Un an dans un internat pour filles à Bruxelles
L’internat ? Avec ton caractère ? Tu ne tiendras jamais le coup… Tu sais qu’ils ont des couvre-feu là bas ? Puis la bouffe, il parait que c’est pas terrible … Et tu ne seras qu’avec des filles ? Bonjour les crêpages de chignons ! Et les chambres ? Tu auras assez d’intimité ? J’espère pour toi que les douches seront propres !
Voilà ce que j’ai pu entendre quand j’ai du faire ma peine de prison pour l’agression d’un chauffeur de bus … Mais non, je rigole ! Même si parfois l’envie ne me manque pas …
Ces questions, ce sont celles que l’on m’a posées lorsque j’ai annoncé que j’allais à l’internat. Vous vous demandez sûrement « ça existe encore ça ? » et oui ! Pour des raisons pratiques, financières et question expérience de vie, c’est sûrement ce qui m’a fait le plus grandir.. enfin mûrir en tout cas !
La loi de la jungle
En une année passée là bas, la règle la plus contraignante était sûrement celle du « Couvre feu ». Lorsque 23h45 retentissait, plus aucunes sorties, aucun verre entre ami qui dégénère, ni de rencard qui se prolonge n’était possible pour les cendrillons que nous étions. Pas de place pour l’imprévu ! Bien sûr, il n’y a pas de règle sans exception. Marie, notre cuisinière adorée qui dormait là aussi, se levait à quatre heures tous les matins pour préparer les petits déjeuners. Il était donc possible de négocier pour qu’elle nous ouvre la porte secrètement. Le tout était de ne pas se faire repérer en rentrant jusque nos chambres, un verre dans le nez.
Autre heure que les filles et moi redoutions, l’heure de « l’alarme incendie ». Lorsque celle-ci sonnait, il fallait tout arrêter sur le champ, sortir de l’établissement par les issues de secours les plus proches, aller sur le parking et se mettre en file, par étage. Le tout en moins de 2 minutes. Serviettes enroulée sur le corps, cheveux mouillés, claquettes aux pieds et parfois il fallait recommencer l’opération ! Lorsque l’une d’entre nous sentait l’alerte, nous observions le comportement des éducatrices, nous écoutions leurs conversations et si le doute se confirmait, on faisait passer le mot. Parfois l’alerte se répandait comme une trainée de poudre dans tout l’internat et tout le monde flippait jusque vingt et une heures !
La question qui importe le plus quand on quitte le cocon familial c’est certainement celle des repas. Je suis passée du poisson, des légumes et des pâtes une fois par semaine, à … frites le mardi, pâtes le mercredi et patates ou croquettes le restant de la semaine. Sans compter les petits desserts par ci par là ! Aller à l’internat, c’est accepter le fait que.. Non en fait ! J’ai pris des kilos car mon alimentation avait changé et ça m’a valu une prise de tête avec ma mère pour avoir pensé qu’elle mettait mes jeans au sèche linge !
De plus, les horaires des repas étaient, évidemment, à respecter. Forcément pour manger, il fallait le mériter ! Si on arrivait après dix-huit heures trente, il fallait attendre l’heure d’après avant de pouvoir se mettre à table. À la rigueur, une amie pouvait prendre notre plateau, mais au risque de manger froid .. (il y avait des micro ondes bien sûr, mais c’est moins drôle si je vous le dis). Ah j’oubliais, il fallait s’inscrire aussi ! Comme je l’ai dis, « j’oubliais » .. Sans inscription, il n’y avait (soit-disant) pas assez de plats, il fallait donc passer son tour et attendre que tout le monde soit servi. Challenge accepted ? Go eating !
Bien sûr cette nouvelle vie n’aurait pas été si « nouvelle » sans les éducatrices … Telles des chevalières royales, elles se devaient de partager le règlement d’ordre intérieur et la parole du directeur. Elles veillaient à la bonne répartition des repas et au changement des draps. Les éducs adoraient les ragots, mais surtout se les répéter entre elles ! Elles étaient un peu des grandes soeurs avec qui on ne pouvait pas se disputer … Quand l’une d’entre elles était sur notre dos, on ne pouvait pas lui tirer la langue …
À la tête de cette équipe, le directeur. Lui c’était un peu le roi Dagobert avec sa culotte à l’envers. Il voulait tellement être « IN » et proches de ses internes que ses exploits de soirée lui ont fait perdre toute crédibilité … Comme dit le dicton, aucune grande histoire ne commence avec une salade !
Et puis il y a la vie entre filles. Qui a parlé de prison déjà ? Pour le coup, c’était la cantine dans Orange is the new black ! Entre le clan des noires, des hispaniques, des lesbiennes, des recluses, des biatch, et des filles banales… Il y avait toute une hiérarchie dans la cafétéria. Les chaises étaient déjà attribuées et pour le peu qu’on posait son plateau à la mauvaise place, on se faisait mal regarder et ça faisait parler !
Mais pas autant que l’événement qui faisait sans doute le plus parler les filles de l’internat … L’élection de la « Déléguée de couloir ». Celles qui écopaient de ce statut, voyaient en elles une future Clinton ! C’était un sujet très sérieux, les candidates étaient prêtes à tout pour se rapprocher de leurs électrices, qui a dit qu’on ne parlait pas politique dans un internat de nanas ?
Une dernière chose sur ces filles, outre qui vont dormir à l’aube en période d’examens ou qui claquent les portes des chambres et des toilettes sans arrêt. D’autres filles étaient somnambules .. Et là c’est tout de suite moins rigolo pour celles qui ont peur des phénomènes nocturnes (comme moi) !
À quatre heures du matin, seule dans ma chambre, j’entends quelqu’un qui marche dans mon couloir. Contre ma volonté, mon attention se décuple et je peux entrevoir des pas en dessous de ma porte. Je comprends que c’est une fille somnambule. Elle répète quelque chose d’inaudible… Elle murmure « WAH – WAH » en faisant des allers retours. Je me crispe, totalement figée, je ne sais rien faire à part écouter et paniquer, seule dans mon lit. Lorsque je crois qu’elle s’éloigne, elle revient, mais en tapant contre les murs cette fois ! Ce cauchemar éveillé a duré une heure. La légende de la somnambule est née ! Depuis je n’ai plus jamais été faire pipi pendant la nuit.
Se faire des potes et du flouz !
Vous hésitez ? C’est normal. Maintenant passons du côté étincelant de la force ! Cette expérience multifacette a de (très) très bons aspects aussi !
Question argent, Bruxelles n’est pas facile d’accès pour une étudiante qui doit financer tout d’elle même. L’option « Internat » est donc une bonne alternative aux loyers souvent trop élevés des Kots. De plus, le prix à payer (250€) comprend la nourriture et les charges, forcément. Donc pas de mauvaise surprise à la fin du mois ! Avec un job sur le côté, il est donc possible de garder un peu d’argent de poche et, évidemment, de le dépenser en shopping et en restos après les cours. C’est pas beau ça ?
Malgré les légendes autour des « pensions », ce type d’expérience est à vivre comme une étape vers l’indépendance. Mais l’indépendance c’est aussi avoir des responsabilités, comme les horaires à respecter ou savoir vivre avec les internes et les figures d’autorité. Même si on ne vit pas seule, qu’on ne cuisine pas et qu’on ne fait pas nos lessives, être en internat signifie être loin de ses habitudes et de son confort personnel. Mais c’est justement là que c’est intéressant car on apprend réellement à se responsabiliser. Tout le travail va se faire au niveau de nos capacités d’adaptation, ce sera d’ailleurs plus difficile chez certaines filles que chez d’autres. Même si les dimanches soirs n’étaient pas des plus motivants, les vendredi l’étaient plus que jamais !
Ce que je retiendrai le plus de cette année, ce sont les filles que j’ai rencontré. Telles des héros de guerre, des filles qui traversent les mêmes galères, on tisse des liens avec une seconde famille. Notre clan à nous, c’était les « Internanas ! ». Avec elles, plein de bons moments passés en dehors ou au sein de l’internat. Parce que oui, l’internat organisait aussi des soirées ! Notamment une soirée Halloween, où tout le monde était déguisé et divisé en équipes. Chaque équipe avait une carte qui la menait à des pièces secrètes. L’intrigue ? Il y avait eu un meurtre et il fallait trouver des indices sur le coupable, le lieu et l’arme du crime. Un genre de Cluedo Horror Show géant !
Autres pièces que l’internat mettait à notre disposition, c’étaient celles pour étudier, lire ou encore aller sur internet. Mais nous avions aussi accès à des lieux de détente, comme la salle de billard ou notre salle ciné – baby-foot ! On a d’ailleurs failli mettre en place un championnat, mais on s’est dit que ça allait vite tourner en règlements de compte entre tigresses de la jungle..
Je me souviens aussi de tous ces repas de fêtes, préparés soigneusement par Marie qui donnait corps et âme pour nous faire des repas de dingue ! Toutes les filles mangeaient ensemble. Car la magie de Noël, on ne la gâche pas avec des rancoeurs ou des ragots.
Enfin, la soirée qui clôture l’année en beauté … Celle du nouvel an ! On l’a fêté début mars, donc on l’attendait depuis deux mois cette soirée. La musique à fond et toutes les filles sur leur trente et un ! Hauts-talons, make up au top, coiffures laquées, elles étaient au « climax » de leur sexytude et toutes ready pour pécho ! Pécho qui ? Sûrement le DJ car c’était le seul mec de la soirée…
Bref ces amies là, c’est le genre à venir frapper à la porte de ta chambre pour que tu viennes manger en même temps qu’elles. Elles te gardent ton plateau et choisissent ton dessert préféré parce qu’elles savent bien que tu seras en retard. Elles ont toujours un histoire à te raconter sur le coin du lit. Et elles sont hyper cools, parce que ramener du vin dans les chambres sans se faire repérer, c’est comme manger une pizza sans que maître Splinter ne te voit !
Cette année m’a beaucoup appris, sur les autres et sur moi. Vivre cette expérience à 21 ans, ce n’est pas « Has Been » mais hyper enrichissant !
Parlons bien, parlons sérieux. À n’importe quel âge, on doit apprendre à respecter les différentes cultures et à s’y adapter. L’internat, c’est un peu comme une mini planète, un écosystème où tout le monde vit en communauté… Et bizarrement avec quelques règles et du savoir-vivre, ça fonctionne très bien !