Peaux de pêche : du cuir de poisson made in Liège
Il est pas beau mon cuir de poisson ? Si cette pratique se fait en France depuis le 18e siècle, il semblerait que le cuir de poisson soit plus que jamais d’actualité en 2020. Les créations de « Peaux de pêche » remettent la mode responsable au goût du jour et on y plonge les yeux fermés !
À Liège, Caroline Caucheteur est tanneuse professionnelle et véritable enfant de la mer. Elle a choisi la peau de poisson pour réunir l’univers marin qu’elle aime tant et l’innovation engagée dans le développement durable privilégiant la production locale et artisanale.
Originaire du Hainaut, et liégeoise d’adoption depuis maintenant 13 ans, Caroline est arrivée à Liège dans le cadre de ses études s’y sent depuis comme un poisson dans l’eau : « une fois qu’on y est, on y reste dans notre charmante Cité Ardente remplie de lieux insolites et surtout, avec cette ambiance artistique et alternative. » Véritable terreau créatif, Caroline a pu développer son activité dans le quartier Saint Léonard, au sein des ateliers Dony du Comptoir des Ressources Créatives, où elle peut créer en toute tranquillité.
Mon métier « racine » est tanneuse de peaux de poissons. Je fournis donc le cuir « brut » aux créateurs. L’idée est de développer un deuxième axe de travail en créant des partenariats avec des créateurs pour développer des gammes de produits finis. C’est un métier de par son aspect commercial, vente,… mais c’est également de l’art, car mon but est de sublimer chaque peau, en jonglant avec différents tanins, différents colorants.
L’organisation d’événements et la communication sont deux choses « innées » chez Caroline. Après une dizaine d’années dans ce secteur, elle a approfondi ses connaissances en se formant en éco-pédagogie et aux intelligences collectives. C’est à dire aucun produit chimique : uniquement des plantes et des minéraux, même si les tannins végétaux sont plus chers. Le but est de sensibiliser à cette pratique.
En choisissant de devenir Tanneuse, j’ai pu pour la première fois, allier l’ensemble de mes diplômes et de mes compétences, c’est-à-dire les racines de l’art, l’aspect manuel, les relations publiques, les cours de sculpture qui étaient plus qu’une passion, car on travaillait la matière et… la créativité !
Des déchets d’entreprise à la création du cuir
La première chose à préciser, c’est que le cuir est une peau animale transformée, donc toutes les « peaux végétales » comme la peau d’ananas par exemple, ne peuvent pas s’appeler « cuir » à proprement parler. Selon Caroline, la peau de poisson est un matériau extraordinaire auquel on ne pense jamais. Le belge étant amateur de poisson, c’est une ressource extrêmement présente sur le territoire, et il aurait été dommage de ne pas l’exploiter. De plus, le motif laissé par les poches des écailles place le cuir de poisson dans la catégorie des cuirs exotiques, ce qui le rend plus rare. C’est aussi un cuir très résistant, car les fibres des peaux de poissons sont entrecroisées, telles des fibres d’OSB (panneau de fibres de bois), ce qui lui confère, à épaisseur égale, une résistance supérieure à un cuir bovin.
Lorsque les poissonniers filètent les poissons, la peau finit à la poubelle. Mais ça, c’était avant. Caroline remet sur le marché des produits destinés à être incinérés, pour en faire un produit noble et de qualité ! Les peaux traitées naturellement n’ont aucune odeur, ne produisent pas d’allergie, ont une forte élasticité. Et bien sûr, elles sont résistantes à l’eau.
« Je me procure les truites à la pisciculture Commanderie 7 et les saumons à l’Artisan du Saumon. Bientôt suivront du bar (plus épais) et de la sole (dont le cuir est plus souple et plus fin). C’est la soie du poisson »
La première étape consiste à préparer les peaux : il faut les débarrasser des chairs restantes et des écailles. Caroline compte 10 à 15 minutes de travail avant le tannage. Ensuite, les peaux sont lavées et immergées dans des bains de tanins durant une dizaine de jours. Les peaux sont colorées grâce à des pigments de plantes ou d’insectes, ou encore grâce à des essences d’arbres. Elles sont ensuite à rincées une nouvelle fois et mises en sèche. Enfin, elles sont nourries et assouplies, par exemple avec de l’huile de jojoba. En tout, il y en a pour 30-40 minutes consécutives de main d’œuvre par peau.
L’ensemble du processus dure un petit mois. Il faut donc compter un mois pour se faire livrer une commande, que vous soyez un particulier ou un professionnel.
Les roses sont rouges, la mer est bleue, mais le poisson… c’est vert ?
Il y a deux façons de tanner nous explique Caroline : le tannage à l’aluminium et au chrome, qui est très polluant, tant pour l’environnement que pour la peau (risques d’allergies) ou le tannage végétal, à base d’extraits naturels de plantes et beaucoup plus écologique.
« J’ai fait le choix du tannage végétal. Je colore également les peaux de façon végétale, avec uniquement des produits naturels. De plus, je travaille actuellement à la revalorisation de mes propres déchets, afin de réduire au maximum l’impact de mon activité sur l’environnement »
Un poisson hors de l’eau, ça donne quoi ?
Les écailles sont enlevées avant que la peau ne soit tannée. D’un point de vue visuel donc, c’est la « poche » dans laquelle l’écaille était fixée qui confère au cuir son motif. En fonction de l’espèce de poisson travaillée, le motif sera complétement différent. « Pour le saumon, en général, au premier regard et touché, on me demande si c’est du serpent ». Pour ce qui est de l’odeur, question qui semble légitime, une fois que la peau est tannée, elle perd son odeur de poisson : « La peau sent l’odeur des substances tannantes, les plantes dans mon cas ».
Financièrement, une peau de saumon revient à une trentaine d’euros. Au niveau du comportement du cuir de poisson dans le temps, Caroline n’a pas encore le recul nécessaire pour pouvoir garantir son vieillissement. C’est pourquoi les peaux sont actuellement testées dans un laboratoire en vue de déterminer leurs résistances et pouvoir offrir une fiche technique aux créateurs. Du reste, le cuir de poisson s’entretient comme un cuir traditionnel : « personnellement, dans la gamme des produits naturels, je trouve que la crème essentielle de chez Saphir est assez chouette. Mais pas de panique, un peu de crème pour bébé fait tout à fait l’affaire si vous n’avez pas de produits spécifiques chez vous ». (Une fiche technique reprenant les précautions d’usage sera bientôt publiée par Caroline).
Peaux de Pêche
Crédits photos : Chloé Turbang Photography
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