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Témoignage d'une femme qui n'avait pas de problème d'alcool jusqu'à ce qu'elle arrête de boire - DR Boulettes Magazine

Je n’avais pas de problème d’alcool, et puis j’ai arrêté de boire

Entre Dry january et la Tournée minérale de février, le début d’année est propice à une mise au sec qui se poursuit pour certains bien au-delà du défi d’un mois. C’est notamment le cas de notre journaliste, Kathleen Wuyard-Jadot, qui a arrêté de boire de l’alcool à l’été 2023 sans savoir que cette décision s’accompagnerait d’autant de moments de joie que de déboires. 

« Je n’ai pas de problème d’alcool ». Combien de fois n’ai-je pas répété cette phrase aux débuts de ma sobriété, quand chaque nouvelle occasion sociale s’accompagnait d’une nouvelle tournée d’explications, fournies au début presque sur un ton d’excuses. Non je ne bois plus d’alcool, par choix plutôt que par obligation (« je n’ai pas de problème! ») et oui, je suis encore de bonne compagnie quand même, promis.

Curieusement, à chaque fois que j’ai dit adieu à la clope, personne n’a jamais attendu de moi la moindre justification, et cette décision a toujours été accueillie avec enthousiasme, voire même, des félicitations. Lesquelles n’étaient pas plus sollicitées que je ne m’attendais à recevoir une gommette de la part de chaque personne qui apprenait que je m’en tenais désormais aux softs. Mais tout de même, je n’avais pas imaginé que les réactions suscitées par cette décision seraient si radicalement opposées.

Arrêter de fumer: vertueux, ardu, sain, super. Arrêter de boire (sans y être contraint pour raisons de grossesse ou d’addiction): étrange, suspect, culpabilisant, pas drôle.

Comme si le tabac et l’alcool n’étaient pas deux substances extrêmement néfastes pour la santé, ainsi que des cancérogènes avérés. Comme si la liesse devait forcément s’accompagner d’une forme d’ivresse.

Avant d’arrêter de boire, « je n’avais pas de problème d’alcool », mais ainsi que j’allais vite m’en rendre compte une fois fait le choix d’une vie sobre, ça allait devenir le cadet de mes soucis. Et habiter la plus festive des Principautés n’a rien arrangé.

Plus soif

Avant d’aborder les raisons qui font qu’un jour, on décide de passer du côté soft de la force, il est en effet intéressant de procéder dans l’ordre, et de se demander pourquoi on boit.

Question que je ne m’étais jamais vraiment posée, et dont la réponse, navrante, est, à l’origine, « pour faire comme tout le monde ». Bien sûr, n’ayant pas été élevée par des Mormons, j’avais déjà siroté un verre de vin par-ci ou une coupette par-là, mais n’ayant pas non plus été élevée par des marginaux, je n’avais jamais bu à outrance, ni même bu vraiment.

Pourtant, en troisième année, le dernier jour de mes examens de Noël, j’ai suivi le mouvement et passé l’après-midi dans le Carré, à danser sur les tables en beuglant le refrain des Démons de Minuit avec dans une main, une bière, et dans l’autre, une clope. À 15 ans ! Si le fait que j’aie connu l’époque où on pouvait encore fumer dans les cafés n’est pas un indicateur suffisant de mon âge canonesque, l’effroi qui me saisit quand j’imagine les ados de 15 ans que je croise aujourd’hui (des poupons) se vautrer ainsi dans la débauche trahit définitivement ma trentaine avancée.

Boire sans se poser de questions, donc. Boire pour ne pas être reléguée dans le camp des coincés. Boire parce qu’après deux ou trois 33, les complexes et la timidité faisaient place à une effervescence assurée. Jusqu’à la fin de mes humanités, et mon départ pour l’ULB, le Carré a été une constante, en fin d’examens mais aussi, passé le cap de la 5e, en fin de semaine, quand pouvoir rester en ville jusque 20h le vendredi était la récompense ultime. Pas de questions, une réponse à tout, qu’il s’agisse de l’ambiance étouffante du foyer à la douloureuse pénibilité de devoir étudier des matières plus ou moins bien enseignées en passant par l’inconfort inhérent à l’adolescence: le Carré, et tout tournait rond, ou presque.

J’ai de la chance: je n’ai jamais basculé dans le camp de ceux pour qui la fête est devenue une fin en soi. Ce pseudo-bellâtre idiot qui, selon les rumeurs, a enchaîné tellement de délits de conduite en état d’ivresse au début de la vingtaine qu’il a été contraint de se faire implanter un Antabuse pour perdre une bonne fois pour toutes le goût de l’ébriété. Ce mec mignon et un peu indé, malin et hyper doué, qui a finalement raté une première, puis une autre, puis encore dans d’autres filières, avant de noyer définitivement tout son potentiel au fond d’un verre… Des échecs aux airs d’épouvantails, qu’on agitait pour se faire peur mais aussi se rassurer: bien sûr qu’on aimait tous la guindaille, on est Liégeois, mais pas comme eux, pas comme ça. On n’avait pas de problème d’alcool, nous.

Même si, au gré des années, il faut bien reconnaître que les gueules de bois sont devenues de plus en plus longues. Et de plus en plus pénibles, avec tendances dépressives en plus des maux de tête et de la nausée. Sur la fin, alors que je ne trinquais déjà plus que très rarement, et plus à outrance depuis longtemps, mon corps semblait lutter contre chaque molécule d’éthanol.

Au lendemain d’une soirée dans un resto où les vins étaient aussi fins que les mets, j’avais ainsi eu la surprise de me réveiller avec un visage tellement bouffi que je ressemblais à la fille cachée de Miss Piggy et d’un des jumeaux Bogdanoff. J’ai pris une photo, ricané, dégonflé, et continué à boire tout de même de temps en temps, parce qu’arrêter n’est pas si simple, même ou plutôt surtout quand on n’a « pas de problème ». J’y reviendrai.

Mais toujours est-il qu’à l’été 2023, j’ai finalement décidé que j’en avais marre. Marre de perdre des week-ends entier à pourrir dans mon lit parce que j’avais eu la riche idée de festoyer le vendredi soir. Marre de me réveiller avec une tête boursouflée à chaque fois que j’avais bu un maudit verre, et de me réveiller plusieurs fois par nuit en prime. Marre de la pâteuse, du coût émotionnel et financier de l’ébriété, marre marre marre marre MARRE.

« Je vais me lancer le défi de ne pas boire d’alcool pendant un an », que j’ai proclamé à qui voulait l’entendre, sans avoir la moindre idée de ce qui m’attendait. Ni m’attendre à ce que ma conviction profonde de n’avoir aucun problème avec l’alcool soit salement remise en question.

Ad nauseam

Parce qu’au fond, c’est quoi, « avoir un problème d’alcool » ?

Dans mon esprit, c’était avoir une addiction, ou à tout le moins, une consommation déraisonnée. Or quoi qu’une soirée typique dans le moindre bar liégeois puisse laisser penser, le fait est qu’on arrive vite à celle-ci. Déjà parce qu’ainsi que le rappelle l’OMS, aucun niveau de consommation d’alcool n’est sans danger. Mais aussi parce que si on s’en tient aux unités hebdomadaires maximales recommandées, soit 2 unités par jour en moyenne et pas plus de 10 par semaine (pas plus de 4 en une seule fois) la limite est très vite franchie.

Problème: on la franchit rarement en solo, et s’il y a bien un truc que l’ébriété apprécie, c’est la compagnie.

Or si tout le monde s’amuse, tellement bien qu’on reprend une tournée ou une bouteille, allez, dire qu’on va plutôt passer à l’eau n’est pas seulement compliqué, c’est souvent perçu comme un camouflet. De tout ce à quoi je ne m’attendais pas en rompant avec l’alcool, c’est certainement ça qui m’a le plus étonnée: ma sobriété, que je pensais pourtant être un choix personnel, était étrangement perçue aussi par nombre de mes proches comme quelque chose les concernant directement. Comprendre: si moi, je ne buvais pas, ça les impliquait eux.

« Quoi, tu ne t’amuses pas? » « Oh mais c’est trop con, c’est du super bon vin » « Ah ben on va se marrer tiens aux softs »…

Très vite, j’ai compris pourquoi un auteur local très célèbre en vient à prétendre être alcoolique, parce qu’au moins, ainsi, personne n’ose insister.

Ensemble, c’est saoûls?

Sobre, il m’a fallu une période d’adaptation pour apprendre à apprécier les soirées entourées de personnes de plus en plus éméchées, promptes à parler très fort de très près ainsi qu’à des élans d’affection très mélodramatiques (mais très drôles aussi). Il m’a fallu accepter également que sans carburant, je n’ai plus la même résistance qu’avant, et que vers 1h au plus tard, l’appel de mon lit se fait irrésistible. Et tant pis pour qui ça vexe.

Allant verres

C’est qu’à Liège, plus que partout ailleurs dans le royaume peut-être, on aime la fête. Passionnément, à la folie. À la folle ivre?

La Belgique (le monde!) nous envie notre Carré, nos célébrations sont si légendaires que le XV Août grouille de fêtards venus de partout, et quand on indique notre ville d’origine, passées les blagues hi-la-ran-tes sur notre accent, c’est souvent de l’une ou l’autre bamboche inoubliable à « Lièch‘ » (sic) qu’on nous parle.

Trop de pression dans les bars, et si, officiellement, personne ne pousse quiconque à boire, dans les faits, c’est un peu plus compliqué. Quand on se construit en associant la détente à la fête et la fête à l’ébriété (re: tous à 15 ans dans le Carré), il n’est pas simple de faire le choix d’une vie sobre sans se convaincre que ça y est, on est passé dans le camp des coincés. Pour les Liégeoises, c’est plus ardu encore, car il y a une sorte de fierté grotesque à « savoir boire ». Boire sans alcool triste, sans vomir, sans devenir déglinguée… Être one of the boys et enchaîner les blagues et les verres en se vantant de sa détente, comme s’il y avait la moindre fierté bien tenir l’alcool. Pour prendre pleine mesure du ridicule, il suffit de le remplacer par n’importe quelle autre substance addictive: « Non mais moi, je tiens super bien la marijuana/la cocaïne/l’héro ». Silence, malaise.

Après mon premier janvier sans alcool, il y a 5 ou 6 ans de ça, j’avais tellement adoré la clarté mentale et le regain d’énergie que ça m’avait apporté que j’avais décidé de persister dans cette voie. Une résolution qui avait toutefois tenu moins d’une semaine, parce que j’étais tombée dans un traquenard au Mentin, et qu’au gré des godets, j’avais fini par joyeusement glapir à une parfaite inconnue employée chez J&Joy tout le mal que je pensais de leurs polos.

Pas d’alcool triste, ni le verre vulgaire, certes, mais bien une véritable fée pompette, parfaite compagne de fête pour mes proches, et putain de plaie pour les autres, victimes de mes tirades entrecoupées de caquetages, ainsi que pour mon pauvre mari, chargé de la tâche sisyphéenne de me récupérer en fin de soirée.

C’est que si je n’avais pas de problème d’alcool, par contre, j’avais bien un petit souci vestimentaire. Vers la fin de ma période bête de fête, j’ai ainsi décidé de ne surtout plus porter de capuches les soirs de guindaille, parce que sinon, ma tendre moitié pouvait trop facilement m’attraper quand, entre 3 et 5h du matin, il me signifiait gentiment qu’il était temps de rentrer tandis que je filais à toute vitesse pour encore un peu festoyer.

Et si moi, je n’avais (on l’aura compris) pas de problème d’alcool, peut-être que mes proches, eux, en avaient un avec ma tendance à bambocher jusqu’au bout de la nuiiiiiiiiiiit (où ça où ça?), qu’il s’agisse donc de mon mari, contraint de se transformer en dresseur de diable de Tasmanie en fin de soirée, ou de ma soeur, forcée de me récupérer dans nombre de fêtes, dont une fois mémorable au Jason lors de laquelle elle a fini prise en sandwich par deux sosies de Josiane Balasko dans Gazon Maudit.

Qu’est-ce qu’on riait putain! Enfin, moi du moins. Qu’est-ce qu’on était vivants! Enfin, pas trop le lendemain. Et encore moins en voyant la trogne de Depardieu de certain(e)s de mes pairs, pour qui l’apéro est désormais un plaisir presque quotidien. Trinquer, oui, mais à quel prix? Allais-je aussi finir par ressembler à une version rougeaude et cireuse de moi-même? Comme une cocotte qui arrête la clope par peur de l’effet sur sa peau (parce que les ravages sur les poumons ça ne suffit pas), l’impact visible d’une consommation régulière passé le cap de la trentaine a achevé de me convaincre.

Ca et le fait que mon mec, Clément, est extrêmement bien nommé, mais mine de rien, jouer au chat et à la souris à chaque fin de soirée commençait un peu à tous les deux nous saoûler.

Les promesses de l’ivresse

« La sobriété m’a apporté tout ce que l’alcool m’avait promis ».

La phrase n’est pas de moi (son auteur se reconnaîtra) mais le sentiment est partagé. Je n’avais jamais vraiment questionné l’idée selon laquelle en cas de bonne nouvelle, on trinque, et puis quand ça va mal, on peut toujours boire pour oublier. Je n’avais jamais vraiment non plus interrogé la place que l’alcool prend au quotidien, entre les apéros arrosés, les bons repas avec vins accordés aux mets ou encore le petit Mimosa canaille à l’heure du brunch, parce que si on le propose, ce ne serait pas poli de refuser.

L’alcool est partout, tout le temps, et ce n’est jamais plus apparent que quand on arrête d’en consommer. Aux premières semaines de ma sobriété, j’ai dû toutefois apprendre à garder ma stupéfaction pour moi, parce que partagé avec quelqu’un qui, lui, sirote un petit verre, ce constat est immanquablement reçu comme oscillant entre le prosélytisme et la critique. Mais comment se taire quand, justement, l’absence de l’alcool apporte tellement?

Certes, je ne la fais plus jusqu’au lever du soleil, mais je ne connais jamais plus non plus de réveils douloureux, ni de fatigue insurmontable, ni de mélancolie des lendemains de veille. Si j’ai le teint rougeaud, c’est épisodique, parce que j’ai froid ou trop chaud, et tant ma peau que mon portefeuille me disent merci, parce que mine de rien, côté softs, on paie bien moins cher. Après quelques expériences douloureuses et des années de pénible reconstruction psychologique, je jouis d’un bien-être mental (presque) total, parce qu’en étant tout le temps sobre, j’ai aussi pleinement conscience de mes émotions et de leur validité. Sans hésiter, avoir opté pour la sobriété est une des meilleures décisions de ma vie.

Pour autant, arrêter de boire n’est pas sans déboires, et peut même mener à une sacrée gueule de bois sociale. Outre les questionnements plus ou moins respectueux, et les incitations plus ou moins insistantes à « juste boire un petit verre », le choix de la sobriété est aussi celui, accidentel et surprenant, de mettre fin à certaines relations. Les idées claires, sans buffer bibitif pour venir à bout d’un dîner ou d’une soirée, on réalise parfois que certaines personnes nous font décidément moins de bien que de mal. C’est difficile à avaler, mais passer par là est inévitable.

Et en ce qui me concerne, c’est un petit prix à payer pour l’apaisement que me procure la vie sans cuites.

Cul sec

En juillet 2023, j’ai décidé d’arrêter de boire de l’alcool « pendant un an ». C’était il y a plus de 18 mois, et pourtant, je n’ai jamais ressenti l’envie d’à nouveau lever le coude.

Peut-être parce qu’aucun vin, aussi exquis soit-il, ne vaut des nuits hachées, des montagnes russes sentimentales, des traits boursouflés. Peut-être aussi tout simplement parce que j’en avais marre de boire : c’était vrai en 2023, c’est toujours vrai en 2025.

J’ai toutefois la chance que ma sobriété soit choisie, pas imposée, ce qui m’a permis de m’autoriser à siroter l’une ou l’autre coupette lors des dernières fêtes de fin d’année « pour voir ». Le champagne était toujours aussi exquis que dans mes souvenirs, mais les effets de l’alcool étaient eux aussi toujours aussi pénibles. Est-ce qu’il pourra m’arriver, parfois, de marquer un moment exceptionnel avec un vin qui l’est tout autant? Qui sait.

Ce dont je suis certaine, c’est que si je persiste et sobre, c’est parce que rien ne sera jamais plus enivrant que la dernière fois où j’ai trinqué en veux-tu en voilà, la veille du jour où j’ai choisi la sobriété il y a bientôt deux ans de ça.

C’était l’été, une de ces journées aussi précieuses que rares où il faisait chaud et sec, et ce soir-là, Vive la Fête était en concert à Liège. Ainsi que le mérite le plus joyeux des groupes belges, le Reflektor bruissait d’une liesse effervescente, et Danny Mommens m’avait dit qu’il trouvait que je ressemblais à sa femme, Els.

Si on ne trinquait pas à ça, alors à quoi ?! On avait donc dûment bamboché jusqu’au lever du soleil, avant d’aller se requinquer dans la piscine immortalisée en couverture de cet article – non sans improviser au préalable une chorégraphie sur Lena de 2 Belgen en pleine ville.

C’était joyeux, drôle, imprévu, insolite. Parfait. Fallait le boire pour le croire, et savoir aussi que ce serait impossible à répliquer par après. Ce soir-là, la fête avait vraiment été plus folle avec l’alcool. Mais désormais, j’avais soif de tout ce qu’une vie sobre pouvait m’offrir.

Votre consommation d’alcool (vous) pose problème? 

À Liège, le centre thérapeutique Psy Pluriel propose un groupe thérapeutique d’alcoologie. Réseau Alcool recense pour sa part les structures d’aide dans la région. En outre, du lundi au vendredi de 8h à 22h (le jeudi de 9h30 à 13h et le samedi de 10h à 14h), Infor-Drogues vous écoute au 02 227 52 52. Ce questionnaire vous permet également de faire le point sur votre consommation.

Et si vous avez soif de softs, lisez donc l’article de Colin sur Losmoz, le bar liégeois qui fait le pari du sans-alcool.

 

 

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.