48h sur scène avec Odezenne (et une culotte égarée)
Pendant 23 ans j’ai vécu ma vie en dissimulant une faille générationnelle plutôt encombrante. Jusqu’à présent je tenais bon, mais les années passant, il m’est devenu laborieux d’étouffer ma tare d’avantage, tant les rituels sociaux m’ont contraint à aller au delà de ma nature. Mais voilà : j’aime pas (trop) le rap. J’ai dû rater quelque chose, je sais. Tout le monde s’accorde à dire que c’est une révolution, je vois des groupes de gens en transe autour d’un Samsung dans le train, à s’extasier au début de chaque intro quand moi j’ai l’impression qu’on retape le même son en boucle (mais j’fais genre). Je comprends jamais les paroles, quand c’est le cas j’ai franchement du mal à m’identifier aux problèmes de mecs qui aiment leurs mamans ou détestent d’autres mecs pour des raisons obscures souvent en rapport avec la fierté. Je me sens comme une vieille conne réac condescendante. Ca m’emmerde. En plus je joue sur des clichés et ça se fait pas.
« Nan mais y’a mille genres de rap, tu peux pas juste dire que t’aimes RIEN ».
Si y’a un truc que je déteste plus que l’insinuation de ma mauvaise foi, c’est de me faire chier aux soirées. Et quand on est la-zouz-qui-aime-pas-le-rap, en 2018, c’est chaud de noyer sa semaine en s’ambiançant de manière honnête le vendredi. Alors j’ai persisté. J’ai élargi mes horizons (et mon esprit)… …Et j’ai découvert Odezenne.
On va pas t’apprendre les bases mais ça fait toujours du bien par où ça passe. Odezenne c’est la douceur grave et acidulée dont j’avais besoin. C’est une canopée qui t’invite à contempler d’en haut l’étendue du genre, désormais accessible et dégagée, parce que t’es juste passé-e par le bon endroit, t’avais simplement besoin qu’on t’invite gentiment. Je retrouve des échappées de synthé chères à mon coeur, orchestrées par Mattia Lucchini et densifiées par des basses qui me font battre la poitrine et tendre les oreilles.
Alors, je déguste les mots incisifs et charnus qui ronronnent dans une harmonie parfaite entre les voix conjuguées d’Alix Caillet et Jacques Cormary. Le tout soutenu par un univers visuel captivant, complétant chaque son de douceur ou d’effervescence avec justesse. C’est une toile tissée dans un équilibre élégant, une structure impeccable qui nous attrape, nous enveloppe et nous dévore. Pendant des nuits entières on fumait tous ensemble en buvant des bières sur ma carpette jusqu’à 3h du mat. Ah, quelles soirées, j’vous raconte pas la dose. Je croyais l’expérience optimale jusqu’à ce que je passe en immersion complète en les voyant sur scène. Deux fois, donc. En 24h.
Pour saucer leur concert à l’AB du 28 novembre, Odezenne, en association avec FiftyFitfy session (partenaire officiel de vos nuits Bruxelloises et actionnaire de mes goûts musicaux) ont orchestré un showcase privé scintillant la veille dans l’antre du C12, à Bruxelles. Dans leur écurie, une sélection fine qui rassemblait entre Muddy Monk et Moka Boka les échos d’un synthé magnétique croisé à du rap langoureux. Tiens tiens, on a déjà entendu ça quelque part.
Evidemment, fallait pas faire « description d’évent facebook LM1 » pour comprendre que « et beaucoup de surprises… » en fin de progra, ça pue le set de guest à plein nez. Et j’ai pas été déçue. L’alchimie entre les membres du groupe, sur cette minuscule scène, m’a bouleversée. Les voir évoluer ensemble, diluant leurs textes dans une chorégraphie presque féline conviait le public à cette proximité captivante. J’ai dansé en souriant et j’ai fumé à l’intérieur, en souvenir de ma carpette. Une capsule onirique, histoire de rajouter encore un peu d’eau à notre boubouche (pardon) pour le lendemain.
L’opportunité de voir un groupe investir deux lieux différents dans un laps de temps si condensé permet de mettre en relief combien son jeu de scène est généreux. Si le C12 était intime, l’AB était foudroyant. L’énergie infaillible des deux chanteurs transcendait leur symbiose dans un feu d’artifice, soutenue par une prouesse instrumentale parfaite, tant à la batterie qu’au synthé. Ah oui, parce que la scène était occupée par un océan (ma foi aussi complexe qu’hypnotisant) de lumières de boutons et de câbles. Odezenne, c’est du live Nucléaire. C’est l’immersion complète et démultipliée de tout ce qui fait leur identité. Je tiens au passage à saluer particulièrement la performance chaloupée de Jacques Cormary, dont l’intensité graduait de manière inversément proportionnelle au nombre de boutons qui se retenaient à sa chemise. Ca, et la paire de sous-vêtement lancés sur scène qui a ponctué le concert. Apothéose divine après une heure et demi de voyage lyrique, dans un club au bord de la mer.
Si tu veux jeter ta culotte au visage d’Odezenne après avoir fait passer à tes fesses deux heures de jouissance phonique, si tu veux voyager juste par ta rétinne et si tu veux faire passer des beaux mots dans ta bouche, rendez-vous le 7 mars 2019 au Reflektor. Moi j’y serai, même si je les ai déjà vus AUX DEUX SCENES (pardon, vraiment, j’ai pas pu m’en empêcher).
Texte + illus: Manka