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L’impact de #metoo sur la drague à Liège

Trois ans après la relance internationale du mouvement #metoo qui vise à rendre compte de l’ampleur et de la récurrence des violences sexuelles, Boulettes Magazine a voulu prendre la température dans notre belle Cité ardente. Nous avons demandé à cinq Liégeois.es, âgés entre 22 et 26 ans, s’ils ressentaient un impact sur la façon d’aborder la drague.

Comment vivez-vous la drague à Liège ? Avez-vous l’impression que les pratiques évoluent ?

Elena : Je pense que le mouvement #metoo n’a pas atteint tout le monde. Il a surtout touché les gens qui étaient déjà conscientisés sur le sujet, ou qui étaient déjà dans des cercles où on réfléchissait à ce genre de choses, à ce que ça fait d’être un homme ou une femme… Je veux dire, il y a des milieux ou on a autre chose à faire que penser à ça. Personellement, je me fais autant « arrêter » dans la rue qu’avant, avec des petites phrases désagréables ou insultes. Dans la majorité des contextes, ça n’a pas changé grand-chose. Dans le Carré, tu vas toujours avoir des gens lourds qui vont venir te parler et d’autres timides qui vont faire la fête dans leur coin. Puis quand tu discutes avec les gens, tu te rends compte que pour certains, ça a entraîné une prise de conscience. Mais je pense que ce n’est pas parce que tu t’es rendu compte que tu peux ou veux changer tes comportements…

Selon toi, où est la limite à ne pas franchir, celle qui fait basculer dans le harcèlement ?

Elena : À partir du moment où quelqu’un me dérange pour me draguer alors que ce n’est clairement pas le moment, ou alors que j’ai clairement dit que je n’étais pas intéressée. Y a deux semaines, je marchais dans la rue et un type a carrément mis son bras devant moi pour m’arrêter et me parler, alors que j’avais mes écouteurs. Ou alors, dans les contextes plus festifs, quand quelqu’un se montre insistant alors que tu as clairement dit ou montré que tu ne voulais pas.

Si tu danses et que quelqu’un que tu ne connais pas vient danser collé-serré derrière toi… c’est limite.

Violette : Moi, j’ai de la chance. Je n’ai jamais eu de gros problèmes de drague. Par contre, et je ne sais pas si je m’en rends compte après #metoo ou si ça vient des mecs qui ont pris conscience, j’ai remarqué que dans mes relations, on me demandait plus souvent « Est-ce que ça va ? Tu es d’accord ? ». Et ça, je ne sais pas si on le faisait avant. En tout cas, depuis #metoo, je remarque que les mecs s’intéressent au fait de savoir si je suis d’accord, si j’ai envie de faire autre chose. Ils savent mieux que je ne suis pas obligée de me plier à leurs attentes.

Elena : Je pense que ça peut être lié à #metoo, mais parfois, notre expérience, notre âge, notre maturité font qu’on évolue aussi. C’est certainement un mélange des deux. En grandissant, tu te construis, mais tu te construis dans un contexte où on parle de ça.

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Les garçons, est-ce que ça vous est déjà arrivé de percevoir un signal « stop » de la part d’une fille ?

Joseph : Moi, personnellement, non. Ça fait un an que j’habite à Liège sans mes parents, donc auparavant je n’étais pas vraiment dans l’optique de ramener quelqu’un. Depuis que je vis seul, j’ai eu plus d’occasions d’aller en soirées, mais je n’ai jamais eu ce problème : il y a toujours eu un véritable consentement avec les filles que j’ai ramenées.

Violette : J’aime bien le « Moi, les filles ne me disent pas non » (rire)

Joseph : Non, non ! Mais c’est juste que les fois où j’ai ramené des filles chez moi, il y avait une vraie envie de part et d’autre.

Violette : Donc tu sais reconnaître quand les filles sont intéressées ou pas ?

Joseph : Je ne sais pas si je sais vraiment reconnaître. Il y a eu trop peu de fois pour pouvoir l’affirmer. Je peux seulement dire que j’ai vraiment fait attention en posant la question : « Est-ce que tu veux revenir chez moi ? », puis je me suis laissé faire comme un grand et ça s’est bien passé ! Une autre fois, c’est la fille en question qui m’a proposé de rentrer chez elle. Après, il y a eu d’autres expériences de vie qui ont rendu ça un peu… différent.

Je sais très bien que les comportements que j’ai en soirées depuis #metoo ne sont plus les mêmes. On était peut-être plus insistants au niveau du regard, plus à « chercher ». Maintenant, je suis plus dans l’idée de laisser faire les choses.

Pour toi, il y a donc bien eu un effet #metoo ?

Joseph : En tant qu’homme, ça nous a ouvert les yeux sur plein de choses qui nous paraissaient anecdotiques, voire inexistantes, parce qu’on n’avait pas cette perception-là. Ça m’a permis de prendre du recul sur ce que j’ai vraiment fait et à quel moment j’ai dépassé des limites qui pour moi n’en étaient pas…

Elena : Mais du coup, tu parles de quels comportements qui ont changé ?

Joseph : C’est plutôt dans le cadre d’une relation de couple, je dirais. Il y avait des attentes à certains moments que je poussais trop loin, dans le sens où « tu es ma copine, on a passé une bonne soirée, c’est normal qu’on finisse par ça ». Alors qu’en fait, pas du tout. Je ne suis pas en droit d’avoir ça. C’est le genre de choses dont je me rends compte seulement maintenant. En fait, la majorité des femmes subissent ça.

Mais nous, les hommes, on a du mal à réaliser parce qu’on nous a éduqués à « préparer le terrain » pour pouvoir « conclure »… 

C’est comme ça que je percevais les choses avant d’apprendre au fur et à mesure, grâce à #metoo, mais aussi suite à différentes relations et discussions. Ça m’a énervé, au début, qu’on parle de « tous les hommes ». Maintenant j’ai pris le temps de me calmer et d’y réfléchir, et je comprends que tous les hommes, d’une certaine manière, participent à ça.

Elena : C’est sociétal, en fait, ce n’est pas toi en particulier.

Violette : Le truc de NotAllMen, c’est qu’y a des gens très bien qui disent « Ben non, moi je ne fais pas partie du problème », mais en fait, si. Même les femmes font partie du problème. On a tous des comportements biaisés par notre éducation et notre conditionnement qui nourrissent la culture du viol.

Elena : Puis, dire « oui, mais pas moi », ça ne nourrit pas vraiment le débat ! Heureusement que tous les mecs ne sont pas des connards !

Joseph : Le truc que j’ai retenu, c’est « je ne suis pas coupable mais je suis responsable ». Je suis responsable de mon comportement et de celui des autres hommes qui n’ont pas une façon de faire adéquate. Quand j’en vois, je me dois d’agir. Chose qui n’est pas facile du tout, quand ce sont tes amis, tes proches, ta famille, etc. Parfois, tu ne sais pas si les gens sont dans l’humour ou pas. On parle souvent de gris, et pas que de noir et de blanc, mais le problème c’est que dans ce cadre, tout ce qui est gris est devenu du noir.

« Juste une blague misogyne », ça ne passe plus, parce que ça entretient non seulement la culture du viol, mais aussi des préjugés sur les femmes et les hommes.

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Jeanne : Je suis d’accord. En ce moment, il n’y a pas de gris. Je pense que c’est parce qu’on est la génération qui vit et fait vivre le débat. Il y a un moment d’adaptation qui est en train de se faire. Un jour, on pourra arriver à du gris et refaire des blagues, mais des blagues qui auront été muries et pensées autrement, qui concerneront à la fois les femmes et les hommes. Pour le moment, il y a toujours quelqu’un pour se vexer de quelque chose… et à raison. On vit à la fois la discrimination de genre et la progression, l’adaptation.

Violette : Il y a des toutes petites choses qui nourrissent des choses plus grandes, qui sont le vrai problème. Mon père me disait dernièrement qu’il y avait des « gradations » dans les agressions sexuelles, et ça me révoltait. Il me disait qu’une main aux fesses n’était pas aussi grave qu’un viol. Mais tant que ce sera banalisé, il faudra la condamner aussi durement que n’importe quelle autre agression sexuelle. Si on laisse une zone de gris, on n’arrive jamais à casser la spirale.

Martial : Mais est-ce que ce type de discours, très dur, favorise véritablement la pédagogie ? La plupart des discours auxquels j’ai eu accès dernièrement dans la thématique féministe sont des discours très forts. Je suis d’accord avec les idées de base, mais personnellement, je n’ai pris conscience de la problématique que récemment. Plus ou moins en même temps que #metoo, mais pas forcément par lui-même : plutôt en étant en contact avec des gens qui eux étaient nourris de ce mouvement-là. Et c’est hyper difficile, en tant qu’homme, de conscientiser toutes ces petites choses, parce que comme vous dites, elles sont inscrites « sociétalement »… Bon, évidemment, une main aux fesses, c’est évident que c’est sexiste. Mais à côté de cela, certains comportements peuvent être nourris par cette éducation patriarcale. C’est parfois plus difficile d’en prendre conscience. Cela demande beaucoup d’efforts. Mais je suis d’avis que tout le monde devrait le faire.

Tout ceci fait penser à la fameuse « Lettre à mes sœurs » si polémique de Félix Radu et aux réactions qu’elle a entraînées…

Violette : Oui, dans le discours radical, il y a beaucoup d’émotivité, à laquelle les hommes ne s’identifient pas forcément. Donc ils ont du mal à rationnaliser ce discours…

Martial : C’est ça. C’est difficile de vivre ça à travers son expérience propre. Depuis le mouvement #metoo et depuis que j’ai commencé à penser à tout ça, je me suis rendu compte qu’il y avait un véritable problème qui était vécu quotidiennement par les femmes et plus généralement les minorités. Mais dans ma réalité, ça n’existe pas.

Elena : Homme, hétéro, cisgenre, blanc (rire)

Martial : Je le sais ! Mais c’est ce que je dis. Ce n’est pas parce que je le sais que ça rend la prise de conscience des petites choses plus facile. Mais il n’y a plus le choix, maintenant : il faut lire. Il faut se renseigner, lire des témoignages, des essais. Mais c’est une démarche qui ne va pas être entreprise par tous.

En tant que femmes, qu’attendez-vous maintenant des hommes dans ce combat ?

Violette : Si déjà toi, sur ta personne, tu fais le taff, les choses vont changer. On ne demande pas aux hommes de faire des colloques. Tu n’es pas légitime pour expliquer aux femmes ce qu’est le féminisme, mais tu es légitime pour éduquer les hommes de ton entourage. Tu es légitime quand tu ne parles pas à la place des autres, quand tu parles de ton histoire et ton raisonnement. Tu peux amener des solutions concrètes pour les hommes !

Elena : À petite échelle, tu es légitime ! Les hommes peuvent parler de leur point de vue, du fait que c’est aussi un problème d’homme, avec notamment la masculinité toxique. Ils peuvent rapporter des propos de femmes pour parler du féminisme, ou lire une chronique de quelqu’un d’autre.

Violette : Moi, je pense vraiment qu’il y a une place pour eux là-dedans.

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Diplômée en langues et lettres françaises et romanes, Mathilde ne se voyait pas du tout prof de français. Son dada, à elle, c'est la rédaction. Elle a rejoint l'équipe déjantée de Boulettes début 2020 et compte y rester jusqu'à ce que la mort les sépare.