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Apps de tracking, le point avec un ingé’ informaticien

Outil de contrôle de la vie privée, vecteur de restriction des libertés individuelles ou œuvre de prévention, les apps de tracking génèrent de fortes appréhensions chez les citoyens. Des craintes fantasmées ou avérées ? On fait le point avec Raphaël Javaux, ingénieur informaticien actif dans le secteur de la santé, qui a récemment développé sa propre application de tracking open source.

Il y a de ça plusieurs semaines, quand apparaît le débat sur les applications smartphone de tracking du covid-19, Raphaël décide de se lancer lui aussi dans la bataille. Peu lui importe alors s’il fait office de David du numérique face aux Goliath du web. Pour lui, c’est l’occasion de relever un double défi technique : prouver qu’on peut développer un système de tracking anonyme et open source et démontrer que ce n’est pas compliqué. Une cinquantaine d’heures de développement plus tard, le tour était joué, avec une application sobrement intitulée Covidtracer. Pourquoi dès lors un tel remue-ménage médiatique ?

En quoi consiste le tracking ?

Pour Raphaël tout a commencé avec le projet du gouvernement de Singapour, qui a en premier développé une application de tracking. Le principe est le suivant : votre smartphone enregistre les personnes que vous croisez en rue. Si vous êtes ensuite testé positif au covid-19, une notification est envoyée à l’ensemble des personnes que vous avez croisé pour les informer du contact potentiel. Averties, ces personnes sont invitées à se faire tester et bénéficient éventuellement d’un accès prioritaire. Et vice-versa.

Pour Raphaël, le problème d’une telle approche, c’est qu’elle implique que les personnes infectées aussi bien que les personnes croisées peuvent être identifiées par les pouvoirs publics à partir de leur numéro de téléphone.

Comme l’explique Raphaël, « ce n’est donc pas pleinement anonyme, même s’il n’y a que le gouvernement qui a accès à ces informations. Ça voudrait dire qu’à partir de l’app, on peut retracer l’historique des rencontres d’une personne sur plusieurs journées. C’est l’approche qui est retenue à Singapour, en France, au Royaume-Uni ou en Australie ».

Un pas qu’ont refusé de franchir les Suisses et les Allemands, qui s’inscrivent dans une ligne similaire à celle de l’application développée conjointement par Apple et Google (plus d’infos sur l’approche germano-suisse ici). « Le principe est similaire, nous confie Raphaël, mais ici, l’identification se fait par Bluetooth et à partir d’un numéro anonyme renouvelé toutes les 15 minutes. Si on est toujours capable de prévenir les usagers d’un contact éventuel, on est incapable d’identifier qui sont ces gens. Leur anonymat est donc entièrement protégé ».

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Une application peut-elle en cacher une autre ?

Une identification anonyme, c’est aussi le  principe de base de la solution développée par le jeune ingénieur informaticien liégeois.

« J’ai beau y réfléchir, je ne comprends pas pourquoi ne pas garantir pleinement l’anonymat. Sauf peut-être pour récolter des données épidémiologiques. Techniquement parlant, il n’y a pas de raison. Pour avoir confiance, il faut assurer un certain niveau de transparence. L’open source, c’est cette garantie. Pour vérifier si un programme n’est pas empoisonné, il faut la recette de celui-ci ».

Une application centralisée aux mains des pouvoirs publics, n’est-ce toujours pas mieux qu’une application de tracking développée par les géants du web ? Pour Raphaël, pas d’inquiétude à ce niveau-là. Le protocole est tout à fait anonyme. Et puis, il faut être réaliste. Ces derniers possèdent déjà le système. S’ils souhaitent secrètement traquer les individus, ils disposent largement des moyens nécessaires. Comme le rappelle aussi Raphaël, en matière de respect de la vie privée, on est dans tous les cas à des années-lumière des pratiques d’applications comme Facebook ou Tinder qui ratissent extrêmement large : « Quand on télécharge ces applications, on ouvre littéralement son téléphone. Facebook connait les sites que nous consultons, ceux de nos amis et lit automatiquement nos messages. Ça va vraiment très loin ».

Le compromis à la belge

Et en Belgique, où se situe-t-on ? L’État fédéral belge a pour sa part décidé d’explorer une troisième voie : le tracking téléphonique. En cas de dépistage positif au covid-19, les personnes sont mises en contact avec un call center qui cherchera à identifier avec elles les différents contacts qui ont eu lieu. Une solution qui ne convainc pas Raphaël : « ça fonctionne même sans smartphone, mais comment retracer et identifier de tête les différents contacts que l’on a pu avoir sur plusieurs jours ? Avec les proches oui, mais dans les transports en commun par exemple, c’est impossible. Ne serait-ce que parce qu’on ne connait pas ces personnes… ». Et ce dernier de souligner que dans le cas d’un tracking téléphonique, l’anonymat non plus n’est pas respecté, puisqu’il y a bel et bien une identification des individus à partir du numéro de téléphone.

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Covidtracer, l’Application Made in Liège

Quand Raphaël a développé son application appelée Covidtracer, il n’y avait pas encore d’alternative anonyme sur le marché. Et s’il reconnaît aujourd’hui qu’il en existe d’autres, il reste fier du produit qu’il a réalisé : « j’ai eu de nombreux retours, en ce compris à l’international, ce qui est encourageant. Maintenant, pour que l’application fonctionne, il faut une certaine masse critique d’utilisateurs. Et là, c’est compliqué, car Google et Apple interdisent les applications liées au Covid sur leur store ». Résultat, il faut passer par une démarche particulière pour installer l’application sur un téléphone Androïde (cf. infra). Impossible en revanche de l’installer sur iPhone.

Comment télécharger Covidtracer

Toutes les informations en français sont disponibles ici

All the information about the app available in English here

All the technicalities about the project (in English) here

Pour aller plus loin

Envie d’en savoir plus sur les applications de tracking covid-19 ? L’ONG militante pour la protection de la vie privée Electronic Frontier Fondation a listé les prérequis que de telles applications devraient selon elle respecter. Dans le document accessible ici, elle explique également les problèmes liés à la démarche mise en place par le gouvernement de Singapour (TraceTogether) et qui a inspiré les applications anglaise, française et australienne.

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Explorateur du quotidien, Clem vit sa ville entre de multiples jungles, qu'il parcourt bras dessus, bras dessous aux côtés de Kath. Reporter pour Boulettes, Le Vif et Saveurs, il profite de la vie comme on croque un fortune cookie, intensément, tout en se remémorant ce proverbe : “life is like a roll of toilet paper. The closer it gets to the end, the faster it goes”