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Le Petit Grand Bazar

Portraits de ces commerçantes qui incarnent l’esprit liégeois

Pour comprendre l’esprit liégeois, pas besoin de connaître l’histoire, ni d’arpenter les musées : cet esprit est vivant. On le sent palpiter dans nos artères commerçantes.

Nous sommes partis à la rencontre des boutiquiers et boutiquières qui incarnent l’esprit liégeois : truculents, gouailleurs, irrévérencieux et tiesse di bwé… Ces commerçants développent un style qui fait mouche dans nos cœurs ardents : de l’authenticité, de la convivialité et du folkore.

Notre sélection est subjective et, par le fruit du hasard, n’a retenu que des femmes. Sans doute un héritage des boteresses, qui transportaient sur le dos toute sorte de colis à travers la ville. Des femmes fortes et au caractère bien trempé, sans lesquelles la Cité, jamais, n’aurait été aussi prospère et ardente.

Catherine Fourneau : le folkore 3.0

esprit liégeois

Aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, Catherine a toujours voulu jouer à la marchande. Enfant, elle rêve d’une jolie boutique où vendre des chiques. Dans sa tête, elle est Julie de l’île aux enfants. Elle a pourtant d’abord cultivé son côté rationnel et rigoureux en travaillant dans le domaine de la qualité. Il a fallu que l’ambiance de travail se détériore fortement pour sauter le pas et s’autoriser à être elle-même : une bidouilleuse zinzinophile.

Elle commence avec des copines avec qui elle fonde les Créateurs de Bonheur. Précurseur des marchés de créateurs, ce rassemblement mensuel permettait aux créatrices de chez nous de présenter leurs trésors dans des lieux privés insolites. Avec un mode opératoire orienté convivialité à la liégeoise, les participantes exposent gratuitement, mais proposent le goûter, un petit verre et un cadeau à ceux et celles qui craquent pour une pièce unique.

Elles débutent dans les salons de leurs potes les plus dézinguées, mais fêtent leur 3ème anniversaire au Forum. Malgré cette ascension fulgurante, l’aventure s’épuise laissant à Catherine de beaux souvenirs et une solide expérience en vente et en communication via les réseaux sociaux.

Des ingrédients magiques qu’elle continue à mitonner dans sa première boutique, installée dans sa rue à Chênée, avant de décrocher la timbale : un emplacement (certes temporaire) dans la rue commerçante qui commence à devenir mythique : en Neuvice. Tout de suite, elle est cuite et sait qu’elle fera tout pour y rester. Elle est aujoud’hui l’une des cheville ouvrière de la communauté forte et soudée des commerçants de la première rue piétonne de Liège.

Catherine a donc réalisé son rêve de petite fille, accueillir les clients avec une bonne humeur communicative et utiliser dès qu’elle le peut le wallon de Liège, dialecte rassurant qui lui fait penser à ses grands-parents. C’est génial, mais ça ne fait pas encore d’elle l’incarnation de l’esprit liégeois en quête duquel nous arpentons la ville. Attendez, ça arrive !

La mère de la la tchantchitude

Il n’est en effet pas obligatoire (quoique chaudement recommandé) de se rendre dans la boutique de tchinisses Le petit Grand Bazar pour rencontrer Catherine. Il suffit de faire la fête. N’importe quelle fête à condition que la musique soit populaire, l’ambiance bon enfant et folklorique. Pour la repérer, ne vous fiez pas à sa couleur de cheveux, elle change d’une sortie à l’autre, mais bien au Tchanchès, sous quelque forme que ce soit, qui traine à portée de sa main (enfin, la main qui ne tient pas la bière).

Catherine a inventé la tchantchitude. Une attitude décalée, sérieuse sans se prendre la tête, festive et fédératrice.

Après les badges N’est-ce nin chose (qui ont fait parler d’eux à l’occasion des fêtes de fin d’année de l’intercommunale Resa et nous ont offert un joli conte de Noël), la Tchanchès academy décline les spécialités liégeoises sur des t-shirts et hoodies de qualité, typiques des universités américaines. Petit Grand Bazar

Un produit et du marketing qui sont le prétexte à des initiatives culturelles et folkoriques. Accueillie au musée de la vie wallonne, elle détecte le capital émotion de rencontrer le « vrai » Tchanchès qui y est conservé. Qui n’aimerait pas être pris en photo à côté de cette figure d’anthologie ? Eric Michaud, en tout cas, aimerait que la marionnette vienne lui dire bonjour dans sa mignonne boulangerie « Une gaufrette, saperlipopette ». aussitôt dit, aussitôt fait : la Tchantchès parade est lancée et fait voyager Tchanchès dans les commerces où l’on cultive l’esprit liégeois. Une photo officielle et un certificat conservent vivant le souvenir d’une rencontre folklorique du 3ème type.

Pour animer les fêtes qui scandent le calendrier bibitif liégeois comme le Carnaval du Nord, Mati l’ohé ou la Fête des fous, Catherine réunit, grâce à un appel sur Facebook, des tchanchorettes à l’esprit liégeois enflammé : une dizaine de dames de tout âge et tout horizon, volontaires d’apprendre les pas des majorettes et de faire virevolter leurs rouges jupettes et leurs bottillons dorés.

La formule gagnante, selon Catherine Fourneaux ? Comprendre le folkore au contact de ceux qui le vivent et s’en imprégner, avec respect mais sans déférence. Y apporter sa touche moderne et sa force de communication. Chaque idée loufoque qui lui traverse l’esprit est enrichie de l’expérience de la confrérie des Marchatchous de Saint-Pholien, du conseil villageois du Village de Noël où elle siège en qualité de conseillère ou encore d’une authentique gardienne de potales en Outremeuse, à l’heure de lancer Marie Pekette, une Vierge Marie qui préfère définitivement le peket à l’eau bénite.

Catherine Lamalle : pharmacienne et première femme Présidente de la République libre d’Outremeuse ?

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Catherine a choisi la pharmacie pour faire quelque chose de sérieux, comme ses parents le lui demandaient. Elle avait appris la couture, sur les bancs du lycée des Bénédictines, avec sa meilleure amie, Delphine Quirin et se serait bien vue styliste. Dégoutée par son inaptitude au dessin, elle décide cependant d’exercer le métier pour lequel elle s’est formée, tout en y ajoutant un petit twist d’esprit liégeois.

Lorsqu’on lit, déployé en vitrine et sur ses cartes de visite, son slogan « quand Tchanchès a mal, il va chez Lamalle », on comprend aisément que ce twist sera délibérément liégeois.

Elle a pourtant décroché un beau diplôme parisien et un travail prestigieux à Bruxelles mais, revenue un soir en Cité ardente, elle retombe en amour avec la ville, son esprit liégeois et ce n’est pas accessoire, avec le Liégeois qui devient son mari. Elle en est sûre, ce qu’elle veut, c’est une officine à Liège.

Dieu ne joue pas aux dés. La pharmacie de la place Delcour est à reprendre : en 1997, Catherine pose ses valises au Djus d’là et ouvre la Pharmacie Lamalle. C’est une pharmacie traditionnelle, aux portes et volets en cuivre et dont on trouve trace dans les archives depuis au moins 1918. Elle se donne 6 mois pour s’intégrer dans ce village dans la ville et gagner la confiance des habitants d’Outremeuse. A lire la page Facebook de la pharmacie où sont photographiés les nombreux cadeaux reçus en remerciement des bons conseils, c’est sûr, l’intégration est réussie.

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Vingt après, se sentant à l’étroit en ses murs ancestraux, la pharmacie s’installe dans la maison voisine, désertée par le départ du restaurant grec qui l’occupait. C’est l’occasion de rénover de fond en comble l’immeuble tout en mettant en lumière les talents régionaux. Catherine est fière d’expliquer que les réunions de chantier se tenaient 300 mètres plus loin, dans les bureaux de l’architecte Gil Honoré.

Les choix architecturaux sont réfléchis : à la fois fonctionnels et esthétiques. Mais surtout, ils intègrent les petits twists qui font la différence et l’esprit liégeois : le bar à Toutou scellé au trottoir et le jardin intérieur où reposent nain de jardin et statue de la Sainte-Vierge.

Une pharmacie où l’on s’oriente grâce aux affichettes en wallon et où les médicaments sont présentés en vitrine avec des marionnettes traditionnelles. On aime particulièrement les maximes et dictons, toujours en wallon, au bas des tickets de caisse. Ca donnerait presqu’envie d’être malade.

Une adulescence en Outremeuse

esprit liégeoisCatherine vit en Outremeuse une véritable adulescence. Lorsqu’elle n’assume pas de garde, elle aime rire, boire et danser. Sur les tables ? Allez oui, sur les tables ! Ses nouveaux amis sont les rois des fêtes du XV Août. Avec une émotion poignante et une infinie tendresse, elle rend hommage à Jean-Marie Heins, patron du Petit Bougnat en Roture, parti en avril dernier. Quant à Sébastien Clavier, fondateur du CBA Burger, décédé sur les pistes enneigées en 2017, une fresque taguée sur le mur du parking commémore son passage en ces lieux.

Et quel passage ! Car le parking de la pharmacie Lamalle, nous le connaissons tous sans le savoir. Depuis plus de 5 ans, c’est ici que les Carrioles installent bars, bawètes et piste de danse pendant les 5 jours que durent les festivités du XV août. On y accède depuis la rue Surlet, par l’Impasse des Jardins et, avant de pénétrer cet antre secret de la débauche estivale, on se prosterne devant la potale qui en surveille l’entrée.

Catherine n’est pas seulement pharmacienne. Elle est la gardienne des lieux et de tout ce qu’ils recèlent. Lorsque la potale fut vandalisée, elle lança cris et SOS et, grâce aux réseaux sociaux, récolta plusieurs statues de remplacement. Pour que vivent les traditions et le petit patrimoine populaire du quartier !

Avec de tels faits d’armes, elle devrait être accueillie à bras ouverts dans les plus hautes instances folkloriques du quartier. Et bien non. Si son mari est Ministre de la Santé de la République d’Outremeuse (alors que la pharmacienne, c’est elle, n’est-ce pas ?), Catherine n’y a pas droit de cité. La faute à ses ovaires et sa poitrine accueillante. La République est mâle et uniquement mâle. Cette règle misogyne, digne d’un autre temps, on sent Catherine prête à la faire briser en éclats. Alors, Catherine Lamalle, Présidente ? Nous, on vote pour !

 

 

Jehanne de Calwaert – l’aristocrate haute en gueule

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1997 est un grand cru pour nos valeureuses liégeoises. L’année où Catherine Lamalle s’installe à Liège, Jehanne de Calwaert reprend le magasin de café Michotte, tombé en faillite, où elle est employée depuis plus de 20 ans. Elle se rend maître de la boutique en Neuvice, tandis que sa collègue et amie, Cécile, conserve la Caféière, en Outremeuse.

Jehanne a la classe des filles de familles bien établies. 300 ans d’histoire ne pèsent nullement sur ses épaules. Au contraire, ils lui font tendre l’échine, redresser la tête et sourire gracieusement.

De son enfance dans une magnifique maison d’apparat du Mont Saint-Martin où ses parents exploitaient leur patrimoine immobilier et louaient l’ensemble pour les fêtes et les mariages, elle conserve la règle maîtresse de l’accueil à la liégeoise : garder toujours au chaud une tasse de à offrir à l’étranger. Dans mon imaginaire culturel et familial, le Liégeois offre également un morceau de tarte avec le café. Jehanne le remplace par une truffe au chocolat à damner un Saint et cela me convient aussi bien.

Fragrances est rebaptisée la boutique. La bien nommée, tant les effluves de café et de thé se déversent à l’embouchure de Neuvice sur la rue de la Cité (et sa fameuse Casa Ponton) et le Pont des Arches, et attirent irrésistiblement les passants. C’est une expérience sociale de s’assoir dans les fauteuils en rotin de la terrasse ou de s’attabler contre les murs de l’étroite boutique et d’observer les allers et venues des clients. Il y a les habitués qui s’approvisionnent régulièrement en café en grains ou en thé noir classique. Les adeptes du mieux-être en quête de tisanes hydratantes ou détoxifiantes. Les touristes, souvent néerlandophones, motivés par les guides nombreux à référencer le charme de cette petite boutique traditionnelle qui incarne à merveille l’esprit liégeois.

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Et puis, il y a ceux qui passent devant la vitrine et qui scrutent la relative obscurité des lieux. Avant de pousser la porte, ils veulent être certains que Madame n’est pas là et qu’ils seront servis par l’une de ses charmantes collaboratrices.

C’est que Jehanne est une vraie incarnation de l’esprit liégeois. Une qui ne s’en laisse pas dire. Elle cultive un parler franc. Bien sûr, elle accueille le chaland avec le sourire, mais prenez garde à vous si vous lui faites perdre son temps ou si vous lui racontez des carabistouilles.

Derrière son comptoir, elle a toujours raison et, jamais, elle ne se gênera pour vous le dire. C’est truculent, jouissif parfois. Mais, il faut l’admettre, tout le monde n’apprécie pas de se faire sèchement remonter les bretelles quand on vient acheter un sachet de thé. À 70 ans, Jehanne n’est pas prête à décrocher. Elle veut rester en contact avec les produits qui la passionnent et les clients dont les souvenirs de contrées lointaines la font voyager. On ne peut lui donner tort. Héléna Rubinstein ne disait-elle pas « le travail acharné maintient au loin les rides de l’âme et de l’esprit » ?

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Photos : Le Petit Grand Bazar, La Pharmacie d’Outremeuse

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