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La Ruche Ludivine Sagnier Christophe Hermans bipolarité

Avec « La Ruche », un prof de l’ULiège signe le film le plus touchant du printemps

Dans “La Ruche”, Ludivine Sagnier incarne avec une justesse bouleversante Alice, une mère aux prises avec la bipolarité. Un trouble lourd de conséquences pour elle mais aussi pour ses trois filles, qui incarnent chacune un pan de celui que Christophe Hermans a été ou aurait voulu être face à la maladie de sa propre mère. Pour Boulettes Magazine, le réalisateur namurois, arrivé à Liège par amour pour ne plus jamais la quitter, s’est raconté sans tabous à l’occasion de la sortie du film.

Un film qui marque un tournant pour lui : outre le fait qu’il a enfin réussi avec « La Ruche », du titre du roman éponyme sur lequel le scénario est basé, à raconter l’histoire de sa mère, le film, qui voit la fille de Nicolas Duvauchelle et Ludivine Sagnier, Bonnie, donner la réplique à sa mère à elle, est également l’occasion pour Christophe Hermans de réaliser son premier long-métrage de fiction. Car c’est bien de ça qu’il s’agit ici, même si « La Ruche » trouve en lui et dans son histoire personnelle une résonnance toute particulière. « Très vite, j’ai dû me réfugier dans les films pour me créer un imaginaire et oublier ce qui se passait à l’intérieur de chez moi » confie le natif d’Andenne, qui, de son propre aveu, « vient d’un milieu social où le cinéma et la culture n’étaient pas très présents. Papa était ouvrier, maman, secrétaire, et c’est ma relation à elle et à sa maladie qui ont inspiré le film. Dès l’âge de quatorze-quinze ans, pour échapper à un quotidien pas toujours simple, j’ai commencé à prendre ma caméra partout avec moi pour créer des fictions. C’est ça qui m’a donné envie de faire ce métier ». Un métier appris à l’IAD, dont il ne faisait visiblement pas partie des klûtes puisque son film de fin d’études, « Poids Plume », a été primé dans une série de festivals. Un talent confirmé deux ans après sa sortie de l’école avec « Le Crabe », court-métrage de fiction réalisé en collaboration avec Xavier Seron en 2007, et élu meilleur film au FIFF de Namur la même année. Une jolie consécration pour l’enfant du cru, qui avait toutefois alors déjà quitté sa capitale wallonne natale pour les rives de Liège.

Christophe Hermans réalisateur "La Ruche" DR Boulettes Magazine

Les films du bord de Meuse

« J’y ai déménagé par amour il y a une quinzaine d’années, et quand on a rompu, je suis resté ici parce qu’entre temps, j’étais tombé amoureux de la ville aussi. Ma nouvelle compagne vit à Bruxelles, mais je n’y suis que la moitié du temps, car j’aime trop Liège et plus précisément Saint-Léonard, où je vis. C’est un quartier qui bouge beaucoup, j’ai découvert récemment Ici et Maintenant, où j’ai réalisé une interview, c’est super chouette comme concept. Je me sens vraiment bien à Liège, le Pépouz Café est un de mes repères, j’ai mon bureau au Pôle Images, j’adore qu’on puisse tout faire à vélo ou à pied ici. Je suis un grand amoureux du sport, je cours beaucoup, et qu’est-ce que c’est chouette de faire son jogging en bord de Meuse. Je crois qu’elle apporte énormément à Liège, parce que le fait d’être traversée par un fleuve lui permet de respirer » s’enthousiasme le réalisateur de « La Ruche ».

« La ville a énormément évolué depuis que j’y suis, sa proposition culturelle a connu une transformation substantielle, mais l’écart entre riches et pauvres s’est incroyablement creusé aussi » – Christophe Hermans.

Une injustice qu’il est aux premières loges pour constater à l’Uliège, où il est maître de conférences. « Certains de mes étudiants doivent se rendre dans des banques alimentaires, d’autres ont carrément recours à la prostitution » regrette celui pour qui donner cours en parallèle de ses activités de réalisation a d’abord répondu à un besoin (« on ne vit pas du cinéma ») avant de devenir une nécessité. « Je suis convaincu que tout le monde peut avoir accès au secteur, et j’ai envie de pouvoir encourager les désirs de celles et ceux qui ont envie de faire du cinéma. J’apprends aussi énormément de mes étudiants, parce que c’est fascinant de découvrir ce qu’un jeune de vingt ans a envie de raconter sur le monde. Aujourd’hui, il y a 20 ans d’écart entre mes étudiants et moi et cela veut dire que j’apprends autant d’eux qu’ils apprennent de moi ». Une manière aussi pour le réalisateur de « La Ruche » de garder une certaine candeur à l’égard de son métier, malgré un quotidien à mille lieues des fastes du tapis rouge.

Nouvelle vague

« Quand on regarde les chiffres des salles de cinéma, c’est assez détestable. Un film belge qui « réussit » fait entre 2.000 et 5.000 entrées, ce qui n’est rien du tout quand on sait qu’en Belgique, on est onze millions. Aujourd’hui, avec la multiplication des plateformes de streaming, de moins en moins de gens se déplacent dans les salles, parce qu’il faut faire l’effort de s’y rendre mais aussi de voir un film en v.o., ou en noir et blanc… » regrette Christophe Hermans.

« En tant que cinéaste, je pense que c’est important de faire réfléchir le monde, et pas seulement de lui donner du popcorn et de l’écarter de la réalité pendant deux heures, même si les gens ont besoin de ça aussi. Faire du cinéma, c’est chercher des réponses et faire avancer le monde » – Christophe Hermans.

Et celui qui est aujourd’hui produit par Les Films du Fleuve de citer l’impact du « Rosetta » des frères Dardenne, « sans lequel il n’y aurait pas eu de plan Rosetta à l’époque. Le rôle d’un cinéaste n’est pas uniquement de divertir, on doit contribuer à faire bouger les mentalités » assure Christophe Hermans, qui se réjouit de l’existence des Grignoux. « Ils font énormément pour le cinéma belge et européen, et sans eux, beaucoup de films ne seraient pas visibles, voire même, ne verraient pas le jour tout court ». Par chance, en 2008, un certain Dany Habran a choisi de projeter son premier court-métrage de fiction, un pas dans la bonne direction qui l’a mené aujourd’hui, à faire la promotion d’un film qui, s’il s’agit officiellement de son premier long-métrage de fiction, résonne particulièrement vrai pour celui qui a vécu ses années formatrices dans l’ombre d’une mère aux prises avec une maladie qu’il a choisi de ne pas nommer dans le film.

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La Ruche et les abîmes

« Cela faisait longtemps que j’avais envie de faire un film qui parlait de la bipolarité de ma mère et surtout des liens qui m’unissent à elle, mais je n’arrivais pas à prendre suffisamment de distance avec le sujet pour l’écrire, ma productrice me disait que le public ne s’y retrouverait pas. Et puis un jour, j’ai découvert le livre « La Ruche », d’Arthur Loustalot, qui m’a chaviré. Je ne voulais pas lire la fin, parce que je devinais ce qu’Alice (la protagoniste principale, incarnée par Ludivine Sagnier à l’écran, NDLR) allait faire. J’ai filé à Paris sans l’avoir terminé en lui disant que je voulais adapter son roman, dont il m’a dit qu’il expliquait sa relation à sa mère et ses sœurs. J’ai lu la fin du livre sur le chemin du retour, et ça m’a complètement bousillé, mais je me suis immédiatement dit que c’était comme ça qu’il fallait que mon film finisse aussi ».

« Quand on est l’enfant d’un parent défaillant, on a peur à chaque fois que le téléphone sonne. En préparant le film, j’ai dû faire face au décès de ma propre mère, et cela a été très difficile que la réalité rattrape ainsi la fiction. On travaille toute sa vie à se protéger, puis il suffit d’un coup de fil pour tout faire voler en éclats. Sa mort a entrainé chez moi la rage de vouloir absolument faire ce film, en montrant bien que les personnes bipolaires souffrent aussi énormément parce qu’elles sont coincées dans une prison mentale » Christophe Hermans.

Une prison dont le Liégeois d’adoption espère ouvrir les portes à celles et ceux qui visiteront « La Ruche ». « J’ai envie que les gens ressortent de la salle en étant conscientisés sur la maladie, mais aussi, en réalisant qu’ils n’ont pas vu un drame social mais bien un film familial, un film d’amour. Beaucoup de gens viennent me trouver après la séance en me disant qu’ils se reconnaissent parce qu’ils ont traversé ça aussi, et si j’avais eu ce film ado, ça m’aurait peut-être permis de réaliser que je n’étais pas seul au monde » confie Christophe Hermans. Qui n’en a pas fini de faire son cinéma.

Photo de couverture: Lara Gasparotto

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.