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Compte-rendu d'un repas au Toma de Thomas Troupin à Liège DR Boulettes Magazine

Chez Toma, repas à la table la plus prisée de Liège

Dès son ouverture attendue dans l’écrin de l’ancien Jardin des Bégards, il est devenu aussi compliqué d’obtenir une table chez Toma, la nouvelle adresse de Thomas Troupin, que de trouver un endroit où attacher son vélo à Liège sans risquer de se le faire voler. Enfin presque, parce que pour le vélo, on n’a toujours pas trouvé, mais en ce qui concerne Toma, précieux sésame en main, on s’y est attablés cet automne et l’attente en valait la peine. 

Un vendredi nimbé dans la douce lumière de l’été indien, 14h. Un coup de téléphone inattendu, mais alléchant dès la lecture du numéro affiché: à l’autre bout du fil, il y a Thomas Troupin, qui nous informe que par un coup de chance, une table pour deux vient de se libérer pour le soir même. Est-ce que ça nous dit de venir s’y attabler? Plutôt deux fois qu’une, même, et c’est dans une anticipation gourmande que le reste de l’après-midi se déroule.

C’est que depuis son ouverture, le jeune prodige de la gastronomie du sud du pays, étoilé à peine sa Menuiserie ouverte, attise la gourmandise avec son Toma, qui, plus qu’une simple homonymie de son prénom, est un hommage à la personnalité de sa grand-mère ibère, aussi forte en caractère qu’en cuisine, qui lui répétait sans cesse, en espagnol dans le texte « toma, come y calla« , ou prends, mange et tais-toi, parce qu’on ne parle pas la bouche pleine.

Toma Liège DR Boulettes Magazine

¡Toma y disfruta!

Et justement, avec ses volumes à taille humaine, ses tables presque exclusivement peuplées de couples en plein tête-à-tête (après tout, rien ne dit « je te chéris » comme une invitation dans un gastronomique) et sa cuisine entièrement ouverte, point focal du restaurant où on admire le ballet parfaitement coordonné (et silencieux) de l’équipe, le cadre invite à susurrer et à se réjouir à voix feutrée des délices qui promettent d’arriver.

On est là pour se faire plaisir, pas pour compter, et la différence pour deux assiettes supplémentaires est plus que raisonnable, donc on opte pour le menu 7 services à 95€ (compter 80€pp le 5 services) et on se laisse guider par le rythme parfaitement calculé de l’arrivée des différentes préparations à table.

mise en bouches Toma Liège DR Boulettes Magazine

Toma Liège DR Boulettes Magazine

Plus qu’une cuisine ouverte, Thomas Troupin voulait que le point focal de son Toma soit une cuisine immersive, et il est évident dès les mises en bouches que le pari est réussi: une coupe en main, on dévore leur préparation du regard en cuisine avant de savourer les dernières touches qui y sont mises à table, une attention réminiscente de l’âge d’or de la gastronomie française, dont les plats phares nécessitaient tous des finitions théâtrales quelques secondes seulement avant d’être servis à des dîneurs ébahis.

Mise en bouche souvenir d'enfance Toma Liège DR Boulettes Magazine

« Croque la saison », « le churros d’Ondenval » (clin d’oeil gourmand à souhait au plat phare du chef, la truite éponyme), « souvenir d’enfance » (photo ci-dessus) dont les saveurs iodées évoquent le bord de mer espagnol ou encore « pain vapeur, crème et kimchi-churri », déjà testé et adoré ici sous l’impulsion de son excellent sous-chef de l’époque, Esau Huete… Chez Toma, pas de flonflons en accompagnement du dressage à table mais bien une savoureuse espièglerie et un effet de surprise renouvelé à chaque assiette de mise-en-bouches, si réussies dont on souhaiterait presque que le repas soit exclusivement composé de portions façon zakouskis à la El Bulli.

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Une ode au terroir et à ceux qui le travaillent

En première entrée, la tartine de Lothar servie ce soir-là cristallise à la perfection les valeurs chères au chef, l’essence de Toma mais aussi et surtout tout ce que la Wallonie a de meilleur à offrir. Dans l’assiette: un assemblage de rôti de veau fumé au foin, du beurre à l’agastache et des « fleurs et herbes de notre cueillette » qui, ensemble, sont un clin d’oeil gustatif à l’exploitation Lothard, dans le parc naturel de l’Eifel, dont les champs sont entourés de haies d’aubépine, « parce que pour une viande de bonne qualité il faut un sol de bonne qualité » explique Thomas Troupin, qui a tenu à le mettre en avant par le biais de chaque herbe qui recouvre la tartine, laquelle est relevée d’un vinaigre fait à base des pommes « très acides » qui tombées chaque jour sur le terrain du restaurant à la saison de la récolte.

Tartine de Lothard Eifel Toma Liège DR Boulettes Magazine

Rien ne se perd, rien ne se jette, tout se transforme, à commencer par les souvenirs du chefs, disséminés au gré de chaque plat et entremêlés à ceux des chanceux qui y goûtent: difficile pour qui a eu la chance d’avoir des grands-parents qui préparaient leur pain eux-même de ne pas se surprendre à avoir le blanc de l’oeil soudain un peu humide dès la première bouchée de la tartine, faite sur du pain préparé chaque jour au restaurant et dont la mie légèrement surette a un goût, excusez l’expression galvaudée, de madeleine de Proust.

Tartine boeuf de Lothard Thomas Troupin DR Boulettes Magazine

Le reste du repas est à l’avenant et la salle du restaurant dégage une ambiance unique faite de la frénésie furtive qui s’empare de chaque table à l’arrivée d’une nouvelle assiette, la joie collective d’avoir réussi à en dégoter une, de table, alors que les réservations au Toma se prennent plusieurs mois à l’avance, et le plaisir encore trop rare de voir le repas accompagné non pas d’une quelconque musique de chambre voire pire, lounge, mais bien d’une sélection du meilleur du rock indépendant du début des années 2000 et avant, entre Julian Casablancas, les Arctic Monkeys et la voix rocailleuse de Tom Waits pour accompagner une langoustine snackée dont le beurre blanc au cidre et la délicate sauce barbecue sont relevées de caviar belge.

Langoustine au caviar belge Thomas Troupin Michelin DR Boulettes Magazine

Une expérience exceptionnelle

Longtemps laissé à l’abandon, l’ancien écrin du Jardin des Bégards a vu son blason redoré sous l’impulsion de Thomas Troupin dont le Toma, attendu comme le messie dès l’annonce de son ouverture et promis avant même les premières tables dressées de devenir la plus courue de Liège ne déçoit pas. Même si, à l’image de son prédécesseur, s’y attabler à un prix qui le réserve à une certaine catégorie de clients ou d’événements: heureux ceux qui peuvent s’y attabler sur un coup de tête un soir de semaine, mais pour le commun des mortels, avec une addition qui touche les 400 euros du doigts à deux pour le grand menu plus vins et eau, disons qu’on est plus sur le genre d’adresse qu’on réserve pour un rendez-vous où on veut marquer le coup, un anniversaire avec un nombre pile de bougies ou autre événement marquant dont on tient à passer le cap l’estomac plein et les papilles en extase.

Vu la complexité des préparations et toute la préparation derrière chacune d’elles, de la réflexion autour du plat et du terroir à l’exécution parfaite, et dans un silence monacal, sans bruit de casserole ni même le moindre murmure audible depuis la cuisine, du dressage minute, l’addition, bien qu’élevée est toutefois parfaitement justifiée. Tout juste si les dîneurs les plus exigeants rechigneront peut-être face au choix de pêche, dicté par l’appartenance du chef au mouvement anti-gaspillage (et de valorisation du terroir iodé belge) des North Sea Chefs, bien qu’il y ait presque une forme de mesquinerie à faire la moue devant un morceau de plie quand celui-ci est entouré dans le menu de caviar, ris de veau et langoustine entre autre délices exclusifs.

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Ris de veau Thomas Troupin Toma Liège DR Boulettes Magazine

Menu Toma Thomas Troupin Liège DR Boulettes Magazine

Avec la confiance tranquille de ceux qui ont déjà fait leurs preuves, Thomas Troupin assure ne pas cuisiner pour la reconnaissance des guides gastronomique mais bien pour le plaisir, une approche qui élève peut-être justement encore plus sa cuisine. Et s’il jure, contrairement à un Elon Musk, ne pas s’inscrire dans une course aux étoiles, la sienne lui semble toutefois promise et on la lui souhaite: en récompense du travail minutieux de toute une équipe, mais aussi parce que Liège mérite bien de briller à nouveau au firmament de la gastronomie belge.

Toma

Boulevard de la Sauvenière 70bis, 4000 Liège / 04 295 20 98

Ouvert du mardi au vendredi de 12 à 23h et le samedi de 18.30 à 23h

Réservations par téléphone du mardi au samedi de 10 à 18h ou ici (le restaurant peut accueillir des tables jusqu’à 8 convives)

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Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.