Les bobos, le cinéma de quartier et le scénario solidaire: la fable du Cercle du Laveu
Géré par un collectif de bénévoles depuis une quinzaine d’années, le Cercle du Laveu est plus qu’un simple cinéma de quartier. C’est aussi une salle de spectacle et de conférences, un lieu de rencontre et de débat, bref, un peu de l’âme de ce bout de ville qu’on qualifie volontiers de bobo. Et qui rappelle, à l’occasion de la vente du bâtiment de son Cercle culturel, que les clichés peuvent aussi avoir du bon.
Un quartier est bien plus que la « division administrative d’une ville » à laquelle le Larousse voudrait le restreindre, même si le dictionnaire se rachète en complétant ensuite qu’il s’agit également d’une « partie d’une ville ayant certaines caractéristiques ou une certaine unité ». Laquelle peut parfois être architecturale, même si elle est le plus souvent immatérielle: chaque quartier a son propre caractère, et ceux qui composent le maillage urbain de Liège ne font pas exception à la règle, au contraire. Bien sûr que le Laveu est défini par ses rues en pente (parfois très) raide, sa proximité verdoyante avec les Guillemins, ses commerces charmants et ses 50 nuances de (brique) rouge.
Mais plus encore que ces éléments visuels, ce qui fait son caractère, et qui fait gentiment sourire le reste des Principautaires, c’est le cliché bobo qui lui colle à la peau. Bien sûr qu’il n’est pas nécessaire de posséder une (copie de) chaise Eames, un abonnement au B4 et aux Grignoux et un vélo avec bac Babboe pour habiter là, mais disons que ça aide à se fondre dans la masse.
Et puis surtout, cette communauté d’urbains qui se rêvent un peu bohèmes, un peu champêtres donne son âme aux rues escarpées du quartier, et démontre, avec la campagne mise en place pour sauver le Cercle du Laveu, que derrière le cliché de bourgade de bobos, il y a surtout beaucoup de beau.
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Un « enjeu de taille »
« Cercle du Laveu », vous dites? Dans les mots de celles et ceux qui le font vivre, « le Cercle du Laveu est une salle ancrée dans son quartier et consciente de faire partie d’un maillage beaucoup plus large constitué par le tissu culturel de la ville de Liège et par-delà.
Outre la dynamique collective se développant au gré des vents et marées de l’environnement politique et social, on y propose des projections cinématographiques, des concerts, des écoutes radiophoniques, des parlottes pour ne pas dire des conférences, des ateliers zéro déchets, des moments conviviaux autour de soirées jeux de société et d’un bar qui prolonge la plupart des activités pour laisser place à l’informel pour construire de nouveaux liens entre les gens et les idées.
Entièrement basé sur le bénévolat, le fonctionnement du Cercle est une expérience quotidienne du “faire ensemble“, un apprentissage constant de la discussion et de l’action qui tend vers le partage de communs ».
Lire: vous pouvez aussi bien aller y assister à une projection du western Man Without a Star qu’à un concert de Marquis Zaïre ou une « conférence gesticulée » sur le thème de la propriété, à moins que vous ne préfériez vous régaler Au P’tit Kawa, rendez-vous hebdomadaire qui voit habitants du cru et curieux se réunir chaque mardi (après-)midi autour d’un bol de soupe à prix libre, d’une tasse de thé, d’une papote ou de jeux de société.
La nouveauté dans la programmation depuis cet automne? Les « apéros de campagne », car le Cercle du Laveu est menacé, et plutôt que de suivre la triste voie de nombreuses institutions liégeoises appartenant désormais au passé, ce joyeux OVNI culturel ne compte pas en rester là.
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C’est qu’à l’heure d’écrire ces lignes, le bâtiment qui abrite le Cercle est mis en vente, et l’association Cercle du Laveu va tenter de le racheter… « mais pas n’importe comment! ». Mais encore?
« Si l’objectif premier est de conserver les murs pour faire vivre sa programmation culturelle, le projet de rachat est avant tout porteur d’un autre enjeu de taille : préserver un espace « commun » pour les générations à venir. En d’autres mots, le collectif des bénévoles du Cercle du Laveu désire mettre le n°45 de la rue des Wallons définitivement à l’abri du marché spéculatif pour y accueillir durablement des collectifs et associations qui développent des activités collaboratives et non lucratives. Il doit donc trouver la façon de s’emparer du titre de propriété du bâtiment pour mieux le neutraliser, c’est-à-dire garantir que personne n’aura jamais les pleins pouvoirs sur celui-ci » expliquent les membres de l’association dans un communiqué.
Et comment compte-t-elle donc réaliser cet objectif? « Concrètement, l’ASBL Cercle du Laveu empruntera la voie qui a été ouverte par d’autres Liégeois.es. Par exemple, la Cafétéria Collective Kali a été sauvée grâce à la Fondation « Mur par Mur », spécifiquement constituée pour extraire des bâtiments du marché immobilier. C’est donc cette Fondation qui achètera le Cercle et en rétrocédera l’usage à l’ASBL Cercle du Laveu, via un bail de 99 ans (une emphytéose). Si le Cercle du Laveu devait cesser ses activités, la Fondation « Mur par Mur » serait tenue par ses statuts de mettre le bâtiment à disposition d’autres collectifs, comme le prévoit son objet social. L’usage communautaire est donc ainsi garanti ».
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Pour que le Cercle du Laveu tourne rond
Et parce qu’il n’y a pas de communautaire sans commun (effort), de novembre 2024 à février 2025, l’association compte mener une campagne de récolte de dons pour racheter les bâtiments, et répondre en parallèle à toutes les questions que pourrait susciter le projet lors des Apéros de Campagne susmentionnés.
Dès janvier, une série de Liégeois célèbres prendront le relais, en venant présenter en personne chaque dimanche leur film préféré. Et si « les dates sont encore en cours de confirmation », on ne surprendra personne en annonçant qu’après avoir sauvé un théâtre de marionnettes d’un déclin assuré, Bouli Lanners continue de cultiver la culture principautaire en apportant son soutien (et sa présence, donc) au projet.
De quoi contribuer à atteindre l’ambitieux objectif financier de l’association? Vendu 290.000€, le lot immobilier qui comprend le Cercle du Laveu nécessite une série de travaux d’isolation, chauffage et insonorisation chiffrés à 100.000€, auxquels pourraient s’ajouter, si le budget le permet, cabine de projection, cuisine professionnelle et terrasse au rez-de-chaussée… Autrement dit: moyennant une récolte de 400.000 euros, « le projet est pérenne et ne dépend plus de subsides ni d’emprunts bancaires ».
Si on se base sur les dernières estimations de population à Liège, moyennant un don d’un peu moins de 2 euros par habitant, ce montant pourrait être atteint – en sachant toutefois que dès 40 euros de don, soit à peu près le montant d’un petit resto de nos jours, non seulement vous soutenez un projet culturel, mais en prime, vous bénéficiez d’avantages fiscaux au moment de payer vos impôts. La cerise sur le gâteau étant que contrairement à ce qui se produit à montants égaux si vous choisissez de dépenser cet argent dans la graille, ici, plutôt que de remplir votre estomac, vous nourrissez durablement les imaginaires de nombreux de Principautaires.
Envie de faire un don? C’est par ici que ça se passe. Bon à savoir: « notre bâtiment qui compte trois niveaux, sera vendu avec la petite maison attenante du n°43 que le Cercle n’occupera pas, précisent encore ses membres. De nouvelles synergies sont donc à envisager à travers la cohabitation avec d’autres structures impliquées dans la vie sociale et culturelle de notre ville. Notre porte est grande ouverte ». Culture et solidarité? Quand on vous dit que le Laveu, c’est un bien bobo beau quartier…
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