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Les retards du tram? Circulez y'a rien à voir DR Volga Liège

Peut-on réclamer des dommages au constructeur du tram?

Alors que les retards s’accumulent sur le chantier du tram, et avec eux, une série de désagréments allant d’une circulation plus congestionnée que jamais à des commerces virtuellement désertés, difficile de ne pas s’interroger. 

C’est que sachant qu’il faut désormais en moyenne aux heures de points plus d’une heure (!) pour parcourir quelques centaines de mètre sur les axes les plus engorgés, cela laisse pas mal de temps pour se faire des ulcères  se poser des questions. Enfin une, surtout:

Vu les nuisances occasionnées, ainsi que, pour certains, les dommages financiers à éponger, est-on en droit de réclamer des dommages au constructeur du tram?

Pour en avoir le coeur net, on a interrogé Maître Norman Neyrinck, avocat au barreau de Liège spécialiste de la propriété intellectuelle, mais aussi du droit de la concurrence, distribution et aides d’Etat. Verdict? Contrairement à ce que le déroulement de plus d’un épisode de série US légalo-centrée pourrait laisser penser, dans les faits, c’est plus compliqué.

« Les Liégeois ne me semblent pas disposer d’un quelconque recours crédible contre les entrepreneurs pour retard dans l’exécution des travaux du tram » avance Norman Neyrinck. « Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de contrat entre la population et les entrepreneurs. Les entreprises de construction ne « doivent » rien aux Liégeois et ne sont donc pas en défaut à leur égard. Dans le même ordre d’idées, en matière d’exécution de travaux, si aucun délai n’est prévu dans un contrat, l’entrepreneur n’est pas en faute s’il prend son temps. En l’occurrence, il n’existe même pas de contrat. Il n’y a donc aucun manquement « pour retard ». Le marché pour la réalisation du tram est conclu entre l’Opérateur de Transport de Wallonie (la « TEC ») et le consortium « Tram’Ardent ». La TEC pourrait exercer des recours pour retard d’exécution contre les entrepreneurs ».

Oui, mais quid des particuliers qui ne savent plus circuler/respirent de la poussière/accusent des pertes sèches/vivent un enfer? Le droit et la justice ne sont-ils pas inextricablement liés, et la situation subie, justement injuste au possible? Encore une fois, on n’est pas dans un épisode de « Suits », et c’est bien dommage.

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Le drame du tram

« Les particuliers ne disposent d’aucun recours sauf, classiquement, contre les pouvoirs publics, en tant que propriétaire voisin de la voirie, pour « troubles anormaux du voisinage ». La jurisprudence considère cependant qu’il est « normal » pour un propriétaire de faire des travaux sur son bien. Ce n’est donc que dans des circonstances exceptionnelles qu’il est possible de demander une compensation pour les troubles vraiment « anormaux » de voisinage. Soit, ceux qui vont même au-delà des nuisances normales liées aux travaux. Par définition, ces nuisances anormales sont rares » décrypte encore pour nous Me Neyrinck.

« La jurisprudence a pu considérer que de telles nuisances anormales intervenaient par exemple lorsque les travaux constituaient un obstacle réel au fonctionnement de certains commerces isolés, manifestement désavantagés par les travaux en ce qui concerne l’accès de la clientèle ou des fournisseurs au commerce. Toutefois, l’obstacle physique doit être individualisé, c’est-à-dire propre à la relation bilatérale de voisinage. De simple lenteurs d’accès généralisées dans la ville ne constituent pas une telle situation. En outre, dans le cas présent, la difficulté est encore accrue. Le « trouble anormal de voisinage » doit nécessairement être « imputable » au voisin. Or, en l’espèce, le marché public a été conclu non par la Ville de Liège, mais par les TEC, sur la base d’un permis d’urbanisme octroyé par la Région… c’est dire s’il est peu probable qu’un recours puisse aboutir ».

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D’autant qu’ainsi que le rappelle celui qui exerce ses talents en Principauté, « en outre, généralement, les pouvoirs publics font bien attention à ce que l’organisation des travaux ne crée pas une telle situation. Par exemple, les travaux sont toujours organisés pour veiller à ce que les parkings payants restent accessibles pendant les travaux. C’est paradoxal : si les travaux constituent vraiment une gêne à la circulation, il est vraisemblable que la demande en parking en sera réduite. Pourtant, maintenir les parkings ouverts constitue une priorité des pouvoirs publics afin d’éviter les procédures en indemnisation ». Et l’avocat liégeois de renvoyer celles et ceux qui se sentiraient lésés vers une application téléchargeable sur WALLINCO permettant aux entreprises affectées de solliciter une indemnisation de 100 € par jour où l’activité commerciale est entravée par des travaux sur la voie publique durant au minimum 20 jours consécutifs (et avec un maximum de 6.000 € par chantier). En précisant toutefois que « des travaux entravent l’activité d’une entreprise si soit l’accès pédestre au site est fortement détérioré, soit les emplacements de parking privé de l’entreprise ou les emplacements de parking à proximité immédiate et habituellement utilisés par la clientèle ne sont pas accessibles ». Pour vos poumons plein de poussière, vos tympans malmenés et votre tension qui explose, par contre, vous repasserez. Ou plutôt, vous « prendrez le tram », lequel devait, pour rappel, voir ses travaux d’infrastructure terminés en juin 2021.

Photo de couverture: Volga bar d’atmosphère 

 

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.