Libre, végétal, 0 déchet… Nouvelle ère au Moment
Longtemps considéré comme un endroit où l’on se rendait avant tout pour voir et être vu, le Moment a profité de la crise sanitaire et du confinement pour se réinventer. Une nouvelle ère entamée à l’initiative des maîtres des lieux, Jonathan et Marie Servais, dont l’authenticité et la chaleur se ressentent désormais dans chaque détail du restaurant.
En ce vendredi caniculaire, Jonathan Servais bouillonne. D’enthousiasme, de gourmandise, d’idées. Frigoriste de formation, cet entrepreneur né a fait contre mauvaise fortune bon coeur et transformé le confinement en occasion de se réinventer. Ne dit-on pas après tout que chaque crise n’est jamais rien d’autre qu’une opportunité déguisée? Le vent de renouveau qui souffle au Moment en est la meilleure preuve, Jonathan Servais ayant décidé de profiter de la crise pour passer en cuisine de son établissement de la rue Bonne Fortune.
Confession: sans même savoir le changement qui s’était opéré, on a passé le confinement à scruter la moindre publication du Moment, ou plutôt, de Jonas Bro, l’alter ego de Jonathan Servais, qui a régalé les gourmets en mal d’Horeca de ses formules mêlant tapas alléchantes et cocktails frappés, livrés à domicile dans le respect des mesures sanitaires. Un succès de foule, qui lui donne l’impulsion nécessaire pour se lancer « pour de vrai » et reprendre la tête de la cuisine du Moment à la réouverture. Avec un soutien de choix, nul autre que le chef étoilé Thomas Troupin, ami de Jonathan et Marie, qui salue son « goût juste » et ses assaisonnements et l’encourage à se lancer. Bien lui en a pris.
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Cuisine(r) libre
Si Jonathan Servais ne tarit pas d’explications enthousiastes sur ce qu’il appelle sa « cuisine libre », inspirée de ses voyages, lors desquels il s’est appliqué à photographier tous les plats qui lui plaisaient pour mieux tenter de les reproduire ensuite, et de sa créativité hyperactive (« après une semaine, je m’ennuie de mon menu, j’ai besoin de changement »), dans l’assiette, qu’en est-il? La passion des produits vantée dans le manifeste imprimé au dos du menu se ressent-elle dans l’assiette? Pas de suspense inutile, la réponse est oui.
Plutôt que le lunch en deux services (25€), la perspective d’un après-midi s’étirant paresseusement au rythme de la chaleur étouffante de ce mois d’août invite à se laisser tenter par le Jonas Menu, trois services, 35€, et un petit cocktail pour ouvrir les festivités, parce que le Moment ou plutôt le Bar Brutàl attenant, reste un des meilleurs endroits où en savourer à Liège. Au menu du jour: la « Jonazzella », une farandole de tomates colorées accompagnée de croutons maison, pickles d’oignon rouge et buratta, suivie de lotte au beurre citron et poivre frais, pommes de terre au curcuma, puis en dessert, une glace maison au cassis sauvage et une mousse au chocolat à la poudre de yuzu. Malgré la canicule, la salle à manger délicieusement climatisée se remplit petit à petit et le Jardin de Mémé (gin Bombay Sapphire, basilic rouge, citron, 10€) est d’une traîtrise rafraîchissante.
Un Moment d’exception
En première assiette, la tomate-mozza façon Jonathan Servais s’avère être tout ce qu’un plat estival devrait être, un véritable concentré de soleil dans l’assiette, la fraîcheur en plus. Gorgées de soleil et mûres à point, les tomates choisies par le chef pourraient presque se suffire à elles-mêmes mais sont sublimées par un pickles d’oignon rouge rafraîchissant et une buratta exquise. Le genre d’assiette dans laquelle on sauce sans vergogne le pain maison pour ne pas perdre une goutte du jus savoureux des tomates auquel se mêle celui de la mozza. Accompagné d’un beurre de ferme retravaillé au basilic, les miches de pain qui accompagnent le repas sont d’ailleurs de celles qu’on dévore à belles bouchées, parce qu’on n’a qu’une vie, merde, et qu’elles sont trop bonnes.
La barre est placée haut, mais Jonathan parvient à maintenir le niveau, avec une lotte cuite à la perfection, dont le beurre citron au poivre, une concoction maison dont il n’est d’ailleurs pas peu fier, appelle lui aussi à être savouré à grand renfort de pain, tandis que ses pommes de terre au curcuma sont un ajout épicé bienvenu, à l’image d’une merveilleuse petite fleur de courgette à la cuisson maîtrisée et dont les saveurs explosent en bouche. Fini, le temps des pièces de viande à 32€, pour Jonathan et Marie, le Moment est venu (ah!) de faire la place belle au végétal, avec un menu où la protéine est au service des légumes, et non plus l’inverse. Des légumes qu’il va récolter lui-même au jardin Vent de Terre, à Tilff, en attendant d’installer un petit jardin potager au-dessus de son restaurant ainsi qu’un îlot où cueillir herbes et fleurs comestibles, dont il parsème généreusement ses préparations.
Le végétal à l’honneur
Non content d’avoir adopté un virage végétal, et de s’engager désormais à ne plus servir que viandes et poissons respectueux, parlant notamment de cet éleveur présenté par Thomas Troupin, qui appelle chacune de ses bêtes par son prénom et s’applique à leur rendre la vie aussi belle que possible, Jonathan a également décidé de s’inscrire dans la mouvance zéro déchet. Notamment, en développant une recette de confiture de queues de fraises, mais aussi en s’initiant aux subtilités de la lactofermentation. Une démarche consciente et engagée, à mille lieues de l’image m’as-tu-vu longtemps associée au Moment, ainsi que ma compagne de table (coucou maman si tu me lis) ne manque pas de le faire remarquer au chef. Sans se démonter, celui-ci le reconnaît, et le regrette: « on s’est un peu perdus à force de se concentrer sur le management, mais là on revient en arrière et on reprend aux bases, moi en cuisine et Marie en salle. Ce côté bling-bling, on ne l’a jamais cherché, c’est une image qui s’est faite à contre-coeur ».
Et si ce touche-à-tout de talent confie ne pas avoir d’affinités particulières avec la pâtisserie, dont la nécessité de respecter la recette au grammage près bride sa créativité, en dessert, sa mousse au chocolat est une certaine idée du foodporn, délicieusement rafraîchie par une salade de raisins aux coulis de menthe maison, tandis que le sorbet cassis et sa crème fraîche maison sont eux aussi plus que réussis. Quand on lui dit que bien qu’habitués du restaurant, on n’y a jamais mieux mangé que depuis qu’il a repris les commandes de la cuisine, lui, l’autodidacte, l’émotion de Jonathan Servais est palpable, tout comme ses remerciements sincères à une dîneuse qui lui disait merci d’avoir adapté le menu à son intolérance au lactose, et à laquelle il répond merci pour le défi. Car c’est à ceux-ci qu’il carbure. Prochain challenge? Abandonner cartes et menus et fonctionner avec une formule nomade, révélée oralement aux convives lors de leur visite. Il est libre, Jonàs.
Moment
Rue Bonne Fortune 17, 4000 Liège / 04 267 41 91
ME-SA 12-14 18.30-22
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