Selena, du refuge Ihsane Jarfi aux plateaux de The Voice
Quand la Croix-Rouge a contacté le refuge Ihsane Jarfi en juin dernier pour les prévenir que Selena, une jeune ressortissante belge, allait être rapatriée de Thaïlande, l’équipe a immédiatement pris la décision de l’accueillir. Rejetée par sa famille, qui n’a pas accepté son coming out trans, la jeune femme se construit un nouvel avenir à Liège, et rêve de faire entendre sa voix sur le plateau de The Voice.
Une voix délicate, qui raconte son parcours difficile par téléphone, distanciation sociale oblige. Par téléphone, et en anglais: Selena a beau être née à Charleroi et avoir la nationalité belge, elle n’a que 4 ans quand ses parents déménagent la famille en Thaïlande. Huit ans plus tard, ils voient ce que Selena, née Harry, n’ose pas leur avouer: leur fils est en réalité une fille, une transidenté impossible à accepter pour ses parents, qui la chassent du domicile familial. À douze ans seulement, elle doit survivre à force de débrouille et de mendicité, échangeant un peu de travail dans des bars pour un endroit où dormir. Des débuts dans la vie malmenés, qui prennent un tournant encore plus complexe au printemps dernier: après une visite à sa soeur, fichée pour toxicomanie, Selena est arrêtée par la police et accusée elle aussi de se droguer. Des accusations avec lesquelles on ne plaisante pas en Thaïlande: passeport belge oblige, Selena est rapatriée manu militari en Belgique, un pays qu’elle a quitté enfant, et dont elle ne parle pas la langue. Son grand-père, installé à Charleroi, refuse d’accueillir sa petite-fille trans à domicile, et Selena se retrouve en pleine pandémie dans le giron de la Croix Rouge, qui, face à son profil, décide de faire appel au refuge Ihsane Jarfi.
Libre de rêver au refuge Ihsane Jarfi
Souriant et affable, Vincent Bonhomme, l’administrateur-délégué de la Fondation Ihsane Jarfi ponctue la plupart de ses phrases d’un éclat de rire. Rire plutôt que se résigner, et trouver du bonheur dans la tristesse, tel est le leitmotiv de cette fondation créée en 2014 après l’assassinat homophobe d’Ihsane Jarfi à Liège deux ans plus tôt, et qui a ouvert en juin 2019 son refuge, destiné à accueillir de jeunes LGBT de 18 ans et plus qui se retrouvent sans logement suite à une rupture avec leur milieu social et/ou familial. Un système en deux temps, entre hébergement d’urgence à l’Auberge Simenon le temps que le CPAS analyse la situation des jeunes, et logement de transition, dans lequel ils peuvent rester pour une période de trois mois, renouvelable trois fois. Un logement dans lequel Selena a pu poser ses valises, après une arrivée mouvementée en Belgique, où cette déracinée compte bien se construire un futur durable. D’abord, en enchaînant les cours de français pour espérer trouver un travail au plus vite (« j’adorerais être prof de danse »), mais aussi, qui sait, en participant à The Voice.
« Selena adore chanter et danser, on lui a fait découvrir le Moustache Club, qu’elle a adoré, et elle a repéré The Voice » sourit Vincent Bonhomme. « Quand elle nous a dit qu’elle voulait participer au concours, on a chargé un bénévole de l’accompagner dans ses démarches ». Et de l’aider à poster la vidéo de son audition, pour laquelle la jeune femme a choisi d’interpréter « Into the Unknown ».
« Comme je ne connaissais rien de la Belgique avant, cette chanson témoigne de mon parcours » confie Serena, qui saura ce 15 septembre si elle a été sélectionnée ou non pour participer à l’émission.
Et si elle confie être fan de K-Pop, dont elle a adopté l’esthétique avec ses longs rajouts rouges, et rêver de devenir une chanteuse reconnue, quand il s’agit de sa ville d’adoption, Selena ne tarit pas d’éloges. « J’ai été souvent rejetée dans ma vie, et en Belgique, on m’a acceptée directement. Les Liégeois sont très gentils, j’adore la ville, je n’y étais jamais venue auparavant et je me suis dit « wow, very nice place, I love it! ». Avec ou sans sélection pour participer à l’émission, Selena a déjà tout gagné, et souligne que grâce au refuge, elle peut vivre son rêve. Un happy end qui tient à coeur à Vincent Bonhomme: « c’est important pour nous de montrer aux jeunes en souffrance que leurs histoires peuvent avoir des dénouements heureux ». Et pour découvrir celui de Serena en musique, rendez-vous ici.
