Retour sur l’épopée héroïque à l’origine du nom du Pont Atlas
Hier encore connu sous le nom de pont de Coronmeuse, à l’époque où il était un fier vestige de l’Exposition internationale de Liège, le Pont Atlas a connu une histoire mouvementée et doit d’ailleurs son nom actuel à une épopée héroïque.
Ainsi que l’annonce une gravure à même la pierre du pont, malmenée par les éléments mais heureusement toujours lisible, tout commence le 3 janvier 1917 à minuit. Liège est alors sous occupation allemande depuis 1914, avec un durcissement des conditions de cette dernière à l’automne 1916 déportations d’ouvriers et de paysans liégeois à l’appui. En cette nuit de janvier, on est en plein dans ce que les historiens qualifient du « terrible hiver », témoin de l’intensification du pillage de la Belgique par l’occupant alors même qu’une crise d’approvisionnement affame la population de Liège et d’ailleurs. Prise en tenaille par l’ennemi, Liège semble soudain à mille lieues de la frontière avec Maastricht, pourtant si proche mais sévèrement gardée afin d’empêcher les Wallons de gagner la liberté, ou pire encore, rejoindre les rangs de l’armée belge. Clôtures électrisées, patrouilles militaires… gagner le Limbourg hollandais fait figure de mission impossible, mais c’est sans compter sur l’ingéniosité et la témérité de Jules Hentjens, un maître-batelier qui va mener deux expéditions héroïques à l’hiver 1916-1917.
View this post on Instagram
Audace et hardiesse
Dans un portrait fait de lui par le portail Connaître la Wallonie, ce père de trois enfants est décrit comme « réputé dans le milieu des affréteurs et des pilotes fluviaux pour son audace, son endurance et la hardiesse de ses idées ». Par exemple, celle de convaincre en décembre 1916 un batelier alsacien, Joseph Zilliox, ‘pilote bien malgré lui d’un remorqueur allemand, de transpercer les filins allemands qui traversent le fleuve et d’emmener aux Pays-Bas une petite cinquantaine de personnes » à bord de l’Anna. Une expédition qui leur sauvera la vie mais qui coûtera la sienne à Joseph Zilliox exécuté en juillet 1917 avec 7 de ses complices. Une fin tragique qui ne décourage toutefois pas Jules Hentjens, ainsi que le relate l’histoire gravée dans le Pont Atlas, qui doit son nom à sa deuxième expédition, réalisée quelques semaines après la première.
« Le 3 janvier 1917 à minuit, profitant d’une crue des eaux, partit l’Atlas V., remorqueur commandé par son capitaine Jules Hentjens, promoteur de cette expédition, qui emportait vers la Hollande outre son équipage, 103 passagers dont 94 recrues pour le front »
View this post on Instagram
« Signalé dès Argenteau, poursuivi par un auto-canot qui sombra dans son sillage, l’Atlas V éventra le pont rails de service sous Visé, arracha la chaîne et les fils électrisés formant barrière, coula un ponton monté et armé de mitrailleuses, échappa à une intense fusillade et aborda victorieusement à Eysden (Hollande) à une heure » raconte encore la brève commémorative du Pont Atlas. Qui omet de préciser le prix payé par la famille Hentjens pour ce fait d’armes, ainsi que le précise Connaître la Wallonie: en effet, « dès le matin du 4 janvier, tout Liège puis le pays wallon sont renseignés. La famille Hentjens est suspectée, l’épouse et la sœur du capitaine Hentjens seront arrêtées et condamnées à 10 et 13 ans de prison. Un des fils du capitaine, Edmond, alors bébé, vécut six mois en détention avec sa maman ».
Lire aussi: À Sainte-Walburge, la mémoire est gravée dans la porcelaine
De Coronmeuse au Pont Atlas
Fort heureusement pour eux, leur sort ne sera pas aussi funeste que celui de Joseph Zilliox et de ses complices, et de retour à Liège à la fin de la guerre, Jules Hentjens y poursuivit ses activités jusque dans les années 1930. Mort en 1938 à l’âge de 55 ans, Jules Hentjens n’aura malheureusement jamais connu le monument en hommage à son courage, le Pont Atlas ayant en effet été érigé après la Seconde Guerre Mondiale, durant laquelle le Pont de Coronmeuse fut détruit, et inauguré en 1947.
View this post on Instagram
Et il ne s’agit pas là du seul vestige de cette épopée héroïque puisque la cloche François Chaudoir, fondue à l’origine au 18e siècle pour une chapelle de Méry avant d’être placée par la société d’affrétage Gilman Frères sur son remorqueur Atlas V, a été donnée par André Gilman dans les années 60 au Sanctuaire de la Vierge des Pauvres à Banneux, où elle est toujours suspendue au mur d’angle de l’enclos Saint-Joseph, à proximité de la maison de Mariette Beco. Quand à Jules Hetjens, il repose pour la postérité au cimetière de Robermont.