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Coup de gueule d'un médecin généraliste - Pexels - Negative Space

« Les patients sont perdus »: le cri d’alarme d’un médecin généraliste

Comme chacun de ses pairs, quelle que soit leur spécialisation, le médecin généraliste se doit de prêter le serment d’Hippocrate. Parmi les engagements qu’il comprend, « je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces ». Une promesse mise à mal en cette période de pandémie où les soignants sont nombreux à se plaindre d’être livrés à eux-mêmes. Parmi eux, le Dr Patrick Sauveur, médecin généraliste en région liégeoise, qui a rédigé pour nous la carte blanche suivante. 

On l’appelle médecin généraliste, en opposition à la médecine tronçonnée spécialisée. Médecin traitant car il a les armes pour nous traiter dans la limite de la reconnaissance intellectuelle que lui portent les décideurs budgétaires des soins de santé. Omnipraticien, car il est amené à entrer en contact avec des patients et des pathologies de tous horizons. Médecin de famille, car il apporte son aide à toute la verticalité d’une famille et ce de façon la plus longitudinale possible.

On l’appelle quand quelque chose va ou quand quelque chose ne va pas. Il se place en première ligne d’écoute, de dialogue, de toucher, de sentir, il pratique son art avec ce que la nature lui a donné.

Or depuis la déclaration de la pandémie de COVID-19, les médecins généralistes ont reçu pour attribution de gérer la toute première ligne face à cette affection par le biais de son téléphone. La première lecture de cette bienveillance de tri téléphonique était évidente ; le moins possible de contacts potentiellement contaminants autant pour les patients que pour les généralistes, devant rester opérationnels jusqu’au bout de cette épidémie.

Le travail journalier est ainsi, brutalement, passé de contact et prévention à de la télémédecine voire de la vidéo-médecine autant pour tous nos patients suspects de COVID-19 que pour tous les autres, ne comprenant pas ce mouvement de recul vis-à-vis d’eux. Tous nos patients, mais aussi tous ceux qui se retrouvaient démunis devant une ligne téléphonique continuellement submergée, comme la nôtre, ou ceux sans médecin traitant, cette dernière situation à grande prévalence en région citadine.

La partie physique de notre travail se déplaçait alors vers des centres de tri pré hospitaliers pour les cas suspects de COVID-19 nécessitant un examen clinique avec toutes les mesures de protection adaptées. Pour toutes les autres demandes médicales nous nous retrouvons face à l’interrogation et cherchons des solutions de grande débrouille.

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De médecin généraliste à vidéo-conférencier

Nous avons ainsi appris à examiner une épaule par vidéo consultation ou à demander des envois de photos pour des lésions cutanées. Les rares contacts physiques, avec la boule dans la gorge vu l’absence de matériel de protection en quantité et en qualité, subsistaient pour les patients avec auscultation cardiaque indispensable ou pour toute autre situation justifiant de poser un geste sans pour autant nécessiter une prise en charge hospitalière. Nous avions pour tâche d’empêcher l’engorgement des services d’urgences. Les patients sont perdus.

Régulièrement, nous prenons de longues minutes au téléphone avec de nombreux patients se sentant abandonnés par leur médecin traitant, ce dernier refusant, avec toutes les explications fondées, de se rendre à leur domicile pour une visite de routine ou pour un problème ne justifiant peut-être pas un examen clinique indispensable.

Peut-être pas, car nous avons appris que la prise en charge d’un patient passe par son interrogatoire ET son examen clinique qui peut nous apporter des informations indispensables au diagnostic médical. La seconde lecture de cette mise sous cloche de la médecine générale ne trompait personne, le matériel de protection devrait être distribué par priorité.

Coup de gueule d'un médecin généraliste - Pexels - cottonbro

Un manque criant de matériel

Les masques promis à la médecine générale étaient annoncés en date du 12 mars 2020 avant d’être tout simplement annulés. Pour rappel, les masques chirurgicaux limitent la sortie des germes expirés par le porteur, les masques FFP2 filtrent l’air ambiant et protègent donc le porteur. Une explication est donc indispensable pour la médecine générale au chevet de son patient palliatif pour exemple ou sortant d’hospitalisation pour un COVID-19 avec pour seule protection des masques chirurgicaux efficaces pour les protéger selon la ministre de la Santé. Près d’un mois s’est écoulé en voyant régulièrement dans les médias des arrivées de lots de masques à destination des hôpitaux, des maisons de repos, des centres psychiatriques, des homes pour enfants, des infirmiers à domicile. Nous sommes en première ligne aussi. Nous avons été laissés de côté, nous avons cherché des solutions pour pallier à ce problème criant ; certains ont été aidés par leur boucher, leur dentiste pour quelques masques.

Un mouvement de générosité et d’altruisme est né. A notre porte, malgré le confinement, nous avons vu des patients nous apportant quelques masques en tissu faits main ou des visières en plastique. Nous ne les en remercierons jamais assez.

Cette prise en charge est tout simplement scandaleuse. De très nombreux mails et coups de fils plus tard, après le renvoi de la commune (distributrice des masques aux infirmières) vers l’aviq, de l’aviq vers le SPF santé publique, de ce même SPF vers le cabinet du ministre De Backer, le tout aboutissant à une voie sans issue ; la force du désespoir donne des ailes, les éléments locaux ont alors tenté leur chance auprès des bourgmestres puis des gouverneurs avec quelques promesses. Saint Thomas, es-tu là ?

Disponibles 7 jours sur 7

Depuis le début de cette sidération du travail du médecin généraliste, il nous a paru évident et confraternel de tenter de soulager autant que possible la garde de médecine générale en restant disponibles 7 jours sur 7 afin de permettre au médecin de garde de porter son attention sur les situations vitales non COVID-19 nécessitant une intervention, tels qu’un infarctus ou une chute. A l’initiative de la médecine générale, des postes de tri pré hospitaliers COVID-19 ont fleuri un peu partout en Belgique. Après 4 semaines sans jour de relâche, la fatigue se fait sentir. Le dialogue est essentiel. Par la création de groupes de discussions sur le fond, sur la forme mais aussi sur la souffrance de chacun, nous avons gardé le contact indispensable dans notre métier. Ceci nous a permis de nous informer les uns les autres sur le travail accompli ; la médecine hospitalière remerciant chaudement la médecine générale de tout son travail et d’avoir empêché la saturation des services d’urgences. Nous avons, nous, pu être tenus informés des adaptations utiles au niveau du traitement à apporter aux patients et des disponibilités de lit dans les hôpitaux.

Des patients laissés pour compte

Le travail passe par la valorisation. Avec quelques jours de retard sur les consignes de confinement, un honoraire de 20 euros a été prévu pour le travail réalisé par téléphone pouvant prendre régulièrement plus de temps que les consultations classiques. Ce montant n’étant facturable qu’une fois par semaine. Pour UN patient suspect de COVID-19 dont l’état de santé est jugé préoccupant et justifiant une prise en charge hospitalière sur base du tri téléphonique, il y en a 10 que nous tentons de garder chez eux en confinement strict avec des soins apportés par téléphone et réadaptés tous les jours voire plusieurs fois par jour. Les sorties d’hospitalisations ne riment pas avec guérison mais bien avec état ne justifiant plus une chambre d’hôpital avec de l’oxygène. Ceci éclaire un peu sur le travail quotidien du médecin généraliste tenu à distance de ses patients par des décisions politiques de non fourniture de matériel de protection.

De très nombreux patients ont besoin de nous, les patients palliatifs comptant sur nous en continu pour leurs derniers moments, les patients âgés perdus dans cette situation d’isolement, les patients en maison de repos qui pour beaucoup se laissent glisser vers le trépas par maladie, par tristesse ou par abandon, les patients travailleurs craignant de contracter la maladie dans l’exercice de leur emploi ou de rapporter la maladie auprès des siens et que nous ne pouvons aider actuellement, les patients pour lesquels des traitements ont dû être interrompus et qui souffrent.

Pour eux et pour tous les autres, nous appelons, nous crions, apportez nous le matériel qui nous permettra de repartir au front. Nous avons besoin de masques FFP2, de blouses de protection, de visières et de gants.

Patrick Sauveur, médecin généraliste en région liégeoise

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