Papote tranquille tranquille avec le collectif Sauvage Sauvage
Très récemment, j’ai rencontré les membres du collectif Sauvage Sauvage, videomakers de leur état (liégeois). Du dernier clip de Blue Velvet, dont on vous avait déjà parlé, à celui de Dan San, le long des routes européennes ; ou encore ceux d’autres artistes des labels Jaune Orange ou Honest House ; de Benjamin Schoos ou Miam Monster Miam, en passant par la vidéo de la Dynamocoop, au service des métiers créatifs… Si la vie culturelle Liégeoise ne vous est pas complètement étrangère, vous avez forcément dû croiser l’une ou l’autre des créations, aussi originales qu’esthétiques, du collectif dont le nom rappelle le naturel de la campagne d’origine de ses membres, et dont l’abréviation est ô combien risquée.
J’ai donc papoté avec Arnaud, Raph et Pascal dans l’antre de ce dernier. Ils étaient en train d’effectuer les derniers bidouillages de la nouvelle vidéo qu’ils réalisent pour Benoît Lizen, qu’on a pu écouter lors d’un concert sauvage à la Cité Miroir il y a quelques jours, et qui s’est produit peu de temps avant aux côtés de Cocorosie aux Nuits Botaniques –excusez du peu. Le futur clip, en plan séquence, sera comme « une berceuse un peu glauque, filmée dans les bois du côté de Theux », souligne Arnaud. Mi-rêve mi-réalité, hanté par les esprits de la forêts, un arrangement qui devrait parfaitement coller à l’univers de Benoît Lizen, artiste à la folk à fleur de peau, qui chante dans sa langue inventée, le Galionka.
C’était aussi l’occasion de revenir sur les origines de Sauvage Sauvage, qui coïncident avec celles de la carrière musicale de Benoît Lizen. En effet, il y a quelques années, alors qu’il s’occupait de la régie lors d’un mariage, Arnaud a filmé la prestation de Benoît qui y chantait, et qui participe depuis au collectif. La machine était lancée : Sauvage Sauvage a alors réalisé avec lui son premier clip « officiel », tout enneigé.
Depuis environ 6 ans, donc, Sauvage Sauvage réalise principalement des clips, et ce par dizaines. Mais le collectif a aussi produit un court-métrage –Martin, tout en poésie et en mélancolie, et lauréat du Grand Prix du festival « Le Court en dit long » en 2012– ainsi que pas mal d’autres vidéos sur le côté. Notamment pour le Microfestival, festival Liégeois convivial, petit par la taille mais grand par le cool, dont ils signent à peu près chaque année le teaser (d’ailleurs, la version 2016 sort cette semaine).
« Martin », l’unique court-métrage de Sauvage Sauvage |
Liège étant un tout (tout) petit monde, nul ne s’étonnera donc d’avoir croisé leurs vidéos çà et là, ou encore d’avoir l’impression de reconnaître la tête de l’un ou l’autre de leurs figurants. Il faut dire qu’il a longtemps s’agit de faire tourner les copains dans les productions, et puis d’ailleurs, c’est un peu ça aussi, l’esprit Sauvage Sauvage : c’est avant tout un noyau dur, composé de Pascal, Arnaud et Raph, autour duquel se sont rassemblés, au fur et à mesure du temps et selon les projets, des équipes diversifiées. Une bande de copains où chacun donne un coup de main, car « sans les autres qui travaillent sur les projets, ça ne marcherait tout simplement pas ».
Ce qui a motivé Raph à se lancer dans la vidéo, « c’est le clip Burnin de Daft Punk » –et ce qui a motivé Arnaud, « c’est Raph ». Réunis au départ par le désir commun de réaliser des clips, le trio initial cumule d’autres boulots sur le côté : prod’, illustration, graphisme… Une réalité pour beaucoup de créatifs, même si Sauvage Sauvage reste de loin leur activité principale, à la fois job à temps plein et envie première.
Si chacun est un peu touche-à-tout, Pascal et Raph se spécialisent toutefois dans la réalisation et Arnaud, dans la production. « … parce que les autres sont vraiment nuls » souffle celui-ci. Il faut certaines caractéristiques pour être du côté prod’, et Pascal le rappelle : « Son mot préféré, c’est Allez Daï ! pour nous presser ». C’est un travail d’équipe, et globalement, les trois potes ne sont jamais en désaccord fondamental. Quoiqu’il arrive, le dernier mot reviendra toujours à celui qui gère la réalisation, et qui marquera de sa patte l’identité du clip, dont le style peut varier du tout au tout.
Là où Sauvage Sauvage porte bien son nom, c’est pour son côté débrouillard, un peu à l’arrache et bricolage lors des tournages : au niveau des décors, de la récup’ ou lorsqu’il s’agit de dénicher un accessoire loufoque –qu’il s’agisse d’un cercueil gratuit ou de 80 kg de viande fraiche. C’est toujours un peu un challenge, comme lorsqu’il s’agit d’apprendre à manipuler du latex ou à fabriquer avec les moyens de bord des centaines de litres de faux sang ou de sperme, « Mais attention ! Aux fruits exotiques pour que ce soit quand même bon » précise Pascal concernant le faux liquide séminal.
Un certain sens de la débrouille, donc. « Souvent, on ne peut pas se foirer » : inutile de préciser que déverser des litres de gouaches pour les biens d’une vidéo ne peut pas se répéter à l’infini.
A l’arrache parfois, mais toujours pro. Car le matériel est de qualité, l’équipe sérieuse, et le résultat, toujours surprenant et créatif. Autant de raisons qui, peut-être, font qu’artistes et groupes continuent de venir solliciter Sauvage Sauvage pour la réalisation de leurs clips, et rarement l’inverse. Il faut que le morceau leur plaise pour que le collectif puisse bosser dessus, c’est la condition fondamentale.
Ça et la liberté, revendiquée et exigée : « Il faut obligatoirement qu’on s’amuse, donc ça doit être carte blanche quand on accepte de faire un projet » note Pascal, avant d’ajouter : « On essaie de coller au mieux à l’esprit du groupe, du morceau, qu’on écoute à n’en plus pouvoir jusqu’à ce que les idées émergent ». Arnaud acquiesce : « C’est cette liberté qu’on demande qui fait qu’on arrive à des clips dont on est contents ».
…Et dont les groupes sont contents aussi. Parce qu’ils s’amusent en les faisant et que ça se sent. Le groupe The Blind Shake, qui avait complètement flashé sur l’esthétique de Martin, leur a d’ailleurs commandé un clip 100% libre, sans aucune directive, sauf de coller à l’image du court-métrage. Résultat ? Une super expérience, que le groupe a adoré, et pour lequel Sauvage Sauvage s’est définitivement bien marré.
Le clip vidéo comme format de prédilection « qui permet de se faire plaisir », donc.
Et de tous ces clips qu’ils ont créés, lesquels seraient leurs préférés ? Probablement The Best Burger pour The Experimental Tropic Blues Band – complètement barré, beaucoup de boulot mais définitivement un de leurs meilleurs tournages– ou bien la vidéo réalisée pour The Blind Shake, justement. Tournée lors d’un rassemblement américain made in Belgium réunissant tous les clichés du genre, entre pneus brûlés et grosses cylindrées. Où le collectif est parvenu à convaincre les participants de se prêter au jeu et de chanter en lipping dans le clip, non sans avoir organisé une grosse fiesta auparavant.
Devant la grande variété et l’originalité de leurs clips, on peut se demander si les membres de Sauvage Sauvage possèdent un fantasme vidéo encore inassouvi. La réponse est oui, « Un truc avec des zombies ! C’est le rêve ultime » s’enthousiasme Pascal. Difficilement réalisable dans l’immédiat, faute de moyens. Mais vu la créativité bouillonnante de la bande, on pourrait bien être surpris…
A Liège, vous pourrez éventuellement les croiser à des concerts des supers labels liégeois Jaune Orange ou Honest House, ou peut-être bien autour d’un café chez Grand Maison –où Pascal officie aussi derrière les fourneaux. On a pas réussi à départager qui de lui ou Raph faisait les meilleurs boulets liégeois, mais concernant la relation qui lie le collectif Sauvage Sauvage et la Cité Ardente, entre galères, copinages et bons plans, les trois gars de résumer ainsi :
« On a bien bon »
Ça, c’est dit.