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Présumé décédé à Auschwitz expo juifs liège holocauste DR Boulettes Magazine

« Présumé décédé à Auschwitz » honore la mémoire des juifs déportés

Il ne vous reste que jusqu’à ce vendredi 17 juin pour aller visiter l’exposition « Présumé décédé à Auschwitz » aux Fonds Patrimoniaux, et surtout, ne manquez pas cette opportunité. Celle de rendre hommage aux 733 citoyens juifs de la Cité ardente disparus lors de la Shoah, d’admirer le travail de mémoire mis en place, mais aussi de vivre une confrontation nécessaire. Avertissement: c’est le genre d’exposition dont on ne sort pas indemne. 

Est-ce pour ça, qu’on a tant trainé à aller la voir, laissant passer la visite de presse, le week-end d’ouverture au public au début du mois de mai, et même, de justesse, la date de fin, ce 17 juin? Peut-être tout simplement aussi parce que l’expo se visite sur rendez-vous durant les heures de bureau uniquement et que cela nous semblait donc quelque peu contraignant, alors même qu’elle est ouverte 7 jours sur 7 et que la prise de rendez-vous revient en réalité à l’envoi d’un simple email. Courriel finalement envoyé in extremis, et on s’en félicite, car peu d’expositions autour de la thématique sont aussi bouleversantes que « Présumé décédé à Auschwitz ».

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« Madame,

C’est avec beaucoup de joie que j’ai reçu la paire de chaussettes dont vous avez eu l’amabilité de me faire cadeau », écrit ainsi le jeune Majer Bulka, quatorze ans, de la Colonie d’Izieu où il s’est réfugié depuis Liège. « J’ai toujours admiré les gestes anonymes car je les trouve beaucoup plus méritoires que ceux dont les donateurs se vantent. Cependant, je ne serais pas fâché de faire votre connaissance pour pouvoir vous témoigner mon entière gratitude ».

Un témoignage qu’il ne pourra jamais lui faire, Marcel et son petit frère Albert, quatre ans seulement, faisant partie des 44 enfants et septs éducateurs arrêtés par la Gestapo de Lyon le 6 avril 1944 sur ordre de Klaus Barbie. Les deux garçonnets souriants sur la plage de Palavas-les-Flots ne reviendront jamais d’Auschwitz-Birkenau. Pas plus que Fella Mlynarsky, dont les beaux yeux sombres cherchent ceux du visiteur à plusieurs endroits de l’exposition, ni que Brandel Kempner, pimpante comme une pin-up sur ce qui pourrait fort bien être son portrait de mariage, bouquet oblige, et qui sera sélectionnée pour appartenir à l’odieuse collection de squelettes juifs d’August Hirt, professeur d’anatomie à Strasbourg durant l’occupation allemande. Arrivée en avril 1943 à Auschwitz, après une dénonciation probable à Liège, Brandel sera déportée au camp alsacien de Struthof-Natzweiler où elle sera gazée pour servir les sombres desseins de Hirt.

Spoiler alert, au cas où le titre de l’expo ne vous aurait pas mis la puce à l’oreille: aucun des juifs de Liège immortalisés ici n’a survécu à la Shoah. Pas même ce bambin qui ne doit même pas avoir l’âge d’aller à l’école, ou cette maman rieuse qui pose avec ses enfants dans les bras, ni ces ados dans la fleur de l’âge dont on voudrait se persuader qu’ils ont pu s’en tirer. Aucun des portraits rassemblés de manière à envelopper le visiteur de manière poignante n’est celui d’un survivant, et leurs yeux hantent, entre regards accusateurs, inquiets, ou le pire peut-être, innocents et plissé par un sourire qui trahit l’ignorance de ce qui les attend.

Tout aussi troublant: ainsi que nous l’apprend un écran où défilent les mêmes portraits accompagnés de leurs noms et de leurs adresses, certains d’entre eux habitaient juste à côté de chez vous, le même immeuble, même, qui sait. Rien dans leur couleur de peau, leur visage, ni même, cycle des tendances oblige, leur mise, ne les distingue des anonymes que l’on croise au quotidien dans les rues de Liège. Rien ou presque, les quadragénaires de l’époque tenant plus physiquement des grands-parents que des adulescents d’aujourd’hui, la faute à la mode ou plus probablement, au fait que nombre d’entre eux s’étaient retrouvés à Liège après avoir fui des persécutions ailleurs, croyant trouver ici un havre où se reconstruire une vie.

Et c’est bien là toute la force de l’expo, et ce qui la rend si interpellante aussi: en nous montrant les visages de ces victimes, en détaillant de manière presque clinique le glissement des premières mesures anti-juifs vers l’indicible, en chroniquant les faits et gestes des bourgmestres et en juxtaposant les actes de résistance et les articles de la presse libre aux caricatures antisémites, « Présumé décédé à Auschwitz » balaie la dichotomie à laquelle on est prompts à se raccrocher dès qu’on parle des atrocités de la guerre.

Des crimes contre l’humanité dont la magnitude est si grande qu’on ne peut utiliser que le prisme du « eux » et « nous » pour les comprendre: eux, les victimes innocentes, eux les bourreaux, nous, les dégâts collatéraux et les résistants. Si simple? Pas vraiment, rappelle l’expo, qui confine le noir et blanc aux photos et refuse du reste toute approche manichéenne. Ce sont eux, mais cela aurait pu être nous, vous. Cela questionne le rôle de Liège, les rôles qu’on se donne et celui qu’on veut jouer.

Car s’il fallait y être pour savoir de quoi on était fait, et qu’il est illusoire de s’amuser à refaire l’histoire à grand renforts de « si » et de « peut-être », l’expo, dont certains panneaux biographiques laissent à voir une cité administrative presque anachronique face à la capsule temporelle dans laquelle on est plongés, renvoie aussi aux choix que l’on fait aujourd’hui. Et rappelle que l’humanité, parfois, c’est aussi simple qu’une paire de chaussettes envoyée à un gamin loin des siens. Vous aurez vraisemblablement les yeux qui piquent en quittant la salle, mais avec un peu de chance, vous en sortirez aussi avec un autre regard.

Et si, par malheur, vous n’avez pas l’opportunité d’aller la voir, sachez que si « Présumé décédé à Auschwitz » a été montée à l’occasion du 75e anniversaire de la libération des camps d’extermination et de concentration, dans « Une cité si ardente… Les juifs de Liège sous l’occupation », Thierry Rozenblum retrace cette page sombre de notre histoire avec minutie. Un travail rendu possible par l’accès qui lui a été accordé à l’ensemble des fonds d’archive de la ville, car ainsi que le reconnaît le bourgmestre, Willy Demeyer, il est important de s’interroger sur notre responsabilité. À commencer par celle des autorités liégeoises de l’époque, « qui par souci de maintenir à tout prix l’ordre public, ont multiplié les concessions à l’occupant et ainsi facilité la concrétisation de son programme génocidaire ». Et le maïeur d’inviter chacun d’entre nous à assumer la responsabilité qui nous échoit de « regarder le passé en face et de ne pas l’oublier ». 

Présumé décédé à Auschwitz

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.