Quatre Liégeois racontent ceux que le COVID leur a pris
Si, aux quatre coins du pays, on célèbre la fin annoncée des mesures sanitaires entamées il y a deux ans, pour nombre de nos concitoyens, le coeur n’est pas à la fête. Car en deux ans, la pandémie de COVID aura infecté 3.590.000 personnes et fauché 30.259 d’entre elles en Belgique selon les derniers chiffres officiels.
30.259 victimes qui ne sont pas une simple statistique mais autant de vies volées, celles des enfants et/ou des parents de quelqu’un, du ou de la collègue que tout le monde adorait au boulot, de cette personne qui avait toujours un sourire pour le voisinage, de maris, de femmes, de frères, de soeurs, de grands-parents. Si on additionne toutes les histoires interrompues, parfois dans la force de l’âge, des six millions de vies qu’a pris le COVID dans le monde, il y a de quoi avoir le tournis, et pourtant, tant en hommage aux victimes qu’en soutien aux proches laissés derrière elles, le travail de mémoire est important, et contribue à rendre un visage humain à un virus qui a fauché tant de vies.
Pour Boulettes Magazine, à l’approche des deux ans du premier confinement, quatre personnes qui ont perdu un·e proche du COVID racontent celles et ceux que le Coronavirus leur a pris. Ils s’appelaient Marie, Charles, Emilio et Miklos, leurs proches ne les oublieront pas, et leur mémoire vivra désormais un peu ici aussi.
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Claudia a perdu sa grand-mère, Marie
« Ma grand-mère maternelle s’appellait Marie De Lourdes D’Oliveira, mais mes frères et moi l’appelions Vovó, qui signifie « mamy » en portugais. Elle est née à N’Cuto, au Congo, le 4 décembre 1926 et décédée en février dernier à l’âge de 95 ans et 2 mois. Même si elle habitait à Mons et moi, à Liège, jusqu’à 80 ans passés elle prenait le train pour nous rendre visite, et a donc connu l’ancienne et la nouvelle gare des Guillemins. Malheureusement, elle ne connaîtra pas la nouvelle gare de Mons, en travaux depuis 10 ans », sourit celle qui bien que sa grand-mère, « croyante et pratiquante », ait fait son dernier voyage dans le respect de ses convictions, tenait à « lui rendre hommage à ma sauce … Liégeoise, bien sûr ». C’est que Marie était le genre de femmes qu’on n’oublie pas.
« Plus que ma grand-mère, c’était une mère pour moi. Même si elle a toujours exercé des jobs alimentaires, sa vocation était avant tout d’être la maman de tous ceux qu’elle croisait. Pour ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, arrière arrière petits-enfants et tous les autres enfants qu’elle rencontrait: tous se souviennent d’elle comme d’une maman bienveillante et généreuse, qui veillait toujours à ce que l’on ne manque de rien. Elle n’avait pas de grands moyens financiers mais elle savait aimer comme personne et alors même qu’elle avait une petite pension, je me souviendrai toujours qu’elle insistait toujours pour nous offrir un paquet de biscuits. Parce que pour elle, l’amour passait par l’estomac et elle répétait toujours que « s’il y a assez pour deux, il y a assez pour dix » Elle ne laissait jamais quelqu’un l’assiette vide ».
« Mais plus tard, ce fût trop tard. Je n’ai pas pu lui dire au revoir mais j’ai pu la voir le jour de son décès à l’hôpital. Je ne suis pas prête d’oublier cette Saint-Valentin là. Elle n’était pas joyeuse mais pleine d’amour, et en famille restreinte, nous nous sommes retrouvés dans cette chambre ensoleillée autour de son corps paisible et encore tiède. Nous nous sommes dit que c’était une chance de pouvoir l’embrasser sur le front une dernière fois, toucher sa peau qui a tout vécu avec elle, sentir son parfum et la douceur de ses cheveux, de voir son visage qui s’était trop inquiété détendu comme dans sourire, d’entendre sa chanson préférée chantée à son chevet par ses filles dont ma maman ».
« J’ai perdu mes deux grands-pères en trois semaines de temps en octobre 2020. Mon grand-père paternel, Charles Latour, est né sur l’île de Rodrigues, près de l’île Maurice, et est arrivé en Belgique dans les années 60 pour travailler comme électricien chez Cockerill. Adulte, je suis devenu à mon tour ouvrier dans le bassin liégeois, ce qui n’a fait que renforcer encore le lien très fort que j’entretenais avec lui. Quand j’ai appris qu’il avait attrapé le COVID dans le centre de revalidation où il était suite à une opération, je venais de perdre mon autre grand-père, fauché par le Coronavirus, mais j’étais confiant que lui s’en sortirait car malgré ses 84 ans, il allait encore régulièrement à la salle de sport ou bien marcher sur la piste d’athlétisme de Seraing » se souvient Romain. Dont l’espoir aura malheureusement été vain.
« J’ai appris qu’il allait mourir deux semaines plus tard, quand les médecins nous ont prévenus qu’ils allaient arrêter l’oxygène et lui injecter de la morphine pour qu’il parte sans souffrir. Je n’ai pas pu lui dire au revoir, à aucun de mes grands-pères d’ailleurs, et je le vis très mal, j’ai mis beaucoup de temps à réaliser qu’ils n’étaient plus là ».
« C’était quelqu’un qui avait le coeur sur la main, qui aimait toute sa famille et qui était toujours de très bon conseil. C’est comme si j’avais perdu un guide, et aujourd’hui, c’est moi qui suis un peu perdu: le monde a perdu plein de belles personnes durant la pandémie, et c’est important de leur accorder l’intérêt qu’elles méritent« .
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Paola a perdu son papa, Emilio
« Je suis née avec un héros à mes côtés, quelqu’un qui m’a accompagnée et soutenue tout au long de sa vie, mon papa, Emilio Pantalone. Pour moi, il était invincible, immortel même, le pilier de la famille, mais tout a basculé quelques semaines avant que le premier confinement ne soit déclaré en Belgique. Un malheureux accident de jardinage fait que mon papa a dû être opéré en février 2020, une opération qui s’est bien déroulée, mais après quelques semaines de convalescence est venue l’heure de la visite de contrôle, et à ce moment-là, la panique autour de la pandémie avait commencé en Belgique. Comme ma maman à la sclérose en plaques et avait très peur de l’attraper, elle a appelé l’hôpital pour savoir si la visite était vraiment obligatoire, vu le danger de contagion, et on lui a presque ri au nez en lui disant qu’il n’y avait aucun risque. Malheureusement, deux semaines après cette maudite visite de contrôle, il a commencé à se sentir fébrile et affaibli et son état se détériorant, il a fallu l’hospitaliser. Pour limiter la contagion, il était revêtu d’une petite combinaison comme celle d’un astronaute qui s’apprête à aller voir les étoiles de plus près, et malheureusement, c’est bien ce qui est arrivé à papa quelques jours plus tard, il est parti au ciel comme on dit » se souvient Paola, qui veille à garder le souvenir de l’homme exceptionnel que son père était.
« Il avait 68 ans et c’était un travailleur acharné qui s’est démené toute sa vie pour nous offrir tout ce qu’on voulait maman, ma soeur et moi. Il était arrivé en Belgique à l’âge de 8-9 ans depuis la région de Guardiagrele, dans les Abruzzes, et il était très fier de ses origines, surtout quand il y avait la Coupe du Monde de foot » sourit Paola.
« Papa n’avait pas toujours eu la vie facile, ce qui lui avait inculqué la valeur des choses mais aussi de la vie elle-même, et cela pouvait parfois le rendre un peu dur. Je le taquinais en lui disant qu’il était vieux jeu et devrait se mettre à la page, mais c’était aussi et surtout un papa incroyablement présent, qui nous a toujours aidé quand la vie nous jouait des mauvais tours. Avec ma soeur, on savait qu’on n’était jamais seules et que tant que papa était là, il y avait des solutions à tout ».
« Il était très aimé de sa famille, mais de ses amis aussi, parce que c’était toujours le premier à rendre service, et avec le sourire qui plus est. C’était quelqu’un de très manuel, qui pouvait vous aider dans tous les domaines, parce que s’il ne s’y connaissait pas, sa curiosité faisait qu’il savait très vite se débrouiller. Deux ans avant sa mort, sa petite-fille, Thaya, a vu le jour, et elle est devenue une de ses raisons de vivre: le papa parfois dur qu’on avait connu s’est transformé en véritable Nonno gâteau. Papa était une force de la nature, et quand l’hôpital nous a appelées pour nous dire que ses organes étaient en train de lâcher et que son corps était « comme un château de cartes en train de s’effondrer », j’ai eu beaucoup de mal à accepter que mon héros invincible s’apprêtait à rendre les armes. Mon monde s’est écroulé, mais j’ai dû rester forte pour ma maman et ma soeur, même si le fait que papa soit parti seul, sans qu’on puisse aller le voir, est une plaie qui ne guérira jamais. Mon papounet nous manquera à tous à tout jamais, mais partager ce témoignage est une manière pour moi, ma soeur, maman et sa petite-fille de lui rendre un hommage amplement mérité. Il n’était pas parfait, certes, mais personne ne l’est. C’était un homme bon, droit, courageux et aimé et c’est comme ça que j’aimerais qu’on se souvienne de lui« .
Elisabeth a perdu son papa, Miklos
« Mon papa s’appelait Miklos Hosszú, il avait 71 ans et c’était un musicien de talent, « un artiste » comme il aimait se décrire. Il jouait de la contrebasse à l’orchestre philharmonique de Liège, mais aussi de la guitare et du cimbalom, un instrument typique de sa Hongrie natale. Né à Budapest, il a quitté la Hongrie à 15 ans pour la Belgique et il a dû tout apprendre sur place: la langue, les coutumes du pays… Il a travaillé dur dès son plus jeune âge, et son travail a payé puisqu’il a remporté le concours reine Elisabeth section contrebasse à l’âge de 20 ans seulement » raconte Elisabeth, pas peu fière de ce papa dont elle admirait « la persévérance. C’est quelqu’un qui allait aux bouts des souffles, un vrai battant qui l’est resté jusqu’à son dernier souffle. Il faisait toujours des blagues ou des jeux de mots sur tout, d’ailleurs, je n’ai pas mémoire d’avoir vu mon père morose ou dépressif. Il avait toujours la joie de vivre ».
« On appris qu’il avait le COVID juste après son anniversaire: le 26 octobre 2020, on a célébré ses 70 ans en petit comité, en famille, mais malheureusement, suite à ça, nous avons tous contracté le Coronavirus. Mon père était le plus atteint: je ne l’ai jamais vu dans un état de faiblesse pareil, même s’il avait tendance à vouloir minimiser la gravité de son état, à dire qu’il allait bien, juste un peu fatigué. Mais on voyait bien qu’il s’affaiblissait de jour en jour, qu’il ne savait plus ni s’habiller ni manger tout seul, donc on a pris la décision de l’amener à l’hôpital. Je n’oublierai jamais le choc de voir qu’il ne savait pas répondre son nom ni sa date de naissance à l’infirmière qui les lui demandait tellement il était malade et perturbé »
« Je n’ai toutefois pris conscience de la gravité de la situation que quand on a eu un appel de l’hôpital pour nous prévenir que papa avait une pneumonie mais qu’on avait décelé en outre une tache préoccupante sur ses poumons, qui s’est avérée être la marque d’un cancer de Type 2. D’une certaine manière, c’est grâce au COVID qu’on l’a décelé, mais même une fois « guéri » du Coronavirus, papa n’a plus jamais été aussi fort et vaillant qu’avant. Il avait beau essayer de donner le change, il était vite essoufflé, et le 3 décembre dernier, il se sentait tellement mal qu’on l’a ramené à l’hôpital, où on a découvert qu’il avait une fois de plus contracté le COVID. Avec les chimios, son système immunitaire était très affaibli, et il a dû rester hospitalisé plusieurs semaines. Même si c’était interdit par les mesures sanitaires à l’époque, vu la gravité de son état, on avait obtenu une dérogation pour pouvoir lui rendre visite tous les jours, et on se relayait avec mes frères et soeurs pour dormir sur la petite banquette de sa chambre car la nuit il avait des crises de panique et il ne se rappelait plus pourquoi il était hospitalisé. On faisait très attention, on avait toujours un FFP2 sur le visage, même si j’aurais préféré qu’il nous voie sourire, mais on se débrouillait pour atténuer sa douleur autrement. Jusqu’au jour où l’hôpital l’a autorisé à rentrer à la maison pour partir comme il le souhaitait, tout en douceur ».
« Si j’ai choisi de partager son histoire, c’est aussi pour conscientiser sur le cancer, les recherches et imageries faites en raison du COVID ayant permis d’en diagnostiquer suffisamment pour qu’on parle « d’inflation du cancer ». La pandémie a rendu le traitement de cette maladie encore plus complexe, entre la difficulté de pouvoir obtenir une visite, la peur de contaminer un proche… Autant de difficultés auxquelles s’ajoutent celles que rencontrent le personnel médical: en allant voir papa tous les jours, on a pris conscience d’à quel point le personnel hospitalier est peu nombreux et dépassé. Heureusement, nous étions là pour papa s’il avait faim, soif, ou d’autres besoins, mais d’autres patients n’ont pas cette chance et sont isolés et on les entendait pleurer ou hurler à l’aide. Même quand les soins sont de qualité, les murs d’un hôpital sont imprégnés de cette solitude et de la peur de mourir, y rendre son dernier soupir a quelque chose d’affreusement inhumain ».