Boulettes Magazine

Le magazine gourmand de découvertes
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Aberlour

Au nom du père, du frère et du god damned spirit

Chez moi, le whisky, c’est d’abord une histoire de famille. Depuis mon raod trip vers Islay avec mon père et mon frère, j’ai découvert la richesse du malt dans toute sa splendeur. Entre terre et mer, sur une île battue par les vents, réputée pour ses whiskys tourbés. Séchés à même la terre du pays. Noire, pesante, odorante. Une odeur de phénol, un goût de caoutchouc brulé et une bonne dose de puissance. Tout ce qui m’en rapproche m’y ramène.
Depuis que j’ai rencontré Kath, ma famille s’est agrandie. Alors quand elle m’a proposé de participer à un event Aberlour, j’étais aux anges. Non seulement, j’adore, mais c’était aussi l’occasion rêvée de la convaincre :
Tu sais chérie, cent balles pour une bouteille, c’est vraiment pas déraisonnable (…) Non mais ce machin est presque aussi vieux que moi (…) Y’a que des bonnes choses là-dedans. T’as vu cette couleur ?  (…) Jamie de Outlander, lui, il n’hésiterait pas une seconde.
Loch Ness, mystère et serre en verre
J’ai beau insister, rien n’y fait. Niveau spoiler, zéro. Kath reste muette comme une carpe du Loch Ness. Impossible d’en apprendre davantage. Une seule consigne : c’est elle qui fait bob.
– Allez, sérieux, on va où ? [Intonation raisonnable]
– Tu verras c’est une surprise [Air catégorique et déterminé]
– Mais steuplaîîîîît, sérieux, même pas un petit indice ? On va où ? [Ton d’enfant suppliant]
– …
Alors que la date fatidique se rapproche, le voile se lève un peu lorsque le facteur m’apporte un coffret contenant deux fioles. Une de single malt Aberlour et une autre contenant les arômes dudit breuvage : bâtons de vanille et de cannelle, sel marin et toffee. Autre région, autre ambiance, et un passeport pour le Speyside.
Jour J, je trépigne comme un enfant. A peine dans l’auto, le voyage commence : il pleut des cordes sur l’E42. Et toujours pas la moindre idée d’où nous nous rendons. Amay, Villers, Namur, Jodoigne … je finis par laisser tomber mes pronostics quand enfin, on s’arrête en lisière de forêt.
On continue à pieds pour gagner une superbe serre en verre. Copeaux de bois au sol, éclairage à la bougie et partout où se pose le regard, des bouteilles de tout âge. L’humidité ambiante contraste avec la chaleur de la verrière et l’entoure d’une brume épaisse qui s’ajoute au décor. Au centre, une magnifique tablée, magistralement dressée et décorée. Qui aurait cru qu’il suffisait d’une heure en voiture à partir de Liège pour gagner le Valhalla ?
 
Aberlour ou la magie de la double (matu)ration
A peine arrivé, je déguste un douze ans d’âge en guise d’apéritif. Equilibré et rond, la soirée s’annonce bien. Un peu trop peut-être. Lorsque mon voisin de table ne se présente pas et que la chaise à ma gauche reste désespérément vide, je ne flaire pas le piège.
Bizarrement, les serveurs non plus.
J’ai beau leur expliquer qu’il n’y a personne, ils s’obstinent à servir mon voisin invisible. Moi, dévoué, j’y vois un signe. Ces whiskys sont pour moi.
– Tu sais bien chérie, je déteste gaspiller  [clin d’oeil]
– Mais oui, chéri, je sais [clin d’oeil]
– Quoi, c’est pas vrai ?
– Ben je suis bob, donc je goûte, mais vu que tu détestes gaspiller, tu vas aussi devoir finir les miens [clin d’œil clin d’oeil]
– T’en fais pas va, j’en ai vu d’autres. Ce sont des petits verres.
Avant que ne débute le repas, en plus des whiskys, on nous distille quelques précieux conseils sur les nectars qui nous sont servis. Notamment, que les whiskys Aberlour se distinguent par un processus de fabrication unique : la double maturation
Plutôt que de transvaser le whisky en fin de parcours dans un fût différent pour lui conférer des arômes particulières, comme c’est souvent le cas avec des fûts de sherry (technique du finishing), Aberlour opte pour la double maturation. Pour faire simple, on prend un même whisky, qu’on fait vieillir dans deux types de fûts différents et que l’on mélange une fois vieillis, ce qui permet de jouer sur les assemblages. 
Jusque là tout va bien, je prends même des notes.
Retour de flamme
La soirée se passe à merveille. Les whiskys sont excellents et la nourriture préparée par les chefs Bruno Antoine et Abi Azaouaj est somptueuse. Huîtres et saint jacques à l’encre de seiche, saumon au fenouil ou encore porc fermier basse température, l’Ecosse en a dans le ventre.
Les parfums iodés de la cuisine accompagnent à merveille des whiskys qui gagnent en intensité avec les années. Après le 12 ans viennent le 16, le 18 et le A’Bunadh, le brut de fût de la maison. Rigueur scientifique oblige, je m’atèle méthodiquement à ma tâche : les goûter tous sans relâcher mon attention d’un yota.
A chaud, je livre mes premières impressions à Kath :
Ah, c’est cool, ils viennent d’allumer le chauffage. J’avais un peu froid au début, mais là, il fait carrément bon (…) Purée, whyksi, c’est pas facile à ércice (…) Oups, j’ai oublié de photographier le dessert (…) Tu bois de l’eau ? Mais t’as du wyhksi ? (…) Oufti, le A’Bundah, c’est pas pour les mauviettes (…) Non, j’te jure, ce truc ne fais pas 65% (….) Non non, j’suis pas saoul (…) Les joues rouges, j’ai toujours ça quand j’ai un peu chaud. C’est le chauffage. (…) T’as jamais vu Braveheart ? La scène ou Mel Gibson se fait torturer et crie LIBERTE (…) Ah oui, moi aussi je viens de le crier ? Mince (…) ah tiens ça me fait penser à Outlander, ça marche comment encore le générique ? (…) Comment ça ne le chante pas ? C’est un défi ? Bien sûr que je vais le chanter (…)

Bilan, une excellent soirée, un bon mal de crâne et une paire de lunettes à aller récupérer.

Explorateur du quotidien, Clem vit sa ville entre de multiples jungles, qu'il parcourt bras dessus, bras dessous aux côtés de Kath. Reporter pour Boulettes, Le Vif et Saveurs, il profite de la vie comme on croque un fortune cookie, intensément, tout en se remémorant ce proverbe : “life is like a roll of toilet paper. The closer it gets to the end, the faster it goes”