Madeleine Bourdouxhe, l’auteure liégeoise qu’admirait Simone de Beauvoir
Demandez à n’importe qui de vous citer le nom d’un talent littéraire liégeois, et c’est toujours Georges Simenon qui s’impose. Et pourtant, de tous temps la Cité ardente a été un vivier de talents multiples, à commencer par la plume acérée de Madeleine Bourdouxhe, admirée par Simone de Beauvoir elle-même.
D’elle, on sait moins que ce que l’on devrait, parce que l’Histoire a trop longtemps eu la manie désagréable de maintenir le talent des femmes dans l’ombre de celui de leurs pairs. La preuve: s’il n’y a que trois ans d’écart entre Georges Simenon et Madeleine Bourdouxhe, de 36 mois sa cadette, l’un est devenu le quatrième auteur francophone le plus traduit au monde tandis que l’autre a été largement oubliée. Et pourtant, ce n’est pas faute de talent.
Chronique d’un amour fou
Née à Liège le 25 septembre 1906, Madeleine Bourdouxhe étudie la philosophie à l’Université Libre de Bruxelles, où elle rencontre le mathématicien Jacques Muller, qu’elle épouse. Jeunes, intelligents et sociables, ils deviennent rapidement des figures incontournables des milieux surréalistes bruxellois où l’on célèbre Madeleine pour son second roman, « La femme de Gilles », paru chez Gallimard en 1937. La femme en question, c’est Elisa.
« Elisa aime Gilles. C’est son homme, celui dont elle attend le retour chaque jour, celui pour lequel elle travaille dur dans la maison, celui dont elle est à nouveau enceinte, celui au bras duquel elle regarde le soir tomber sur leur petit jardin d’ouvrier. Quand elle comprend qu’il s’est mis à en aimer une autre, elle ne peut que se taire, souffrir, attendre et espérer. Jusqu’à ce que ça finisse. Bouleversant par sa simplicité douloureuse, sa langue limpide et sa sensualité retenue, ce roman illuminé par le personnage inoubliable d’Elisa s’immisce dans le cœur insondable des passions ».
Et passionne le tout Paris, Simone de Beauvoir en tête.
Madeleine Bourdouxhe – Culture Remains
Dans « Le deuxième sexe », cette dernière cite en effet « La femme de Gilles » comme représentant l’exemple même de la femme qui rêve d’une fusion amoureuse alors que l’homme impose la séparation et la domination. Brillante, mais aussi engagée, Madeleine Bourdouxhe rejoint les rangs de la Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale, et refuse de publier ses nouvelles chez les éditeurs contrôlés par les Allemands, tels Gallimard ou Grasset, préférant plutôt distribuer en toute clandestinité des feuillets anti-nazis qu’elle se procure à Paris. Malgré l’acclamation de Simone de Beauvoir et le soutien de Jean-Paul Sartre, lui aussi séduit par ses écrits, en 1956, Madeleine voit son roman « Mantoue est trop loin » refusé par Gallimard, un camouflet qui la pousse à se détourner du monde de l’édition. Il faudra attendre 2019 pour qu’il soit publié de manière posthume par les Editions Névrosée, Madeleine Bourdouxhe ayant poussé son dernier soupir le 16 avril 1996 à Bruxelles, après être devenue Secrétaire perpétuelle de la Libre Académie de Bruxelles.
Madeleine Bourdouxhe, une héroïne discrète
Autre consécration arrivée trop tard pour que Madeleine Bourdouxhe ait pu en profiter: en 2004, Frédéric Fonteyne adapte « La femme de Gilles » au cinéma, avec Clovis Cornillac dans le rôle de Gilles et Emmanuelle Devos dans le rôle de son Elisa rongée par un amour plus fort qu’elle. Clin d’oeil aux origines principautaires de l’auteure, certaines scènes du film ont été tournées à Liège, rue de l’Epée et rue de la Liberté, entre autres. Si l’oeuvre littéraire de Madeleine Bourdouxhe ne lui a jamais valu de récompense officielle, le film, lui, a remporté le prix de Meilleur Film Belge selon l’Union de la Critique de Cinéma l’année de sa sortie.