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Tatouage fleurs

Magnolias Forever, ou pourquoi toutes les meufs que vous connaissez ont un bouquet tatoué

Fleurissant même au plus fort de l’hiver sur l’épiderme d’une génération affranchie des préjugés longtemps associés au tatouage, le bouquet est le motif de choix des filles en fleurs, mais pas que. Jusqu’à en devenir le dauphin des années 2020 ? Brassée de converties et de professionnels du métier.

Hier encore apanage des loubards, le tatouage est progressivement entré dans la norme, la déferlante d’encre de ces dernières années ayant rendu plus rare le fait d’avoir l’épiderme vierge qu’orné de l’un ou l’autre motif indélébile. Un effet de mode qui suit ses propres tendances – le signe infini et l’envol d’oiseau synonymes du début des années 2000 s’étant progressivement estompés pour faire place au bouquet de fleurs, dessiné au trait fin et encré sur nombre d’avant-bras féminins. Un motif suffisant pour décourager certaines de passer sous l’aiguille ? Au contraire.

C’est qu’il y a autant de bouquets que d’amatrices, chacune ayant ses raisons de faire éclore une brassée d’encre à même la peau. Pour Élodie Wilmes, qui a choisi pour premier tatouage un bouquet sur l’avant-bras, il ne s’agissait pas tant de suivre une tendance que d’honorer la mémoire familiale.

« Il me fait penser à mon papi et à son amour de la nature », sourit la jeune trentenaire, qui confie que la graine avait déjà germé dans son esprit il y a quelques années, mais qu’elle tenait à être sûre de son choix, première fois oblige.

L’élément déclencheur ? La mort de son grand-père, dont elle était très proche, qui lui donne envie d’encrer « plein de souvenirs positifs partagés avec lui dans sa douce Provence ». Un pays de Cocagne auquel Élodie doit également son amour des fleurs : mieux connue sous le pseudonyme de Love & Tralala sur les réseaux sociaux, cette ancienne avocate reconvertie en organisatrice de mariages a développé au gré des années une activité parallèle d’art floral, et voit dans son bouquet un symbole de cette passion, mais aussi de sa personnalité.

« La tige plus épaisse représente mon côté fort et incassable, tandis que les feuilles plus fines laissent place à ma douceur et à ma fragilité. Il y a même certaines parties en pointillés, pour montrer qu’il peut y avoir des fêlures, mais que la nature reprend toujours ses droits. Comme la vie, qui a toujours le dessus ».

Aiguille à usage unique

 Les fleurs, réceptacle de la mémoire familiale ? Pour Margaux de Ré, qui a quitté sa Cité ardente pour Bruxelles, où elle est désormais députée, les ancolies qui s’épanouissent sur son bras évoquent les Dolomites, région natale de sa famille. « J’en cueillais quand on rendait visite à nos proches l’été et qu’on faisait des balades en montagne. Ça me rappelle la chaleur de l’été, le vert des sommets, la fraîcheur du vent qui y soufflait ». Tout sauf un effet de mode : « il s’agit d’une pièce unique choisie avec l’artiste, je n’ai pas vraiment eu conscience de l’ampleur de la tendance ». C’est qu’au fond, contrairement à leurs inspirations qui elles, sont périssables, les fleurs de peau sont un motif récurrent dans l’histoire du tatouage. Et si elles sont particulièrement au goût du jour, elles ne sont en réalité jamais vraiment passées de mode.

Passée, elle, de la mode au tatouage et désormais connue sous le pseudonyme de Garçon Sensible, Laura a d’ailleurs choisi de se spécialiser dans le végétal. « C’est très intemporel, une petite rose pourra parfois perdre en fraîcheur si ses traits ou ses couleurs ont fané, mais elle ne se démodera jamais comme un tribal ». Et si la jeune femme reconnaît en souriant qu’il peut y avoir un risque « d’effet dauphin » – hier encore incontournable sur l’omoplate, où il constitue aujourd’hui un vestige gentiment désuet des 90s –, comme dans le cas des tatouages de fleurs de lotus, elle souligne que c’est à chaque tattoo artist de prendre ses responsabilités et de se distinguer.

La règle cardinale pour éviter l’effet « logo désincarné » ? « Je refuse catégoriquement de reproduire un tatouage dont on m’amènerait la photo ; c’est une question de principe et d’éthique. Je retravaille chaque motif ». Un parti pris partagé par Denis Larimier, vingt ans de métier et propriétaire de son propre salon, Little Tear Tattoo.

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Tendance 2.0

Avouant peu d’engouement pour les motifs à la mode, Denis Larimier se fait pourtant fort d’honorer les demandes de ses clients, en redessinant toujours l’inspiration qu’ils amènent avec eux, « parce que chacun a le droit d’avoir son propre tatouage. Je ne vais jamais juger quelqu’un qui me demande de lui faire quelque chose de très commercial, parce que je crois que la personne qui en a envie n’a pas conscience de cette dimension. Par contre, si quelqu’un vient avec une photo du tatouage de quelqu’un d’autre, je vais essayer de le modifier ». Même s’il souligne, pince-sans-rire, qu’il est compliqué de décliner à l’infini certains motifs populaires, à l’image du signe infini justement…

 

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Un problème qui ne se pose pas avec les fleurs : « On peut en dessiner autant de fois qu’on veut, on n’aura jamais la même fleur. J’en tatoue depuis mes débuts, mais la différence, c’est qu’à l’époque, Internet n’existait pas. Si on voulait un motif particulier, il fallait éplucher les magazines de tatouages, qui étaient difficiles à se procurer. Aujourd’hui, si quelqu’un se fait tatouer un bouquet, d’autres vont trouver ça joli et pourront trouver en quelques secondes des millions d’inspirations. Les tatouages floraux ont toujours existé, mais Internet met l’accent dessus, ce qui contribue à l’engouement. Si demain, la toile s’emballe pour le tatouage traditionnel japonais, c’est ça que les gens voudront se faire tatouer ».

Pas de quoi faire couler beaucoup d’encre, selon le patron de Little Tear Tattoo : « Si on regarde l’art ancestral du tatouage polynésien, ce sont toujours les mêmes motifs placés différemment : la répétition ne date pas d’hier et ne rend pas le tatouage moins unique pour autant ». Pas moins unique, peut-être, mais certainement plus contradictoire, à défaut d’être aussi contestataire qu’autrefois.

 Logos à gogo

 « Les fleurs sont un effet de mode. Les gens s’approprient un symbole parce qu’ils l’ont vu sur quelqu’un d’autre ou que c’est dans l’air du temps, explique Tom Crouse, tatoueur parisien arrivé à Liège pour ne plus jamais la quitter. C’est un peu comme l’engouement pour certaines marques de vêtements, même si c’est contradictoire, parce qu’à l’origine, le tatouage est un moyen de se différencier ». Une différenciation qui se retrouve non plus dans le motif choisi, mais bien dans son exécution. « Il y a quinze ans, ce qui comptait, c’était une exécution parfaite, mais depuis quelques années, il y a un retour à un trait plus brut, plus trash même. Une petite erreur ou un trait pas très bien fait ne posent plus problème, au contraire. Les gens prennent ça comme une marque d’authenticité » souligne ce dernier.

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La mémoire dans la peau ? Un parti pris revendiqué par Maureen, dont le bouquet a une signification toute personnelle. « Mon chéri ne m’offre jamais de fleurs, à mon grand désespoir. Il trouve que ça fane trop vite et que c’est cher pour finir à la poubelle. Alors pour la naissance de notre fille, je l’ai convaincu de m’offrir ce bouquet tatoué : comme ça, il ne m’achète des fleurs qu’une fois, et elles ne faneront que quand je serai vieille et que ma peau se fripera » rit-elle. Et de se moquer de la tendance : « les gens qui me côtoient savent que j’ai commencé à me faire tatouer bien avant qu’on voie des bouquets partout ; je n’ai que faire de ceux qui pensent que j’ai suivi une mode. Je sais pourquoi je me suis fait encrer ce motif, c’est le principal ». Mais pas question pour autant de tolérer que d’autres s’en inspirent : « je serais furieuse si ma tatoueuse reproduisait mon bouquet sur quelqu’un d’autre » confie Maureen. Avant d’ajouter, hilare, que tout qui se piquerait de copier son tatouage, qui symbolise la naissance de sa fille, serait susceptible de « se la faire refiler quand elle est chiante ».

C’est le bouquet!

De son côté, malgré sa spécialisation dans ce type de motifs, Laura alias Garçon Sensible met en garde celles et ceux qui lui en demandent aujourd’hui : « ce sont des tatouages qu’on fait énormément en ce moment, donc c’est important de personnaliser au maximum le dessin. J’essaie d’apporter une dimension symbolique pour éviter que les personnes ne le regrettent si un jour la tendance passe de mode ».

Sans jamais refuser pour autant.Si, au moment de l’engouement pour les tatouages symbolisant un envol d’oiseaux, l’annonce postée par un tatoueur récalcitrant comme quoi qu’il n’exécuterait plus le dessin qu’accompagné d’un chasseur tirant les volatiles avait largement circulé, pas question pour Denis Larimier de bouder le plaisir de sa clientèle.

« Je peux comprendre que certains tatoueurs puissent en avoir marre de répéter toujours le même motif, mais c’est important de garder à l’esprit qu’on gagne notre vie en faisant ce que les gens veulent, et si on commence à refuser, les factures ne pourront pas être payées ». Des tendances souvent payantes pour les tatoueurs, comme l’explique Denis, qui se rappele avoir réalisé des soleils tribaux dans le bas du dos par dizaines quand la chanteuse Anastacia a dévoilé le sien aux débuts de sa carrière.

Un motif qui, comme d’autres, trahit l’âge de celles qui l’arborent. Nul besoin désormais de datation carbone : les particules d’encre offrent une chronologie précise des tendances ; les jolis brins de filles tatoués d’aujourd’hui étant garantis de composer un joyeux pot-pourri en maison de repos dans les décennies à venir… Bouquet, tribal ou signe infini, et si le plus simple moyen de se démarquer était encore d’avoir la peau vierge ? Et Tom Crouse de confier déconseiller à ses copines qui n’ont aucun tatouage de sauter le pas, « parce que ça devient rare les gens qui ne sont pas tatoués et c’est une bonne manière de se démarquer ». Un tatoueur prêt à jeter l’encre ? C’est le bouquet.

Cet article a originellement été publié dans le numéro #2 du magazine SIROP paru en juin 2021.

 

 

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.