Louise Kopij tire sa révérence, sans tabou
Louise Kopij, c’est cette artiste liégeoise qui a été l’une de premières à proposer des boucles d’oreilles asymétriques. Ses bijoux ont été portés notamment par Lou Doillon, les chanteuses de Brigitte ou Beverley Jo Scott. Pourtant, après douze ans à créer et embellir la vie des autres avec ses créations, Louise a décidé de tourner la page. C’est avec beaucoup de sérénité, de réflexion sur le système en place et d’autocritique qu’elle a décidé de parler à Boulettes de son expérience.
À 13 ans, Louise commençait déjà à créer ses premiers vêtements. C’est avant tout la communication primitive qui l’intéresse, le rapport au corps que traduit la tenue vestimentaire, les barrières que l’on se met et les limites que l’on se sent prêt à franchir. Aux études, son approche artistique ne cadrait pas avec les exigences de ses professeurs de stylisme, qui trouvaient généralement ses créations hors sujet. Elle décide donc d’abandonner l’école après deux ans de déception et passe par une phase durant laquelle elle ne fait rien.
Le jour où elle tombe malade – suffisamment malade pour penser ne pas pouvoir en sortir – un déclic s’opère. L’urgence de vivre, de profiter de la vie, la pousse à réfléchir et à se remettre à créer. Six mois plus tard, sa première exposition (‘Try me’) voit le jour.
Louise Kopij a 20 ans, envie de tout faire péter et fait fondre des Barbies pour aborder des thèmes politiques.
Rapidement, Louise participe à un défilé au Sablon, chez un galeriste au look qu’elle décrit comme celui d’un « vieux Dracula ». Il détecte du talent chez elle ; elle y va au culot et crée quatre ensembles de lingerie et des bijoux. C’est son premier contact avec la joaillerie et avec la lingerie.
Black n Gold (photo; Christophe Bustin Make up: Jerome Joway Modèle: Taisa Nunes)
La création à l’épreuve de la réglementation
À cette époque, son obsession est de créer pour gagner sa vie. Les cadres administratifs et légaux sont une réalité intangible qui passe au second plan. Pour Louise, l’apprentissage est parfois douloureux et, comme dans un labyrinthe, elle doit se fracasser la tête à plusieurs reprises avant de commencer à comprendre comment vivre et être créative ; se faire payer pour exprimer sa créativité et non le contraire.
Pour devenir entrepreneur-salariée, Louise s’inscrit à la SMART, même si elle regrette le fait que concrètement, cela revient à verser 77% de l’argent généré.
Par manque de compréhension du système, elle accouche d’ailleurs de sa première fille sur fonds propres après avoir perdu ses droits sociaux sans même s’en rendre compte.
Elle s’essaye également au statut d’indépendant, mais cette fois, l’essentiel de ce qu’elle gagne passe dans le paiement de ses droits sociaux et in fine elle n’arrive plus à payer son loyer.
En bonne autodidacte, Louise Kopij le reconnaît volontiers : elle a souvent besoin de se casser la figure pour comprendre. C’est de cette façon qu’elle teste de nouvelles techniques de création. C’est aussi de cette manière qu’elle a compris que son mode de fonctionnement ne lui permettait plus de vivre décemment. Elle est d’ailleurs consciente de sa dépendance. Des chèques repas offerts, une paire de chaussures achetées par sa mère, des loyers payés par son compagnon… Louise n’a d’autre choix que de devoir s’appuyer sur son entourage pour s’en sortir.
Dans son activité, Louise fait face à un paradoxe : monter des expos internationales, générer de l’emploi et de ne pas être capable de sécuriser ses droits sociaux.
Einsetein’s ring (photo : Lightness Studio)
De filles en aiguilles
L’arrivée de ses deux filles a été un autre déclic. Alors qu’elle se jette corps et âme dans son activité, Louise découvre petit à petit qu’elle n’a plus de vie privée. Or, Louise se découvre aussi maman. Une maman qui se veut très investie, qui souhaite voir ses enfants le matin et le soir et laisser ses nouvelles pépites rythmer son quotidien. Son temps cérébral se partage désormais entre enfants et travail, mais elle n’en prend pas directement la mesure. Louise continue à s’astreindre les mêmes exigences qu’auparavant, alors qu’elle ne consacre dorénavant plus que 30 heures par semaine à son activité professionnelle. Sa dyscalculie rend la situation encore plus complexe, car financièrement, elle ne peut plus se permettre de déléguer à d’autres les aspects administratifs de son activité. Sa réalité d’artiste s’effriter progressivement.
« Tout donner à son entreprise semble parfois égoïste de l’extérieur, mais on s’oublie en tant qu’être humain, on ne tient pas compte de sa fatigue. Et tu perds beaucoup d’amis à force de ne pas faire suffisamment attention à eux » explique Louise Kopij.
Louise se rend compte qu’elle n’est plus heureuse. Vivre avec 400 euros par mois depuis plusieurs années n’est humainement plus possible. Sur une pièce vendue 120 euros, elle recevra 48 euros lors d’un achat direct en magasin et 84 euros sur un dépôt. Un montant dont il faut encore déduire les invendus. Là-dessus, elle doit encore payer les frais de production, le temps de travail, les emballages, la TVA et les charges sociales. Pour s’autoriser des employés, il faudrait au moins qu’elle double son chiffre d’affaires.
En souhaitant être accessible au plus grand nombre, c’est à elle-même que Louise Kopij a fini par devenir inaccessible. Elle s’est également rendue compte que vendre de l’artisanat à 30-40 euros la pièce n’était pas possible, ou alors sans travail de la matière.
Ligne indienne (photo; Melanie Nizette, Make up: Lean Doryn Modèle: Morgane Ahn)
Prise de conscience
Pour survivre, Louise Kopij doit se résoudre à mettre fin à son activité. Aujourd’hui, elle arrive à parler de ce qu’elle a vécu avec sérénité. Parler de la gentillesse des gens à son égard et de l’image sociale positive que l’on renvoie lorsque l’on est une créatrice reconnue. Lorsqu’elle pense à son parcours, Louise n’a pas de regret. Elle voit cette expérience comme une sélection naturelle à laquelle elle n’a, cette fois-ci, pas survécu.
« Ce n’est pas la qualité du produit qui compte, mais la capacité d’adaptation au système », Louise Kopij
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Pour l’interview, Louise parcourt avec nous les collections qui l’ont marquée. Les Aiguilles d’horloge d’abord, qui ont lancé sa gamme de boucles d’oreille asymétriques. Elle se souvient avec nostalgie de cette personne qui s’est jetée sur une paire alors qu’elle présentait pour la première fois sa collection chez Loula Bee, son premier revendeur liégeois, et du sentiment qu’elle avait eu à l’époque d’avoir « trouvé sa petite robe noire ». Elle se rappelle aussi La Ligne indienne grâce à laquelle elle a étudié la théorie du genre et le panthéon hindouiste ; l’Einstein ring et le test des matières ; le Jardin antérieur qui lui a permis de dépasser ses limites techniques ; la ligne Balance et l’étude physique pour trouver un équilibre et arriver à faire tomber la boucle comme elle l’imaginait. Enfin elle se remémore la ligne Black and Gold, qui lui a permis d’avoir un véritable travail d’équipe, de proposer un concept et de le voir fleurir autour d’elle dans l’esprit d’autres personnes.
Louise voyait chaque collection comme une espèce d’unité tripartite entre le développement d’un thème, la recherche technique et le côté commercial.
De toutes ces années d’expérience, Louise Kopij retire une fascination pour la création d’images et souhaite dorénavant se concentrer sur cet aspect. Elle ne peut pas imaginer ne plus créer de bijoux. Il s’agit du langage automatique de ses mains et elle ne souhaite pas perdre la technique acquise si chèrement. Ses créations, elle les imagine cependant plutôt sous format de collections capsules ou de projets haute couture.
L’interview se termine avec une Louise Kopij qui emmerde Wonder Woman, « cet Alien qui arrête les tanks avec ses dents » et dénonce la pression sur les femmes vis-à-vis desquelles les exigences de réussite se multiplient : les jambes épilées, la vie sexuelle, l’éducation des enfants, le boulot, etc.
Louise termine aussi en remerciant tous les gens et les clients qui l’ont entourée au cours des dernières années. Pour l’avenir, elle a des projets plein la tête. Elle souhaite apporter sa créativité et sa connaissance dans le développement de visuels, mais aussi vendre des formations pour les shootings et la direction d’image de marque. Et puis passer son permis et arrêter de fumer aussi. Une envie forte de se respecter à nouveau, pour pouvoir prendre soin d’elle et des siens. Et de ses idées bien entendu.
Crédits: Jardin antérieur (photo; Idrisse Iadara, Pierre : Simon Somma) ; Black n Gold (photo; Christophe Bustin Make up: Jerome Joway Modèle: Taisa Nunes), Einsetein’s ring (photo : Lightness Studio), Ligne indienne (photo; Melanie Nizette, Make up: Lean Doryn Modèle: Morgane Ahn)
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