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Jean de Mandeville a réalisé un hoax presque parfait - Unsplash

L’histoire fantastique de la rue Mandeville, « l’explorateur » enterré aux Guillemins et le plus vieil hoax du monde

Si les influenceurs prétendant être à l’étranger alors qu’ils sont dans leur salon font le buzz à chaque fois, ils n’ont pourtant rien inventé: des siècles avant Instagram, en 1356, Jean de Mandeville publiait son « Livre des Merveilles du Monde » relatant un voyage de 36 ans autour du globe. Problème: « l’explorateur », aujourd’hui enterré aux Guillemins, n’aurait en réalité jamais voyagé plus loin que la Terre Sainte. 

À la frontière du quartier des Guillemins et de Cointe, la rue Mandeville jouit d’une vue imprenable sur les rails et la ville en contrebas, ainsi que d’une histoire secrète aussi atypique que certaines de ses façades. C’est qu’elle ne doit pas son nom à n’importe qui mais bien à un « explorateur », ou bien un « chevalier », selon les légendes, or justement, Jean de Mandeville n’était rien si pas un conteur légendaire, et son histoire est tout bonnement incroyable.

Jean de Mandeville John Mandeville Livre des Merveilles du Monde

Tout commence aux alentours de 1300, à St Albans, dans le Hertfordshire, où « Sir John Mandeville » aurait vu le jour. Aurait? C’est que même lorsqu’il s’agit de ses jeunes années, le bougre aime enjoliver, et certains historiens lui prêtent plutôt l’identité de Jehan à la Barbe ou de Jan de Langhe, Jean de Mandeville étant un autre de ses pseudonymes et le nom de plume qu’il s’est choisi. Après avoir étudié la médecine, il part pour l’Egypte en 1322, le jour de la Saint-Michel, et disparait 34 ans durant, revenant chargé de récits, dont un, en particulier, digne d’intérêt: « Le Livre des Merveilles du Monde », un opus relatant le prétendu voyage autour de la terre de son auteur, entré dans la postérité comme le premier « best-seller » de l’Histoire, rien de moins.

Jean de Mandeville ou de Bourgogne?

Quand Jean de Mandeville revient en 1356, la peste noire vient de ravager l’Europe, et il décide, avec l’aide d’un médecin de Liège, Jehan de Bourgogne, de coucher son incroyable périple sur papier. Voyez plutôt: à l’heure où la majorité des gens ne sortent jamais de leur village, Jean de Mandeville serait allé d’Egypte en Palestine, visitant l’Inde, la Chine et l’Asie centrale dans un formidable tour du monde qui l’aurait notamment vu mercenaire au service d’un sultan et servir dans l’armée du grand khan. Il n’en fallait pas plus pour s’assurer que son livre devienne l’ouvrage le plus lu au Moyen-Âge. Sauf que tout comme l’incertitude qui plane sur le nom véritable de cet individu fantasque, au fil des années, les questions sur son périple se sont accumulées.

Jean de Mandeville John Mandeville Livre des Merveilles du Monde

Un voyage extraordinaire

Au croisement du récit de voyage et du traité savant, « Le Livre des Merveilles du Monde » emmène le lecteur à la découverte de contrées lointaines, notamment l’Extrême-Orient, alors méconnu dans une Europe qui se relève à peine d’une épidémie meurtrière. Dans la digne lignée des grands lettrés de l’époque, il fait référence à la « circumnavigation » du monde, et met en avant son propre tour… Et ceux des autres.

Car si tous les critiques s’accordent pour dire que Jean de Mandeville a bien séjourné en Egypte, d’autres étapes de son périple sont plus contestées. Ainsi, ses récits des merveilles de l’Inde, de la Chine ou encore de la Malaisie seraient en effet issus des mémoires d’Odoric de Pordenone, un des seuls voyageurs occidentaux à avoir visité l’Extrême-Orient au Moyen-Âge, tandis que ses descriptions de l’Asie seraient inspirées de celles du prince arménien Hetoum et qu’il se serait documenté sur les coutumes des Tatares non pas sur place, comme il l’affirme, mais bien dans les écrits de Giovanni da Pian del Carpine et de Vincent de Beauvais.

Autant d’emprunts et d’affabulations qui n’ont pas empêché l’ouvrage de connaître un succès fou, ses tirages atteignant des chiffres jamais vu pour l’époque, et son récit inspirant notamment nul autre que Christophe Colomb lui-même dans ses voyages.

Jean de Mandeville a réalisé un hoax presque parfait - Unsplash

Terminus aux Guillemins et arrêt pour la postérité rue Mandeville

Plus de 7 siècles après sa mort, Jean de Mandeville continue de susciter la fascination, tant pour son succès littéraire que pour le caractère fantasmagorique de son livre, et selon les historiens, Jehan de Bourgogne, le médecin liégeois qui l’aurait « aidé à compiler » ses mémoires de voyageur, ne serait autre que le véritable auteur du texte.

Louis Abry, Héraut de Liège est ainsi cité par Jean d’Outremeuse dans « Ly myreur des histors » comme ayant recueilli les confessions de Jehan de Bourgogne sur son lit de mort. Et pourtant, c’est bien le tombeau de Jean de Mandeville qui a été installé au Couvent des Guillemins, une épitaphe en latin rendant hommage à ses exploits.

« Ici repose le noble D. Jean de Mandeville, aussi appelé à la barbe, guerrier, seigneur des Champs, né en Angleterre, professeur de médecine très pieux, orateur, et bienfaiteur très généreux des nécessiteux qui, ayant fait le tour du monde, finit sa vie à Liège. L’an du Seigneur 1371, le 17e jour du mois de novembre »

Et si du couvent, démoli en 1904, il ne reste aujourd’hui plus rien, il aura toutefois donné son nom au quartier, tandis que Jean de Mandeville, lui, préside pour la postérité sur une rue de la ville. Avec vue sur les rails, comme pour mieux planifier d’autres voyages…

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Photos d’illustration: Unsplash

Pssst! C’est un de nos lecteurs, Johann, qui nous a mis sur la piste de ce fabuleux affabulateur/explorateur. Si vous nous lisez, merci, et puis à nos autres lecteurs et lectrices détenteurs d’histoires insolites, n’hésitez pas à nous les faire parvenir à l’adresse team.boulettes@gmail.com !

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.