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Ghost Kitchen Liège Casper Wallonie DR Boulettes Magazine

Les ghost kitchens, fantômes de l’Horeca liégeois?

Après avoir déferlé sur les grandes villes européennes, le phénomène des ghost kitchens, déjà discrètement implanté à Liège, arrive en fanfare en Cité ardente avec l’installation prochaine de Casper, leader du marché belge. Une tendance qui réjouit les gourmets à domicile, mais divise le secteur de l’Horeca liégeois.

Le principe de ces « cuisines fantômes »? Les ghost kitchens, par définition, sont des espaces de restauration virtuels, dans le sens où, si les plats qu’ils préparent sont, eux, bien réels, les commerces qui les proposent à l’emporter ou en livraison n’ont de restaurant que le nom et consistent en réalité en une série de différentes enseignes rassemblées dans la même cuisine et ne disposant pas de salle pour accueillir les clients.

Un business model qui permet de réduire exponentiellement les coûts d’installation pour les restaurateurs, mais aussi de proposer une plus grande diversité de takeaway pour les clients. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un oeil à l’offre de Casper, startup lancée à Gant et désormais présente dans toutes les grandes villes belges, l’ouverture d’une enseigne liégeoise étant imminente.

Casper Liège DR

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Ici, on trouve aussi bien les crapuleux plats de pâtes et lasagnes signés Bavet que les mets aussi gourmands que sains imaginés par Pascale Naessens, sans oublier une enseigne virtuelle dédiée entièrement aux desserts et une autre rassemblant une offre de comfort food végétarienne. Choisir, c’est renoncer, et le leader des ghost kitchens belges assure qu’il n’y ait aucun compromis à faire au moment de passer sa commande à emporter. Un conglomérat de choix culinaires qui ne date pourtant pas d’hier à Liège: si, ici, c’est l’étendue du choix proposé qui distingue Casper de ses compétiteurs, nombre d’enseignes présentes sur les plateformes de takeaway avaient déjà fait le pari de la « cuisine only« , sans salle: c’est ainsi que certains gourmets ont cherché longtemps ce resto de wings ou de plateaux apéros livrés à domicile auquel ils multipliaient les commandes, avant de réaliser que l’enseigne ne disposait d’aucun espace physique où les déguster.

À Paris, où la tendance a déjà croqué la ville à grand renforts d’hangars entiers dédiés à des ghost kitchens de grande envergure, le phénomène fait face à une levée de boucliers de la part des garants de la gastronomie, qui voient là une menace pour le restaurant tel qu’on le connaît. Et à Liège alors, qu’en disent les restaurateurs ardents, déjà rudement malmenés par des mois de pandémie et de mesures sanitaires restrictives?

ghost kitchens Liège DR

Alexis Vafidis, patron de La Cafétaria et accessoirement fer de lance du collectif Horeca Wallonie ces derniers mois, est mitigé. « D’un côté, on voit bien que c’est en plein essor et que c’est « inéluctable », parce que la façon de vivre des gens fait que c’est un service utile », concède celui dont la carte de viandes d’exception est bien connue des carnivores, « mais moi en tant que restaurateur, même si je suis toujours susceptible de changer d’avis, je n’ai plus voulu faire de takeaway parce que la formule nous portait préjudice: ce qui arrivait chez le client n’était pas à la hauteur niveau qualité du resto. C’est se tirer une balle dans le pied: quand on demande de payer le même prix qu’au resto pour avoir quelque chose de moins qualitatif, le nom de l’enseigne en pâtit ». Ce qui ne veut pas dire qu’il voit forcément les ghost kitchens comme un cauchemar (hanté) en cuisine, au contraire.

« J’ai quatre étages non-exploités au dessus de mon resto et j’ai moi-même envisagé à un moment de faire une ghost kitchen, parce que la crise qu’on vient de vivre nous a tous forcés à remettre notre modèle économique en question. Même si les gens auront toujours besoin de restaurants, les temps changent et je garde dans un coin de ma tête la possibilité d’exploiter ces étages pour en faire une ghost kitchen, pourquoi pas en m’associant avec plusieurs partenaires » – Alexis Vafidis.

Un point de vue nuancé que partage Liankang Ji, dont le Bonheur Simple, à Embourg, fait la joie des amateurs de cuisine thaïlandaise raffinée.

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Embarquement à bord du restaurant fantôme

D’autant qu’ainsi qu’il le souligne, s’il porte un autre nom aujourd’hui, le concept ne date pourtant pas vraiment d’hier. « Il y avait déjà des traiteurs qui ne proposaient rien que des plats à l’emporter, parfois avec deux-trois tables sur places, et en général axés sur un seul type de cuisine. Le confinement a apporté un autre regard sur le take away, les plateformes ont le vent en poupe, et même les restaurants gastronomiques ont l’air de vouloir continuer ce service post COVID ». Sans pour autant grignoter les platebandes des restaurants physiques.

« Je pense qu’il faut être très ouvert d’esprit de nos jours avec Internet, tous les biens et services sont en train de se digitaliser. Mais je ne crois pas du tout que cela pourrait devenir une menace pour les restos classiques, parce qu’on ne joue pas du tout sur les mêmes terrains. En Asie la livraison de repas est très populaire depuis des années, ce qui n’empêche pas les restos en modèle classique d’avoir beaucoup de succès, souvent grâce à un thème de nourriture bien précis ou des concepts plus originaux que dans le passé » – Liankang Ji.

Pour Liankang Ji, il s’agit de rester optimiste: « l’alimentation est un marché si grand et essentiel que je pense qu’il y a une place pour tout le monde, tant que la qualité y est ». Un son de cloche qui résonne aussi rue Saint-Paul, à l’Altro Maccheroni, où, entouré des produits sublimes qu’il sert (cette mortadelle fine comme du papier à cigarettes!), Anthony Rousselle fait preuve de magnanimité.

« Moi, ce que j’aime, c’est la qualité, qu’elle provienne d’une ghost kitchen ou d’ailleurs. Après ce n’est pas encore le gros boom du concept à Liège, mais ça ne va pas traîner, à Paris, Londres, Berlin, New-York,… on y est déjà. Il y a d’ailleurs vraiment des concepts de Ghost très chouette, le BurgerGate de Bruxelles par exemple » – Anthony Rousselle

Ghost kitchens take away à emporter Liège DR Boulettes Magazine

Pas de quoi faire une indigestion alors? Pour Marie (Maya pour les intimes) Servais, du Moment, l’implantation plus pérenne de ghost kitchens dans la Cité ardente n’est pas un motif de réjouissances. D’ailleurs, c’est bien simple: « le concept est incomparable à l’expérience qu’offre un restaurant ».

« C’est sûr que le modèle présente des avantages, entre coûts moins élevés et moins de risques sanitaires durant les pics de la pandémie, mais il présente tellement d’inconvénients aussi » – Marie Servais.

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À commencer par son absence totale de lieu physique, alors même que par définition, « le restaurant est un lieu de rencontre et de partage. Le principe même entraîne une diminution drastique de l’emploi généré par l’Horeca, et il n’y a aucun feedback possible pour le client. On l’a vécu très fort durant le premier confinement avec nos livraisons, un service qui ne permet pas d’avoir les retours de la clientèle comme au restaurant ». Un point de vue partagé par Jianing Liu, la poétesse culinaire de chez Itachi. « Ghost kitchen, c’est un nom vendeur en confinement, mais où est l’esprit d’un restaurant ? L’ambiance, le dressage des assiettes, le sourire du serveur… Je trouve que ça s’apparente plus a du « traiteur » qu’à du « restaurateur ». Avec mon compagnon, nous avons testé un week-end le concept à l’hôtel pendant le confinement et le service en chambre était excellent, mais…. Il nous manquait le service à table, l’attente entre les plats… ».

« Tout ce qui permet d’apprécier un vrai repas au restaurant manque à l’appel. Maintenant que tous les établissements sont à nouveau ouvert, ce serait trop bête de ne pas profiter d’un bon repas servi comme des rois »- Jianing Liu

Et Marie d’ajouter que « venir au restaurant n’est pas qu’une question culinaire: cela sert à éveiller les sens, prendre du bon temps, avoir le plaisir de se faire accueillir… ».

« Le mot « ghost » prend vraiment tout son sens: ce sont des restaurants fantômes, qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes » – Marie Servais.

Ce qui ne veut pas dire que ces drôles d’ectoplasmes culinaires terrorisent l’Horeca liégeois pour autant. « Dire que le concept fait du tort aux restaurateurs est faux, parce qu’il y a de la place pour tout le monde » assure Alexis Vafidis. Avant de concéder que c’est plus simple à dire pour certains que pour d’autres: « moi je ne me plains pas, parce que mon resto fonctionne bien, mais je comprends qu’un restaurateur qui vivote puisse se sentir plus menacé ». Et faire des cauchemars peuplés de fantômes…

 

Explorateur du quotidien, Clem vit sa ville entre de multiples jungles, qu'il parcourt bras dessus, bras dessous aux côtés de Kath. Reporter pour Boulettes, Le Vif et Saveurs, il profite de la vie comme on croque un fortune cookie, intensément, tout en se remémorant ce proverbe : “life is like a roll of toilet paper. The closer it gets to the end, the faster it goes”