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Interview barquette Marcourt

Politique et pékèt : l’interview barquette de Jean-Claude Marcourt

Jean-Claude Marcourt, c’est un peu notre mascotte. Pas uniquement parce qu’il fait un grand sourire à toute la file quand il est de passage chez Colson le dimanche, mais aussi parce qu’à nos débuts, il était déjà là. Non seulement, ça fait des années qu’il like notre page, mais c’est aussi un relais sûr quand il s’agit de partager nos déciguides. Et ça, ça nous fait chaud au coeur. Voilà pour l’homme.


En ce qui concerne la fonction, tout n’est pas nécessairemernt rose pour autant. Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et des médias et jusqu’il y a peu, Monsieur redressement de la Wallonie, Jean-Claude Marcourt est un réformateur dans l’âme et, par extension, un personnage polarisant. Plans Marshall à gogo, refonte des critères de réussite dans le supérieur, examen d’entrée en médecine… dans son sillage, les chantiers se multiplient. Pour le meilleur comme pour le pire ? 
 
Autant de raisons qui m’ont poussé à inviter notre Ministre, qui est aussi candidat PS en queue de liste, à se prêter à l’exercice de l’interview barquette (plus d’infos sur le concept ici). Dans sa barquette, on retrouve un pékèt nature (sur Liège), un cuberdon (sur la politique régionale/fédérale), un citron (un coup de gueule), un violette (une question personnelle) et un pékèt caraïbes (une utopie).

Sans ambages, j’attaque la rencontre classiquement, par un pékèt nature. L’envie ne me manque pas de questionner Jean-Claude Marcourt sur l’évolution du dossier Nethys, mais j’opte plutôt pour une question d’ouverture, sur l’aéroport de Bierset.
 
Une diaspora, des vols directs, un incubateur d’e-commerce et un hub logistique Alibaba. Assiste-t-on au début d’une romance entre Liège et la Chine ?
 
Une romance, non. Je suis très heureux que les Chinois choisissent Liège, comme Google à Mons, mais c’est avant tout symbolique. En revanche, il est clair que leur attraction est le résultat de choix stratégiques opérés en amont, comme celui de développer à Liège un aéroport de fret accessible et ouvert. On a là la chance d’avoir un intégrateur FEDEX, mais il faut ouvrir l’outil.
Il s’agit avant tout de s’inscrire dans la nouvelle manière de faire du commerce, même si dans ce cas-ci, ce n’est pas très écologique. 
Il y a aujourd’hui je pense une volonté de se saisir des nouveaux métiers du numérique, ce qui est aussi une manière de ramener de l’emploi chez nous. Cela s’ajoute à une volonté de ramener de l’activité en ville, par exemple avec le Val Benoit. Il faut renforcer la ville, ce qui passe par une réappropriation l’ensemble de ses fonctions. On assiste à un processus long. Le tram vient compléter tout ça avec la mobilité, un projet dont la paternité revient à Alain Mathot, qui a plaidé pour la remise en place d’une ligne désaffectée. De manière générale, on peut davantage réutiliser l’infrastructure ferroviaire. A Liège, le tram est la seule solution pour désengorger la ville. 

Les Liégeois sont d’habitude fiers, sauf lorsqu’il s’agit de l’économie. On en a souffert par le passé, mais aujourd’hui, nous avons de nouveaux secteurs qui émergent, ainsi que des héritiers de secteurs historiques qui ont réussi leur transformation comme CMI.

 

Les Liégeois, pas assez fiers ? Et qu’en est-il des Wallons ? C’est que Jean-Claude Marcourt est aussi un des fers de lance du régionalisme wallon. Pour le savoir, je lui tends naturellement un pékèt cuberdon.  

 
« On ne naît pas régionaliste, on le devient, par nécessité et aussi par ambition pour sa région », la phrase est de vous (mai 2017). Les Wallons manquent-ils d’ambition ?
 
La Wallonie a par le passé été à la pointe. C’est à Liège qu’a été créée l’usine Cuivre et Zinc et John Cockerill, c’est la première locomotive sur le continent. Après la Seconde guerre mondiale, il y a eu un tournant. La Wallonie comptait à l’époque certains grands groupes – la FN a employé jusqu’à 15.000 personnes – mais on n’a pas su prendre le virage de l’époque. Il s’est ensuite installé un certain fatalisme, une sorte de « c’était mieux avant ».

Le Plan Marshall avait pour ambition de recréer de la confiance. Il fallait montrer des gens qui réussissent. Pas seulement professionnellement, mais des gens qui réussissent aussi leur vie.

Aujourd’hui, il y a quelque chose qui change en Wallonie en termes d’ambition. Le chômage notamment est en baisse, et ce malgré la forte crise de 2008. Mais moi, je refuse de comparer systématiquement la Wallonie à la Flandre. La Flandre a la chance d’être une région qui compte parmi les plus prospère d’Europe. C’est un fait. Mais la Wallonie a aussi de quoi être enthousiaste. Si on la compare aux autres régions d’Europe, elle performe bien. Mais c’est un combat de longue haleine.
 
 
Après, en Wallonie, n’est-ce pas un peu toujours la même chose : bien mais peut mieux faire ?
 
Si on prend le pôle santé et les biotechs, nous sommes à la pointe. La patronne du cluster Massachussetts regroupant des organismes comme le MIT ou Harvard a par exemple reconnu que la Wallonie est un des leaders du secteur. Maintenant, il faut faire attention aux trajectoires piégées qui né déboucheraient sur rien, ainsi qu’à la pauvreté.

Régler la pauvreté passe par l’éducation. 

Il faut former davantage. Aujourd’hui, 15% des jeunes sont sans diplômes. C’est trop. La pauvreté est une gangrène, et malheureusement la ville n’a pas toujours tous les moyens pour y mettre fin.
L’éducation, vecteur d’émancipation ? Si le constat est généralement admis, la bataille est parfois âpre entre les partisans de l’accessibilité et ceux de l’excellence. Double cohorte, places restreintes en spécialisation et examen d’entrée… nombreux sont les étudiants en médecine à qui les récentes réformes laissent un goût amer. Pour moi, c’est l’instant de partager avec mon invité un pékèt citron.
 
Un examen d’entrée pour les études de médecine et de dentisterie, n’était-ce pas une évidence ?
 
Le système de l’examen d’entrée est profondément injuste, car il part du principe que tous les étudiants sont tous prêts au départ. Il faut un bagage de départ, mais il faut également prendre en compte le fait que l’enseignement est inégalitaire. Or, ceux qui ne le sont pas compensent généralement en cours d’année. Du coup, la sanction de l’examen d’entrée est injuste.

L’échec scolaire se joue au moment de l’inscription. 

On constate par exemple que sur un échantillon d’élèves qui ont passé tous leurs examens, le taux d’échec baisse significativement. L’aide à la réussite est fondamentale.
 
Mais n’est-ce pas là reporter le problème ? En ingénieur, le système est d’application, les étudiants le savent et s’y préparent, et le taux de réussite est ensuite bien meilleur…
 
En mathématiques, le système existe, car les prérequis sont particulièrement importants. Et il est vrai que lorsqu’on a voulu supprimer le système, on a assisté à une levée de boucliers de la part des ingénieurs eux-mêmes, qui se sont battus pour le garder. 
 
A côté de cela, il existe également des alternatives, comme la possibilité de s’inscrire en formation d’ingénieur industriel, où le CESS suffit. Il reste qu’à l’heure actuelle, le résultat de ce système d’examen d’entrée crée un effet d’éviction alors qu’on manque d’ingénieurs.
 
 
Redresser la Wallonie, réussir sa vie obtenir un diplôme… autant de messages aux jeunes générations. Mais ce qu’on aimerait savoir, c’est qu’elle-est la formule de Jean-Claude Marcourt himself pour garder le moral ? Sur un ton plus zen, je nous sers à tous les deux un pékèt violette, gage d’une question plus personnelle.
 
Dans votre carrière en politique, vous avez dû en voir des vertes et des pas mûres. Vous, c’est quoi votre recette du bonheur ?
 
Je pense qu’il n’y en a pas, et que le bonheur n’est pas un état permanent. C’est l’accumulation de petits et de grands bonheurs. Au quotidien, assurer une certaine qualité de la vie passe chez moi par le fait de me dire qu’il n’y a pas que la politique.

La politique, c’est extrêmement prenant, mais c’est un monde à part.

Moi je suis entré en politique un peu par hasard et je suis devenu ministre sur invitation de mon président de parti. Ma motivation, je la tire d’une volonté de transformer. A Liège, c’est la volonté de recréer de la qualité de vie. De faire qu’à Liège, on puisse vivre en paix, ce qui passe par les transports, une vie ouverte et une politique de quartier. 

Sur le plan personnel, pas de conseils de guru, Jean-Claude Marcourt reste plutôt réservé. Pour clôturer l’interview sur une note de douceur et d’optimisme, je nous sers les deux dernier pékèts. Parfum Caraïbes : des rêves fous et un peu d’évasion. 
 
Au XXIe siècle, est-il encore possible d’avoir une presse libre, autonome et indépendante financièrement ?
 

On sous-estime encore la révolution dans laquelle nous sommes. Pas le passé, nous avons connu une première transformation de l’écrit vers le visuel, et aujourd’hui le digital. Les publicitaires en particulier délaissent de plus en plus les médias traditionnels, par exemple la télévision, pour sponsoriser du contenu sur internet, ce qui n’est pas sans répercussion. Il faut ajouter à cela le fait que pour le citoyen, les frontières semblent parfois floues entre ce qui relève du journalisme professionnel et ce qui est du ressorts d’autres types d’acteurs, comme les blogs ou les influenceurs.

On a toujours eu des ‘fake news’, mais on doit s’en saisir, car c’est la vie en commun qui en dépend. 

Nous ne sommes plus dans une société de la réalité, mais de l’apparence. Aujourd’hui, la plausibilité suffit. 

Le citoyen doit pouvoir se dire si la source est un journaliste professionnel, alors il s’agit d’une information de qualité en laquelle il peut avoir confiance. Un journalisme de qualité est possible, mais il faut insister sur l’exigence de la vérification des sources ainsi que prendre du recul, être moins dans l’immédiat.

Comment faire en pratique ? 

Je ne suis pas le Rémy Bricka des médias, mais j’ai un idéal : la rigueur et la fiabilité. Actuellement, on doit pouvoir faire confiance, or l’appauvrissement de la presse fait qu’on va parfois dans l’autre sens. Aujourd’hui, les journalistes en viennent à tweeter leurs propres scoops, de peur de se les faire prendre. Un journalisme de qualité n’a jamais été plus important qu’à l’heure actuelle.

A titre personnel, je suis persuadé de l’avenir des médias locaux. Dans un monde de plus en plus globalisé, la différenciation est importante. Les gens veulent savoir ce qu’il se passe près de chez eux. Le vrai travail, c’est de le mettre en perspective.

Voilà qui est dit. Et vive Boulettes à la liégeoise. Santé !

Les pekets consommés durant l’interview sont fournis à titre gracieux par Patrick Constant, aux commandes de la distillerie de l’Espérance commerciale, qui fabrique à Montegnée le pékèt depuis plus de 180 ans, qu’il soit traditionnel ou remis au goût du jour. Loin d’encourager l’abus d’alcool sous quelque forme, l’interview barquette est prétexte à un moment de convivialité… et les interviewés ne sont nullement obligés de boire tous leurs pékèts.

Explorateur du quotidien, Clem vit sa ville entre de multiples jungles, qu'il parcourt bras dessus, bras dessous aux côtés de Kath. Reporter pour Boulettes, Le Vif et Saveurs, il profite de la vie comme on croque un fortune cookie, intensément, tout en se remémorant ce proverbe : “life is like a roll of toilet paper. The closer it gets to the end, the faster it goes”