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Café Liégeois #9: Aurélie William Levaux, artiste ardente

 

Aurélie, on l’a découverte par un heureux hasard alors qu’on allait faire le plein de culture chez Livres aux Trésors et on est tout de suite tombées amoureuses de son univers décalé.
Des galeries parisiennes aux pages du New-York Times, son travail s’exporte bien au-delà des frontières de la Cité ardente, et cela se comprend: à mi-chemin entre l’art brut et la propagande féministe, ses œuvres provoquent et interrogent le spectateur.

Il y a quelques jours, on a eu le plaisir de la rencontrer et on s’est retrouvées face à un hybride de Catherine Deneuve et Debbie Harry à la langue bien pendue et au éclats de rire contagieux. Pour le coup, on est un peu tombées amoureuses d’elle aussi – Éloge d’une artiste ardente.

Aurélie William Levaux est partout: elle expose de Bruxelles à Paris en passant par Modène, a 13 ouvrages publiés à son actif et presque autant de prix reçus, et trouve encore le temps de signer une collab coolissime avec les Filles à Papa.
  Le tout sans prendre la grosse tête:  » Finalement, j’ai un parcours hyper banal. Les choses se sont mises en place toutes seules: c’est simple, il n’y a que ça que je sais faire. J’ai besoin de créer ». 

Quand elle ne crée pas, Aurélie retourne à Saint-Luc, mais aujourd’hui, c’est elle qui y donne cours.
 » J’ai un mi-temps là-bas, c’est chouette pour moi: les temps sont devenus super durs pour les artistes, et ça permet de m’équilibrer financièrement. En plus, parfois, quand tu travailles tout seul chez toi tu as tendance à devenir dingue alors ça me fait du bien de donner cours. Même si parfois c’est difficile: je vois les étudiants, ils sont remplis de rêves et je me dis en moi-même ‘olala, si tu savais comme ça va être dur mon gars…’ « 

Si Aurélie a réussi à ne jamais sombrer, elle sait à quel point les aléas de la vie d’artiste peuvent briser ceux qui les subissent: son compagnon, Moolinex, en a fait les frais.  » Quand j’ai rencontré Mooli il y a quatre ans, il était dégoûté du monde de l’art. A l’époque, on exposait dans les mêmes galeries et on est tombés fous amoureux. Avant lui, j’ai eu beaucoup d’histoires d’amour malheureuses et j’en suis venue à me dire que c’était impossible de construire quelque chose avec quelqu’un si on ne bossait pas ensemble. J’ai dû batailler pour le convaincre, et puis finalement, tout s’est enchaîné très vite. On était en vacances à Marseille, et en deux jours, on a fait notre premier bouquin, ‘C’était ça ou couvrir le monde de crottes de merde' ».  
Un ouvrage très vite suivi par un second livre, « Johnnychrist, une certaine empathie envers le fragile« .
  » On a voulu créer un personnage qui ne serait ni lui ni moi. Johnny c’est mal dessiné, c’est kitsch, c’est brillant… c’est un peu dans la mouvance de l’art pompier. C’est un super beau livre, mais on se disputait tous les jours en le faisant… Quand j’y repense, c’est horrible, mais ça lui a donné envie de relancer sa carrière. Deux artistes ensemble, c’est assez génial. Moi je fais des trucs hyper féminins et féministes, et lui il est à l’opposé, il a un univers très macho et brut dans le langage.
Quand on travaille ensemble, on crée une troisième personne, on essaie de ne plus parler de nos nombrils. On dit toujours qu’il ne faut pas mélanger amour et boulot, mais quand deux artistes vivent ensemble, forcément, on crée ensemble ». 

AWL & Moolinex // copyright Renaud Monfourny

Bien avant sa rencontre avec Moolinex, la vie privée d’Aurélie était déjà intrinsèquement liée à son travail.  » Au départ, je me contentais de dessiner, je ne brodais pas. Puis je me suis retrouvée enceinte, et tout à coup, j’avais envie de faire des trucs de fille, de tricoter… Du coup j’ai commencé à broder mes dessins, et ça a super bien marché, les gens voulaient que je brode tout, mais moi je n’étais plus enceinte, c’était vraiment pénible! Le positif, c’est que ça m’a donné un accès plus facile aux galeries: les dessins, ils n’en ont rien à foutre, mais les broderies, il y a du relief, ça donne un côté précieux ».

C’est là que réside la magie AWL: créer des broderies précieuses qui, vus de plus près, mêlent images phalliques et mots crus. «  C’est du féminisme à couilles, je revendique le droit à être vulgaire! A la base, je ne me sentais pas tellement féministe, je trouvais l’image un peu désuète, mais quand je vois comment les choses tournent, je me dis qu’il y a des choses à protéger. Au final, on m’a tellement dit que j’étais féministe que je me suis faite une raison. Mais j’ai quand même plus tendance à me sentir comme un garçon, c’est peut-être un genre d’Oedipe: je n’ai pas de zizi donc je veux les écraser tous ».
  
 » Je fonctionne énormément à l’émotion, je réfléchis très peu quand je crée quelque chose. C’est quand je prépare un livre ou une expo que je prends du recul, mais sinon, mes oeuvres, c’est une décharge pour moi. 
J’ai longtemps cru que j’appartenais au courant de l’art brut mais je ne peux pas: j’ai fait des études d’art, je n’ai pas de soucis cognitifs… Et pourtant, dans ma tête, c’est comme un asile: si je ne peux pas exprimer ce qu’il y a dedans, je suis malade. Ce qui me différencie vraiment de l’art brut c’est qu’il y a une recherche graphique, je veux que ce soit joli. 


Pour moi, le processus créatif commence toujours par une phrase, ou alors j’écris un long texte et des mots en sortent. Je raconte des histoires depuis que je suis gamine, les titres de mes oeuvres expriment toujours les émotions du moment vécu. Quand je revois mes oeuvres, je relis le titre et je peux te dire ce que je ressentais quand je les ai créées. Dans mes oeuvres, je reprends des personnages qui existent et je leur crée des histoires, j’ai brodé Deneuve, Arletty… »



Sa ville, Aurélie entretient le même rapport viscéral avec elle qu’avec ses oeuvres.
« J’avais l’ambition de partir, mais le père de ma fille vit ici.C’est un lecteur assidu de La Meuse et l’autre jour, il me montrait les pages culture: dedans, on trouvait des rubriques consacrées au vin et à la bière.. C’est fou, on ne verrait ça nulle part ailleurs!

Je fantasmais d’ailleurs, mais aller où? Ce qui est bien à Liège, c’est que tu n’es jamais tout seul, c’est une ville super humaine, et retrouver cet esprit village ailleurs, c’est pas évident.
Là, les étudiants sont en vacances et il ne reste que les Liégeois de souche, des gens complètement à la ramasse… C’est chouette, tu as l’impression d’être dans un film!
A Liège, tout le monde se mélange, il n’y a pas de ghettos, le bourge côtoie le tox. C’est une ville qui a quelque chose de très humain et touchant ».

Un peu comme Aurélie, dont on aime encore plus le travail  maintenant qu’on a rencontré la femme derrière les broderies. Pour découvrir ses oeuvres, c’est par ici !

       

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