier a voulu contrôler son identité et ça s’est mal passé ». Voilà pour la concordance des récits, mais c’est à partir du moment du contrôle que les deux versions divergent.

« Le policier a sorti sa matraque et le flash pour l’arrêter. C’est un usage proportionné de la contrainte parce que cette dame a fait preuve de violence. En voyant les images sur les caméras de surveillance, ce n’était pas certain qu’il allait arriver à la maîtriser »

La morsure? « Elle a eu lieu avant que la dame soit à terre, le policier la saisit du bras pour l’arrêter et c’est là qu’elle le mord ». La présence de nombreux policiers place Saint-Lambert? « C’est vrai qu’il y avait beaucoup de véhicules, mais ils sont arrivés parce qu’ils ont entendu dans leur radio qu’un policier était en difficulté. On ne les a pas fait venir pour cette dame, et ce n’était certainement pas raciste parce que quand il y a un appel, on ne précise pas la couleur de la personne ». « Il faut rappeler que le policier est là avant tout pour porter secours, d’ailleurs c’est ce qu’ils faisaient à une dame était blessée, ils ont appelé ambulance et sont restés à côté d’elle » explique encore Jadranka Lozina, qui rappelle que dans ce cas précis, le contrôle d’identité n’était pas un délit de faciès mais bien la procédure.

« La police de Liège n’a rien à se reprocher. La police est là pour faire respecter l’ordre, pas pour se faire invectiver ou insulter, et quand ça arrive, c’est un outrage à agent et alors le policier a tout à fait le droit de demander les papiers, pas à courir derrière la personne et encore moins à essuyer des coups »

Avant de conclure que les événements de ce matin place Saint-Lambert étaient « une intervention propre, justifiée et que l’usage proportionné de la contrainte est complètement avéré ». « Que va-t-il falloir faire pour que la presse nous croire, diffuser les images des caméras de surveillance? Nous n’avons pas l’intention de rentrer dans ce jeu-là ».

Pour Tania et sa soeur, cela ne fait pourtant aucun doute: l’aide-soignante a été victime de violences policières, et compte porter l’affaire devant le Comité P. La police, elle a procédé à une arrestation judiciaire pour rébellion.  « Il faut laisser la police faire son travail » enjoint Jadranka Lozina. Et Tania, elle, de rappeler que « ce n’est pas comme si j’étais irresponsable ou que je traînais place Saint-Lambert, je ne cherchais pas les problèmes, j’allais au travail ».

 

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.